Politique
Sortie de l’OTAN : briser le tabou
11.09.2018
2.400 policiers, 1000 militaires et 900 aspirants déployés dans l’espace public. Un contre-rassemblement difficilement négocié avec les autorités, dans 200 m² entourés de barbelés, de fourgons, d’autopompes ; une dizaine d’arrestations, dont trois préventives: c’est peu dire que les moyens répressifs engagés pour encadrer le sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) des 11 et 12 juillet ne sont pas le signe d’une structure certaine de sa légitimité.
Depuis la chute de l’empire soviétique, l’Alliance s’échine à justifier son existence en s’éloignant toujours plus de sa seule base légale : le droit à la légitime défense défini par l’article 51 de la Charte des Nations unies. Son mépris pour l’ordre international ne l’empêche pas de se revendiquer de la protection de celui-ci, en vue d’assurer la domination d’un camp occidental guidé par les États-Unis d’Amérique (USA). Il importe de rappeler les implications de cette situation, trop rarement questionnées tant le caractère inamovible du lien transatlantique fait l’objet d’un consensus mou dans le débat public.
Une structure profondément déstabilisatrice…
Originellement conçue comme un simple pacte de défense, l’OTAN s’est progressivement transformée en outil de promotion des intérêts de ses membres. Un attelage de ce type ne peut que s’opposer frontalement au système de sécurité collective des Nations unies. Les prétentions de l’OTAN à s’inscrire dans le respect des résolutions onusiennes ne trompent personne : du Kosovo à la Libye, l’organisation a bien souvent détourné le mandat qu’elle a assumé en vue de poursuivre ses propres objectifs.
Au surplus, les menaces que l’Alliance identifie pour justifier son existence et sa présence extraterritoriale tendent davantage à attiser les tensions susceptibles de perturber la paix et la stabilité internationale qu’à les résorber. L’obsession à combattre l’influence russe dans son étranger proche participe d’un cercle vicieux aux conséquences potentiellement dramatiques. La définition très vague de la lutte contre le terrorisme permet, on le voit déjà, de légitimer à peu près toutes les interventions militaires effectuées hors de la légalité internationale. La volonté de l’OTAN de servir de bras armé «de la prospérité de la zone euro atlantique», notamment en matière d’approvisionnement énergétique, peut laisser craindre le pire, en particulier dans le contexte actuel de concurrence avec les pays émergents. Cette agressivité alourdit les menaces que font peser la prolifération des armements conventionnels et atomiques, largement à charge de l’Alliance – laquelle réunit plus de 60% des dépenses militaires mondiales et comporte six des neuf puissances nucléaires.[1]
… au service de la stratégie états-unienne
Les saillies de Donald Trump contre l’OTAN ont pu contribuer à alimenter la thèse selon laquelle celle-ci servirait essentiellement les intérêts des alliés européens. Si le confort du «parapluie américain» a joué pour beaucoup dans l’empressement de ces derniers à donner satisfaction au président états-unien, le lien militaire transatlantique ne revêt pas moins une importance vitale pour les États-Unis. Par ses infrastructures intégrées, la direction américaine de son commandement et le maillage de ses forces armées qu’elle implique, l’OTAN garantit le maintien du Vieux Continent dans son giron. Une stratégie qui lui permet de s’assurer d’alliés lors d’interventions extérieures, d’en dissoudre les responsabilités politiques et d’en partager le fardeau financier. Il s’agit également de contenir la Russie, dont l’émergence est considérée, avec celle de la Chine, comme les principales menaces pour les États-Unis, comme le rappelait en janvier 2018 le secrétaire d’État James Mattis. Ce faisant, les tensions que l’OTAN s’échine à maintenir avec la Russie participent d’une prophétie autoréalisatrice, au désavantage des pays membres européens avec qui la Russie partage le même continent.
Dans cette perspective, l’exigence d’une hausse des dépenses militaires de ses alliés vise notamment à forcer ceux-ci à assumer eux-mêmes le rôle de rempart sur le front russe, permettant à Washington de se redéployer sur le théâtre extrême-oriental. Inutile de dire que le retrait de l’OTAN évoqué par M. Trump ne doit pas être interprété comme autre chose qu’une (grossière) manœuvre de négociation pour parvenir à cet objectif.
Signe que l’attachement à l’Alliance qui prévaut outre-Atlantique relève de la raison d’État, les sénateurs américains s’apprêtent à adopter une résolution bipartisane interdisant formellement au Président des États-Unis de la quitter sans l’accord du Congrès. Le mépris manifesté par Trump pour les institutions onusiennes avait suscité moins d’émotion.
Outil de subordination
Les convergences de vues entre les deux rives atlantiques, essentiellement d’accord pour organiser la domination du bloc occidental sur le monde, ne doivent pas occulter les multiples liens de subordination produits par son bras armé que représente l’OTAN. Pensons notamment à la dépendance à l’égard du complexe militaro-industriel états-unien, ou à l’imbrication des dispositifs sécuritaire qui fait des États européens les complices des options bellicistes du pays de l’Oncle Sam. Ainsi, en 2003, c’est au nom d’obligations envers l’Alliance que le gouvernement Verhofstadt avait accepté le transit du matériel militaire américain par le port d’Anvers lors de l’invasion de l’Irak, à laquelle il était pourtant fermement opposé.
Au-delà de ces faits précis, le lien transatlantique revêt manifestement une dimension sacrée de notre côté de l’océan, comme le rappelait récemment le général à la retraite Francis Briquemont dans les colonnes de La Libre[2]. Ce véritable mantra a pour conséquence de rendre l’UE incapable de penser sa politique de défense hors du cadre de l’OTAN. De son premier concept stratégique de 2003 à la stratégie globale de 2016, les diverses propositions d’une Europe de la Défense persistent à considérer l’alliance comme l’instance naturelle et indépassable de la sécurité collective. Pays hôte de l’institution et de son bras armé (le SHAPE), la Belgique n’est pas en reste. En témoigne, notamment, le mimétisme entre le «plan stratégique pour l’avenir de l’armée belge» de 2015 et le concept stratégique de l’Alliance. L’UE y est reléguée en acteur de second plan, tandis que l’ONU pose pour la galerie. En outre, il soumet l’ensemble de nos choix d’investissements à leur compatibilité avec le cadre otanien, comme l’a notoirement illustré la saga du renouvèlement de la flotte de F-16 et l’appel d’offres biaisé en faveur des F-35 américains.
Contre la force, le droit
Face à une administration états-unienne plus que jamais prête à sacrifier toute considération de sécurité collective sur l’autel de l’America First, l’occasion doit être saisie d’abolir un lien de solidarité organique aux forts accents de relation de vassalité. La fin de la protection américaine poserait sans nul doute un certain nombre de défis, mais représenterait aussi une chance pour penser une défense (au sens strict du terme, osons rêver !) belge et européenne réellement autonome et respectueuse des cadres multilatéraux. Elle offrirait notamment l’opportunité de revoir notre rapport à la Russie, en cherchant à concilier droits des peuples et intérêts vitaux de chaque partie.
La disparition d’une alliance structurellement poussée à alimenter les tensions pourrait également permettre de fonder notre défense à partir d’instances politiques responsables devant les citoyens. Une réorientation qui n’aurait de sens qu’en rompant avec la doctrine consistant à confondre promotion de sa prospérité et poursuite conquérante de ses intérêts à l’étranger au détriment du reste du monde.
[1] Voir les recommandations de la CNAPD pour le sommet de Varsovie de juillet 2016.
[2] Francis Briquemont souligne ainsi, notamment, que le slogan «sans les américains, on ne peut rien faire», est celui qu’il a le plus entendu au cours de sa carrière.