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Reporter à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui

Les mesures gouvernementales prises en matière fiscale laissent sur leur faim. Le « gouvernement papillon » mise tout sur la lutte contre la fraude, laissant la cohérence du système fiscal aux oubliettes.

Après une inactivité forcée de près de 15 mois, le gouvernement belge a proposé des modifications du système fiscal. Certaines de celles-ci ont été adoptées en décembre 2011, d’autres devraient l’être début de l’année 2012. Même si elles sont relativement nombreuses, ceci n’autorise toutefois pas les commentateurs à parler de véritable réforme fiscale.

« Le jeu politique a eu comme principal résultat de limiter la portée des différentes réformes plus globales souhaitées par l’un ou l’autre des partenaires politiques, pour aboutir à un résultat consistant à contenter symboliquement tout le monde. »

Il s’agit plutôt de réponses isolées et spécifiques à plusieurs types de pressions, émanant principalement du haut (l’Union européenne) mais aussi du bas (les Régions). En effet, si l’on devait trouver un fil conducteur dans cet ensemble peu cohérent de modifications parfois extrêmement techniques, ce serait la nécessité d’augmenter les recettes fiscales de l’État fédéral, pour se conformer aux exigences européennes, et, dans une moindre mesure, de préparer les transferts de compétences fiscales aux Régions d’ici 2014 (principalement en ce qui concerne les incitants fiscaux en matière de logement et d’environnement).

Du temps et des symboles

La complexité des mesures adoptées résulte quant à elle de la volonté de chacun des partenaires à l’accord de gouvernement de ne pas porter atteinte aux intérêts particuliers des groupes sociaux qu’ils représentent traditionnellement. Elle trahit le fait que l’exercice politique consistant à aboutir à un consensus s’est révélé très ardu, pour une question de temps certainement, mais aussi pour une question de symboles. Une question de temps, tout d’abord. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, la longueur de la crise politique traversée par la Belgique n’a pas été propice à une réflexion de fond en matière de programme socio-économique. La toute grande majorité de la période de crise a été occupée par des discussions portant sur la répartition des compétences – notamment fiscales – entre État, Communautés et Régions. Une question de symbole aussi. Au-delà de l’impact concret des mesures proposées, il apparaît que le débat politique s’est surtout focalisé sur les répercussions de celles-ci sur l’« imaginaire fiscal collectif », tel que le traitement fiscal des voitures de société, la taxation des revenus d’investissement, en particulier les plus-values, les intérêts notionnels et la lutte contre la fraude fiscale. À l’instar d’un jeu d’échecs, le jeu politique a eu comme principal résultat de limiter la portée des différentes réformes plus globales souhaitées par l’un ou l’autre des partenaires politiques, pour aboutir à un résultat consistant à contenter symboliquement tout le monde, par l’adoption de mesures à l’impact relativement limité. Un exemple frappant est le nouveau système de taxation de l’avantage résultant de l’utilisation privée d’un véhicule de société : selon le type de véhicule, la réforme aura un impact parfois positif sur la situation fiscale du contribuable, alors que l’objectif clairement perçu par la population semblait être d’augmenter globalement la taxation de ces avantages à des fins dissuasives, ou, même lorsque les nouvelles règles aboutissent à une plus grande taxation de cet avantage, à une augmentation relativement faible, en particulier si on la met en relation avec le type du véhicule.

Mesurettes

Mais, contrairement aux apparences, cette réforme n’a pas épargné tout le monde. Les deux grandes victimes de cette non-réforme sont en effet, d’une part, la cohérence de la politique fiscale et, d’autre part, le système fiscal lui-même (en particulier l’impôt sur le revenu). On observe en effet une disproportion flagrante entre la très grande complexité de certaines mesures et leur impact réel. Par ailleurs, on constate que les réformes envisagées ne sont pas toujours en lien avec des axes relativement forts d’autres politiques du gouvernement, notamment en ce qui concerne la politique environnementale ou les réformes entreprises à l’égard du système financier. Le caractère relativement marginal des mesures prises ou à prendre semble traduire le fait que, d’un point de vue budgétaire, le gouvernement attend plus d’effet d’une amélioration de l’efficacité des instruments de lutte contre la fraude fiscale que de réformes structurelles de la législation. La lutte contre la fraude est, avec les intérêts notionnels, le poste sur lequel le gouvernement compte le plus pour combler le déficit public et remplir ses engagements envers l’Union européenne. Concernant la lutte contre la fraude, on peut toutefois se demander si le non-respect des règles fiscales trouve uniquement ou principalement sa cause dans l’absence d’instruments adéquats de contrôle dans les mains de l’administration fiscale. Il apparaît que, avant d’étendre les pouvoirs de l’administration – ce qui sera le cas –, il serait plus opportun de s’interroger sur deux autres éléments.

Un système juste ?

Tout d’abord, le meilleur moyen pour s’assurer d’un respect suffisant des règles fiscales est, plutôt que de renforcer les mécanismes de contrainte, de veiller à ce que le système fiscal dans son ensemble soit globalement reconnu comme juste et équitable par le plus grand nombre de contribuables.

« La lutte contre la fraude passe par une valorisation des personnes que l’État charge de ces missions et non pas tellement par l’étendue de pouvoirs coercitifs que le législateur déléguerait à l’administration. »

Dans cette optique, il est important que le système fiscal soit relativement transparent quant à ses objectifs et à sa structure. Cela signifie que, d’une part, les mesures fiscales ne soient pas trop complexes et, d’autre part, qu’elles ne visent pas des situations trop particulières, ce qui serait susceptible de donner l’impression, parfois erronée mais parfois justifiée, que le système fiscal crée des privilèges à destination de certaines catégories et au détriment d’autres. Quelle que soit sa structure, un système fiscal simple est un système plus facilement accepté, plus facilement appliqué et donc, souvent, un système plus juste. Un autre élément qu’il serait urgent de prendre en considération est l’organisation même de l’administration fiscale et la formation de ses agents. Il est important de savoir que les pouvoirs octroyés à l’administration fiscale par la législation sont déjà extrêmement étendus. Par ailleurs, une saine politique législative devrait viser, en matière fiscale comme dans d’autres domaines, à contenir les possibles abus dans l’application de la législation, y compris, et – l’on serait tenté de dire – surtout, lorsque ces abus son susceptibles d’émaner d’autorités publiques exécutives. Le rôle du Parlement (pouvoir législatif) est en effet tout d’abord de contrôler le pouvoir exécutif (gouvernement et administration), ce qui commence par veiller à ne pas lui octroyer de pouvoirs exorbitants ou disproportionnés par rapport aux missions qui leur sont confiées.

Lourdeurs internes

Plus que des carences législatives, l’administration fiscale subit en effet des pesanteurs liées à l’organisation de ses structures, qui sont probablement l’obstacle le plus important à une action plus efficace. Deux exemples concrets. Tout d’abord, l’administration est une structure qui est très peu perméable à la mobilité entre secteur public et secteur privé. Il est extrêmement difficile et surtout extrêmement coûteux en termes de carrière pour une personne ayant travaillé dans le secteur privé d’entrer à l’administration dans une fonction correspondant à ses compétences. En matière fiscale, cette absence de mobilité constitue un frein au recrutement de fiscalistes expérimentés provenant d’autres milieux, tel que l’entreprise ou les professions de conseil juridique et fiscal voire de l’enseignement ou du non-marchand. Or, il est indéniable que l’expérience de telles personnes permettrait de renforcer très sensiblement le knowhow de l’administration, étant parfaitement complémentaire à la grande expertise dont elle dispose déjà en interne. Un second exemple concerne plus spécifiquement le contentieux fiscal. L’administration fiscale belge ne dispose pas, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays, d’une section de juristes spécialisés, notamment en matière de contentieux (« avocats de l’État »). La mise sur pied d’un service juridique au sein de l’administration fiscale permettrait de centraliser l’expertise juridique et la gestion du contentieux fiscal, condition indispensable pour mettre en place de véritables orientations politiques en matière de contrôle et de poursuites. Ces propositions n’en sont que deux parmi d’autres, mais elles ont le mérite de montrer que la question de la lutte contre la fraude passe aussi et surtout par une valorisation des personnes que l’État charge de ces missions et non pas tellement par l’étendue de pouvoirs coercitifs que le législateur déléguerait à l’administration.

Sim-pli-fi-ca-tion

En conclusion, on peut dire que les mesures fiscales accompagnant le budget 2012 ne seront pas suffisantes pour permettre au gouvernement et au Parlement de se passer d’une réflexion en profondeur sur la structure même du système fiscal, et en particulier de l’impôt sur le revenu. Il devient urgent non seulement pour des raisons budgétaires mais aussi pour des raisons liées au caractère démocratique de l’impôt et à la pérennité du système fiscal de prendre le temps d’envisager une simplification drastique des multiples régimes fiscaux contenus dans notre système et de cesser d’utiliser l’instrument fiscal dans le but de satisfaire des revendications de catégories particulières. Toutefois, il faudra veiller à faire en sorte que ce débat se fasse dans un cadre large. Si, au niveau fédéral, les mesures peuvent apparaître comme relativement marginales, du moins en ce qui concerne l’impact qu’elles ont sur la structure des impôts existants, celles-ci ont été précédées d’un accord institutionnel qui transfère un volume très important de recettes fiscales ainsi que des pouvoirs normatifs conséquents aux régions. Cette situation nuira certainement à la cohérence du système fiscal invoquée précédemment. Il importe cependant de limiter les dégâts de cette fragmentation. Pour cela, il faut que les grands axes de la politique fiscale et les réformes fondamentales que l’on peut y apporter soient discutés dans une enceinte comprenant non seulement des représentants des différents niveaux de pouvoirs, y compris des institutions européennes, mais également de personnes reconnues pour leur expertise dont la mission consisterait à veiller à la cohérence juridique et économique des choix qui y seront faits.