Retour aux articles →

Les beaux lendemains de la gauche francophone

unité à gauche
unité à gauche
On pourra dire que le coup était prévisible. Rétrospectivement. De nombreux signaux dans l’opinion publique francophone tendaient à le démontrer. La stratégie de trumpisation du MR passait mal. On prendra comme exemple emblématique ce soutien bien plus que symbolique d’une partie de l’opinion francophone à la plateforme citoyenne qui aurait dû alerter les stratèges de l’avenue de la Toison d’or. Ils n’ont pas capté ce signal, préférant l’interpréter comme une sorte de caprice de bobos droit-de-l’hommistes bruxellois-es.

La réalité des chiffres est implacable. La Wallonie et Bruxelles n’ont probablement jamais été aussi à gauche que ce 14 octobre. Et cette gauche n’a jamais été aussi plurielle, diverse et fragmentée. Il y a quelques années, Philippe Moureaux théorisait l’existence de deux gauches labourant des terrains géographiques et sociologiques différents. L’irruption du PTB, qui a pu confirmer les sondages d’opinion, vient modifier ce paradigme. Il existe désormais trois gauches dans le paysage politique francophone. Et 3 gauches qui, à l’inverse de la situation observée en France ou au Pays-Bas voire en Flandre, peuvent exister sans se siphonner. Cette observation est particulièrement vérifiable en Région bruxelloise. Au-delà du cas emblématique de Saint-Gilles – 32 conseillers sur 35 appartiennent à ces trois partis -, la gauche progresse globalement à Ixelles, Molenbeek, Schaerbeek, Anderlecht et à Bruxelles-ville. Cinq des six communes les plus peuplées de la Région dont certaines furent pourtant pendant des décennies des bastions libéraux.

C’est cette évolution que le MR n’a pas anticipée et va devoir gérer dans la perspective d’élections régionales et fédérales qui s’annoncent fort difficiles. L’exercice sera compliqué. Les deux seuls bourgmestres libéraux de la Région ont mis un bémol aux dérives droitières de leur parti. Et en Wallonie, il semble très difficile de pouvoir dégager une ligne de conduite particulière. En tous les cas, en arrivant troisième parti à Bruxelles et second en Wallonie il est difficile de considérer que le MR a profité d’une quelconque manière de ses participations gouvernementales.

Un des éléments les plus remarquables du scrutin reste malgré tout cette vague verte qui a mené Ecolo vers des sommets aussi historiques qu’imprévisibles malgré des sondages plus qu’encourageants.

A la différence d’autres climats électoraux (comme en 1999 et 2004), cette vague ne peut trouver son explication dans une cause univoque et surtout conjoncturelle. Si les enjeux climatiques et la bonne gouvernance ont été fort médiatisés ces dernières années, ils s’inscrivent, à l’inverse d’une crise de la dioxine par exemple, dans un agenda politique durable qu’Ecolo incarne mieux que toute autre formation politique. C’est cette crédibilité qui a permis à Ecolo d’émerger au détriment notamment de Défi à qui nombreux-ses commentateurs/trices promettaient une belle victoire pourtant et qui doit se contenter de remettre ses espoirs à 2019.

Autre fait marquant, Ecolo connaît une progression continue dans de nombreuses communes et singulièrement celles où il a exercé le pouvoir, à l’exception de Molenbeek où sans être sanctionnée, Sarah Turine n’est pas parvenue à capitaliser électoralement un bilan jugé pourtant favorablement par la plupart des observateurs/trices. Cette tendance est une première rupture par rapport aux résultats souvent instables que les Verts francophones obtiennent depuis 1999. L’autre rupture, moins marquée mais tout aussi notable se situe au niveau d’une certaine forme de professionnalisation d’Ecolo. Fini le temps où Philippe Moureaux, encore lui, pouvait comme en 1999 se targuer de pouvoir perdre les élections tout en gagnant les négociations face à des Verts empêtrés dans leurs divisions et incapables de faire entendre raison à des assemblées générales réputées indomptables. Fini aussi cette époque où Ecolo alignait des rangées d’élu-e-s inexpérimenté-e-s et passablement inconnu-e-s. Les taux de pénétration de certaines têtes de liste écologistes n’ont désormais plus rien à envier à celles des autres partis et le parti s’est de toute évidence professionnalisé.

Tout ceci semble de bonne augure pour les prochaines échéances électorales, à condition bien entendu de pouvoir digérer cette victoire et de présenter des listes solides aux régionales et aux fédérales alors qu’une partie significative des cadres du parti sont, de manière inattendue, happés par des obligations communales. Il faudra aussi gérer un nouveau rôle pour Ecolo, celui d’un parti pivot capable de conclure des alliances aux couleurs parfois très contrastées.

La Parti socialiste présente, lui, plusieurs visages. A Bruxelles et en Wallonie, les « héros » du décumul – en tout cas ceux de la bonne gouvernance et de la rénovation – sortent renforcés de ces élections. Paul Magnette, Philippe Close, Ahmed Laaouej, pour ne citer qu’eux, ont fait mentir les sondages, et démontrent que le PS peut vivre avec un discours – et des actes – de ruptures avec les anciennes pratiques. L’équilibre est instable et on ne pourra vraiment juger des intentions pures des socialistes qu’après les élections de 2019 – date à laquelle le décumul intégral pourra être appliqué -. Sachant également que le « vieux » PS, avec ses tentations de retour à un ordre ancien fait d’accommodements statutaires et d’alliances opportunistes, n’est jamais loin.

Bien aidés par les résultats d’Ecolo, le PS a, à Bruxelles du moins, réussi à faire mentir les prévisions qui annonçaient un retour inexorable des violettes au détriment de coalitions progressistes – sous réserve bien entendu des résultats définitifs de certaines négociations toujours en cours. De ce point de vue, et particulièrement à Bruxelles, on notera que c’est d’Ecolo qu’est venu la surprise puisque non content de renouveler certaines alliances avec le MR – là où le PS les détricotait -, de nouveaux mariages entre Verts et Bleus, souvent élargis au CDH sont venus nourrir la polémique comme à Forest.

Du PTB, on avait dit beaucoup de choses. On parlait de cette peur du « grand soir » qui aurait conduit l’état-major du parti à adopter un profil bas, histoire de ne pas se retrouver face à une victoire ingérable. On disait aussi que les sondages contenaient leur lot d’aberrations et que les élections allaient corriger ces tendances. On a rien vu, ou presque, de tout cela. Le PTB envoie un nombre inespéré d’élu-e-s dans les conseils communaux et s’installe durablement dans le paysage politique.  Le brouillard demeure, quant à lui, sur la manière dont la gauche radicale va gérer cette progression. Le PS a, en tout cas, décidé de franchir le Rubicon en proposant des négociations à son voisin de gauche. Ces négociations peuvent, parfois, apparaître comme une tactique visant à mouiller le PTB. Mais il est difficile de ne pas voir, à Molenbeek par exemple, une véritable volonté de créer un laboratoire de majorité rouge-rouge-verte. L’expérience mérite d’être tentée et le PTB se trouve désormais devant un choix cornélien. Accepter, à l’instar de Die Linke, de la France Insoumise ou de Podemos, de concevoir des alliances locales avec l’écologie politique et/ou la sociale-démocratie, et par là accepter une exception à ses balises de changement radical qu’implique sa dialectique de participation ou bien de volontairement laisser passer cette chance, sans doute historique, de rentrer dans des majorités communales.

La situation entre les espaces francophones et flamands n’a sans doute rarement parue aussi contrastée. Là où le sud du pays et la capitale font gagner la gauche et réduisent l’extrême-droite à une portion congrue, la Flandre suit une dynamique inverse. Le Vlaams Belang que l’on pensait durablement vidé de sa substance par la NV-A, revient en force tout en, paradoxalement, n’entravant pas la dynamique de croissance du parti de De Wever. Mais c’est sans doute à gauche que la situation diffère le plus. Le SP-A, malgré une baisse inférieure aux prévisions, continue sa lente descente aux enfers et une situation à la néerlandaise reste une hypothèse tout à fait plausible. Hypothèse renforcée par les gains de Groen qui, à l’inverse de ce qui se passe dans le sud et le centre du pays, siphonne clairement l’électorat socialiste. Le PVDA quant à lui ne parvient pas à décoller dans proportions similaires à celles du PTB. Cette faiblesse durable la gauche flamande est de nature à donner des migraines à ceux qui tentent d’anticiper le paysage politique belge au lendemain des prochaines élections. L’idée même d’une majorité symétrique semble d’ores et déjà exclue. Et une chose est certaine, le concept des deux démocraties est plus que jamais vérifiable.

Et dans un sens, on ne peut que s’en réjouir pour la démocratie wallonne et bruxelloise. Le Parti Populaire ne perce pas malgré une inexplicable complaisance de la part de certains médias, et en particulier de La Libre Belgique qui semble décidée à donner à cette formation d’extrême-droite un vernis de notoriété et un activisme délirant sur les réseaux sociaux. Alors que la stratégie droitière du MR n’a pas, pour l’instant, profité à la N-VA qui se tenait en embuscade, à Bruxelles, afin de tenter de récolter les fruits de l’omniprésence de Théo Francken et d’une grosse campagne de séduction de l’électorat francophone. Il est probable, toutefois, que sur ce dernier point, les élections régionales délivrent un tout autre résultat.

Le dernier enseignement de ce scrutin concerne la parité que l’on aura sans doute jamais autant atteinte et même souvent dépassée dans les conseils communaux. Rien n’indique cependant que cet essai soit transformé dans les collèges. Il faudra attendre quelques semaines avant de se prononcer. Quand aux fonctions maïorales, rien ne semble avoir hélas vraiment changé. Et on ne pourra pas s’empêcher de relever qu’à Bruxelles, c’est Molenbeek, dépeinte à droite comme le symbole de l’obscurantisme islamiste – celui du foulard et des hommes qui ne serrent pas la main aux femmes – qui offre à la région bruxelloise sa seule bourgmestre.

Quand on prendra encore plus de recul par rapport aux résultats délivrés par l’élection du 14 octobre, on se surprendra à conclure qu’elle n’aura pas délivré de véritables surprises. Nous avions sous les yeux de nombreux éléments nous permettant de le penser. Bruxelles a voté, dans l’ensemble, comme la plupart des grandes métropoles internationalisées du continent. L’alliance entre un électorat possédant un capital culturel important et des minorités impliquées dans la vie démocratique constitue, à ce jour, un des meilleurs antidotes au populisme et à l’extrême-droite. Berlin, Paris, Amsterdam, Londres et d’autres grandes villes ont déjà validé cet axiome. Il n’y avait pas de raison que Bruxelles en diverge. Quant à la Wallonie, en dehors de la méthode coué employée par le MR et dans une moindre mesure par le CDH, rien ne permettait de penser réellement que les lignes du paysage politique avaient durablement bougé. Si recomposition il y’a eu, c’est essentiellement au sein des blocs existants qu’elle se fait. Seul Ecolo parvient, à ce stade, à jouer entre les lignes et à prendre des voix à droite comme à gauche. Un nouveau signe probable d’une stabilisation durable d’un parti auquel ces élections auront probablement donné une dimension inédite.