Politique
Le scénario FGTB
03.12.2018
Mais finalement, ce fut l’échec partout.
Illusion dissipée ou espoir déçu ? Pour notre part, les deux. Espoir déçu : c’est le moins qu’on puisse dire.
Si on ne se résigne pas au franc virage à droite incarné par le gouvernement fédéral MR/N-VA, si on ne se satisfait plus des compromis gauche-droite dont la Belgique s’était fait une spécialité, il est naturel d’espérer
que des compromis gauche-gauche, associant des formations prêtes à prendre leurs distances avec le néolibéralisme et l’austérité, puissent s’établir.
Mais aussi illusion dissipée. La FGTB pouvait-elle vraiment croire qu’on aurait pu abattre d’un claquement de doigts le mur d’hostilité qui sépare le PS et le PTB – puisque c’est avant tout entre ces deux partis que l’affaire se jouait ? Deux partis qui s’adressent prioritairement à la même fraction de la population, deux partis avec une identité de gauche affirmée, dotés d’un lien historique, voire organique, avec le mouvement
ouvrier, de références théoriques proches, d’un imaginaire (le socialisme, l’Internationale, les drapeaux rouges, les Maisons du peuple, une saga historique, tout un vocabulaire…) partagé. Les sociaux-démocrates et les communistes ont en commun une histoire qui remonte au XIXe siècle, avec des moments de proximité (le Front populaire, la Résistance) et d’autres d’opposition parfois sanglante.
Mais si le courant communiste est ancré dans une tradition longue, si la gauche radicale a connu une nouvelle jeunesse autour de Mai 68, le succès actuel du PTB est directement corrélé au déclin de la social-
démocratie.
Car même si, par comparaison avec les sociaux-démocrates français, néerlandais, flamands et même allemands, le PS a limité la casse en conservant son hégémonie dans la plupart de ses bastions historiques, ce n’est pas faire injure aux militants socialistes d’affirmer que leur parti est sur le déclin. Il s’agit d’une tendance lourde sur le plan européen, ce dont ses dirigeants les plus lucides, comme Paul Magnette, conviennent volontiers. Nous vivons la queue de comète de l’épuisement du compromis social-démocrate (la paix sociale contre du pouvoir d’achat et une bonne protection sociale) miné par la mondialisation et le néolibéralisme et confronté à une crise écologique sans précédent qui force à rompre avec toutes les variantes de productivisme.
Cet épuisement a eu des conséquences sociales, donc électorales : le fractionnement (dans les statuts et les consciences) du salariat et la précarisation des secteurs qui en constituaient le noyau dur, à savoir les travailleurs/leuses « fordistes » des grandes entreprises et ceux/celles de la fonction publique. Résultat : l’électorat socialiste vieillit et les effets du clientélisme ne se maintiendront pas éternellement, faute
d’avantages à redistribuer.
Ce reflux inéluctable ouvre la voie au PTB qui fonctionne comme un camion-balai récupérant ceux et celles que l’État social ne protège plus correctement.
Entre le PTB et le PS, il s’agit d’un jeu à somme nulle qui les pose en concurrents directs.
Avec Ecolo, c’est différent. Ce parti se situe sur une autre ligne, bien distincte du tronc central de la gauche historique qui a toujours mis la question sociale au cœur de ses préoccupations. Il est devenu par excellence celui des « intellectuels précaires » disposant d’un bon capital culturel et relationnel mais d’un statut social fragile. C’est un parti qui brasse large, avec une trame culturelle très différente des partis classiques, qui restent pour la plupart des « partis de classe » à l’ancienne. Les couches sociales hétérogènes qui peuvent s’y reconnaître donnent désormais le ton dans l’agora urbaine. Est-ce pour cette raison que, malgré l’affirmation qui rassure que « justice environnementale et justice sociale sont indissociables », les compétences revendiquées par les Verts dans les nouvelles majorités investies ne témoignent pas de cet équilibre ?
Le faible ancrage social d’Ecolo ouvre la porte à beaucoup de possibles. De notre point de vue, peut-être
trop.
Pour compléter le tableau, on ne peut passer sous silence que le PTB reste l’héritier assumé d’une tradition qui déboucha sur un ratage historique de grande ampleur. Que reste-t-il de l’espérance communiste broyée par le stalinisme et par cet incroyable hybride qu’est devenue la Chine, aujourd’hui principale fabrique mondiale de milliardaires sous la main de fer d’un parti marxiste-léniniste ? Aucun de ces repoussoirs ne fait encore partie des références du PTB. Mais la question démocratique n’est pas secondaire et on attend toujours de ce parti un engagement clair en faveur du pluralisme politique dans le cadre de son « socialisme 2.0 » qui confère encore une place exclusive au parti communiste autoproclamé d’avant-garde.
Pour cette raison, certains de ses critiques le soupçonnent d’attendre la majorité absolue avant d’envisager de « prendre ses responsabilités ». Et comme cette majorité absolue n’adviendra jamais…
En lançant son appel, la FGTB ne devait pas être aveugle aux démons qui guettent chacune des trois formations cataloguées progressistes. Ces démons empêcheront demain une gauche politique pourtant majoritaire en Wallonie de convertir l’essai. Soit, on dira que les conditions « objectives et subjectives » ne sont pas encore mûres.
Il importe de les faire mûrir, en développant tous les espaces possibles où pourront s’articuler convergences
et concurrence. Dans le débat public – et Politique prendra sa part –, dans les mobilisations citoyennes mais aussi dans des expériences de coopération politique où pourront se développer les indispensables relations de confiance. Celle-ci était inexistante là où le PS et le PTB ont fait mine de négocier.
Cela pourrait-il être différent demain ?