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Gagnants et perdants des élections locales

Chrétiens-démocrates, socialistes et extrémistes de droite en hausse, libéraux en chute libre et écologistes en sursis. Telles sont les grandes tendances, avec quelques nuances, des élections d’octobre en Flandre.

Jamais auparavant les élections communales et provinciales n’ont donné lieu à un tel intérêt médiatique que lors du dernier passage aux urnes. Et avec raison! Pour la première fois, la Flandre, la Wallonie et la Région bruxelloise les organisaient de manière autonome, l’occasion d’introduire quelques nouvelles règles de jeu électorales. Depuis les élections locales précédentes, le paysage politique a pris un tout autre aspect (en comparaison de 2000, tous les partis «nationaux» participent aux élections de 2006 sous un autre nom). Le timing de ces élections est également différent. Les élections locales précédentes se déroulaient après la percée violette des élections de 1999, alors que les élections récentes étaient plutôt considérées comme un préliminaire des élections fédérales de l’an prochain. On peut discuter de l’effet des élections nationales sur les élections locales tout comme à l’inverse, de l’impact des élections locales sur les élections au plan flamand et fédéral. Mais on ne peut pas ignorer les faits: le parlement flamand a décidé de ne pas se réunir la semaine avant les élections, parce que seuls quatre des 124 parlementaires ne participaient pas aux élections. Tout le contexte indiquait que, de toute évidence, les rapports de force entre les partis étaient en jeu. Si l’on se fie à la plupart des commentaires à propos du 8 octobre, il n’y a que des bulletins de victoire. A l’exception du Vlaams Belang à Anvers, qui n’a pas fait le bond en avant craint par certains, on aurait dit qu’il n’y avait cette fois-ci pas de perdants (si nécessaire, on prenait comme référence les sondages). Nous essayons ici d’analyser ces élections dans une perspective plus large qui dépasse la simple recherche du propriétaire légitime de la pantoufle de Cendrillon. C’est qu’on a trop tendance à se concentrer sur des moyennes nationales, qui dissimulent les différences provinciales et locales.

Une élection n’est pas l’autre

Comme signalé plus haut, les élections du 8 octobre étaient importantes parce que pour la première fois, c’est l’autorité flamande qui les organisait : un décret électoral flamand remplaçait la loi électorale belge, même si, compte tenu des ambitions initiales, les modifications apportées étaient limitées. Les changements les plus importants concernent les quotas de genre, la neutralisation accrue du vote en tête de liste et le droit de vote des immigrés. La première mesure vise à aider à supprimer la sous-représentation traditionnelle des femmes dans la politique provinciale et locale. Tout comme la mise en place de quotas sur les listes de candidats (selon la loi Smet-Tobback appliquée dès 1994), la nouvelle réglementation, qui était d’application pour la première fois en 2006, a eu un effet évident (la moitié de candidats sur une liste doit être de sexe différent et les trois premiers candidats ne peuvent pas être du même sexe). Les femmes représentent exactement un tiers des conseillers communaux élus en Flandre (contre 27 % en 2000). Les conseils provinciaux flamands comptent encore plus d’élues (36,7 % contre 29 % en 2000). Certes, il n’y a pas de garantie que la règle paritaire appliquée dans la constitution des listes entraînera une forte augmentation des mandataires féminines dans les organes exécutifs, c’est-à-dire les collèges communaux et les députations. L’une des modifications les plus débattues pour les élections de 2006 concerne la réduction de l’effet dévolutif du vote en tête de liste. L’électeur a toujours le choix entre le vote en tête de liste ou le vote de préférence pour un ou plusieurs candidats, mais l’effet dévolutif de la case de tête a été réduit par décret à un tiers (il était déjà ramené à la moitié). En pratique, l’effet de la mesure doit être nuancé, en tout cas pour ce qui concerne les élections communales, où le vote de préférence pèse déjà traditionnellement plus lourd que le vote en tête de liste. Après les citoyens des autres pays européens qui avaient pu participer aux élections pour la première fois en 2000, en 2006 les non-Belges originaires d’un pays en dehors de l’Europe obtenaient à leur tour le droit de vote pour les communales, mais pas pour les provinciales, ce dont il faut tenir compte dans l’analyse des résultats. Les règles électorales principales (vote obligatoire, représentation proportionnelle) sont conservées. Ce qui implique le maintien des différences existantes entre élections communales et provinciales. Ainsi, la transposition des rapports de voix en sièges concrets aux élections communales est faite selon le système Imperiali — avec un effet favorable pour les grands partis politiques et la formation de majorités homogènes — alors que, dans toutes les autres élections, donc aussi au niveau provincial, c’est la méthode D’Hondt qui est utilisée — plus proportionnelle et plus avantageuse pour les petits partis. On peut regretter qu’on n’ait pas tenté d’uniformiser les règles du jeu des deux élections locales.

Le VB chipe la place du VLD

En principe, les élections provinciales forment le meilleur instrument de mesure quant aux tendances sur le plan national ou flamand. Non seulement ces élections donnent lieu à des votes plus idéologiques que les élections communales, mais elles sont davantage comparables du point de vue des techniques électorales (système D’Hondt versus Imperiali). De plus, la formule de cartel a été généralement appliquée dans les districts électoraux provinciaux, alors que c’était loin d’être le cas dans les communes. D’autre part, les déplacements entre les partis dans les élections communales sont plutôt limités en comparaison avec les élections parlementaires. Si l’on compare les résultats des élections provinciales de 2006 avec celles de 2000, la différence la plus frappante est que l’ordre des partis a été bouleversé. Ce qui n’a pas changé, c’est que les démocrates-chrétiens restent le plus grand parti et que les socialistes occupent la troisième place. Mais là où, en 2000, les libéraux étaient globalement le deuxième plus grand parti, ils sont retombés à la quatrième place. Leur place est prise depuis les élections du 8 octobre par le Vlaams Belang. Il n’est pas inintéressant de constater que les résultats diffèrent selon les provinces. Ainsi, le VB devient pour la première fois le parti le plus important de la province d’Anvers, alors qu’en Flandre Orientale le VLD, plus grande formation après les élections de 2000, doit laisser sa position de tête au cartel CD&V/N-VA.

Les chrétiens reprennent leur souffle

Le parti démocrate-chrétien est traditionnellement fort dans les élections locales. Il a tout de même dû abandonner au cours des ans de nombreuses positions de monopole. Le parti avait connu un recul au cours des élections provinciales de 2000, mais récupère presque en 2006 son niveau de 1994. Si l’on prend en compte les élections fédérales et flamandes, on obtient un tableau contrasté. Après une période d’opposition difficile au début et une défaite aux élections fédérales de 2003, il s’est partiellement redressé lors des élections flamandes de 2004. Depuis son accession au gouvernement flamand le parti peut retrouver de l’oxygène. Cependant, si l’on tient compte de l’apport du partenaire N-VA (en 2000 la VU-ID obtenait encore quelque 6 %), alors le gain réalisé par le cartel le 8 octobre apparaît plutôt modeste. Sur le plan communal également, depuis les fusions, le parti a dû céder du terrain, mais en 2006 les démocrates-chrétiens ont renforcé leur position en Flandre. Deux explications sont souvent avancées: l’effet Leterme et la formule de cartel. Mais ici aussi, il faut faire plus d’une remarque. Non seulement le score reste suspendu entre les niveaux de 1994 en 2000, mais l’effet du cartel n’est pas toujours aussi évident. Dans 132 communes où le CD&V ne pouvait compter que sur ses propres forces, il a progressé en moyenne de 1,7 %, ce qui n’est pas significativement inférieur à sa progression dans les communes où il apparaissait en cartel avec le N-VA (+2 %). Plus fort encore, comparé au score cumulé du CVP et de la VU-ID en 2000 dans les 129 communes concernées, le cartel a même perdu 2 %. Si l’on sépare le résultat selon le degré d’urbanisation, il apparaît que le CD&V progresse à peine dans les grandes villes (et les villes régionales). L’effet Leterme n’a clairement pas joué partout aussi fort et certainement pas dans les villes.

Les socialistes progressent… grâce à Spirit

Tout comme les démocrates-chrétiens, les socialistes ont perdu au fil des ans pas mal de partisans. En comparaison avec 2000 le parti obtient un gain de presque 3 % mais n’arrive pas au niveau des élections flamandes de 2004, ni à égaler ses résultats des élections fédérales de 2003. Sur le plan communal les socialistes obtiennent en 2006 le score le plus élevé depuis la fusion des communes. Aujourd’hui, c’est le deuxième parti dans les communes. Ils ont engrangé – avec le Vlaams Belang – les plus grandes progressions. Et il est frappant de constater qu’ils ont le plus progressé là où ils se présentaient en cartel avec Spirit. Dans ces 58 communes ils gagnent presque 5 % contre une progression minime de 0,4 % dans les 96 communes où ils ne pouvaient compter sur l’appui de leur partenaire. Non seulement les socialistes font globalement de bons résultats, mais ils progressent dans tous les types de communes et le plus dans les villes.

Coup d’arrêt pour le VLD

En comparaison de 2000, les libéraux reculent de 4 % aux élections provinciales. Pendant des années, le parti a connu une progression constante ; particulièrement dans les années 1980 et 1990, il semblait avoir le vent en poupe. Sur le plan provincial il était devenu le deuxième parti le plus important, et même le premier. Lors des élections fédérales de 2003, il a reçu l’appui de presque un électeur sur quatre, devenant la première formation politique. Mais depuis le vent semble avoir tourné. Lors des élections flamandes, les libéraux arrivaient troisièmes, talonnés par les socialistes. Et le cartel avec Vivant ne semble pas faire avancer les choses, en tout cas au niveau provincial. Dans les communes aussi, la tendance bleue à la hausse s’est arrêtée. Les libéraux retombent au niveau d’avant la création du VLD. En fait le parti est le grand perdant, avec un gain dans seulement 12 % des communes. Il peut limiter les dégâts jusqu’à un certain point dans les petites communes, mais a nettement perdu dans les zones les plus urbanisées. Et ici aussi, le cartel avec Vivant a apporté peu de soulagement. Bien sûr les exceptions confirment la règle et le parti a pu, ici et là, engranger quelques bons résultats. Mais la tendance générale ne peut être niée.

Groen! se maintient

Comme pour les libéraux, l’histoire verte montre une tendance claire. Aux élections provinciales, en comparaison avec Agalev en 2000, Groen! fait nettement un plus mauvais résultat. Le parti se maintient cependant au niveau des élections flamandes de 2004. Le résultat des urnes désastreux de 2003 semble former une exception. Ce qui plaide en sa faveur, c’est le fait que Groen! a obtenu ce résultat provincial en s’appuyant uniquement sur ses propres forces. En ce qui concerne les élections communales, Groen! atteint le niveau de la fin des années 1980. Le parti est traditionnellement moins bien représenté au niveau local et devrait y investir solidement s’il veut avoir un avenir. Groen! tient encore le mieux dans les communes de banlieue hors des villes (souvent vertes et prospères), mais dans les villes elles-mêmes comme dans les communes autonomes il en est à panser ses plaies (dans les communes de moins de 7 500 habitants, Groen! ne se présentait plus comme parti autonome).

Le VB, un peu mieux que 2004

Le Vlaams Belang a quant à lui progressé sur le plan provincial à chaque élection, passant de 11 % (en 1994) à 15 % (en 2000) puis à 21,5 % en 2006. Cette série gagnante du parti paraît seulement s’interrompre si l’on fait la comparaison avec les élections flamandes de 2004, quand il obtenait plus de 24 % en Flandre. Tout comme au niveau provincial, c’est le Vlaams Belang qui connaît les gains les plus importants aux communales de 2006. Son changement de nom en Vlaams Belang à la suite d’une condamnation pénale ne semble pas avoir arrêté sa progression. Il est important de constater que, dans les communes où il se présentait pour la première fois, le VB obtient 11,6 % en moyenne. Dans les communes où il avait déjà participé aux élections communales, il connaît encore une progression de 5 %. Le VB est désormais représenté au conseil communal de 215 communes flamandes. Cependant, même le résultat du VB n’est pas univoque. Il fait ses meilleurs scores en zone urbaine (villes régionales, communes d’agglomération et de banlieue) mais dans une série de villes, dont Anvers, Gand et Malines, il s’est nettement heurté à un plafond électoral. Cela ne l’empêche pas de progresser dans 98,2 % des communes où il présentait des listes aussi bien en 2000 qu’en 2006. Enfin, le résultat des urnes communales est toujours fortement coloré par la présence de listes locales, bien que leur importance soit en recul. Ainsi en 2006, au moins une liste locale était présente dans 71,1 % des communes, contre 80,8 % en 2000. Sur le plan provincial, où les partis politiques nationaux dominent les élections, ce phénomène est absent (à quelques exceptions près). Il faut remarquer que cette dénomination uniforme de «liste locale» masque en fait une grande diversité. Il s’agit souvent de cartels entre des sections locales de partis politiques nationaux. A première vue, les listes locales gagnent 2,5 %. Elles confirment surtout leur score dans les petites communes. Dans les villes, leur score électoral moyen est surestimé par le «camouflage» des partis nationaux dans un habit local (par ex. le VLD à Malines et le SP.a à Hasselt et Genk).

Tous vainqueurs (ou presque)

On se forme une image des pertes et des gains souvent dès le soir des élections. Le 8 octobre 2006, tout le monde semblait d’accord quant à la victoire du CD&V/N-VA sur toute la ligne, la victoire des socialistes dans les villes, celle du VB dans les plus petites communes mais sa stagnation dans les villes, et le recul des libéraux et de Groen!. Dans les communes, les démocrates-chrétiens ont effectivement regagné du terrain, mais avec le pourcentage obtenu, ils en restent à la moitié du résultat qu’ils enregistraient à mi-chemin de la deuxième moitié des années 1990. Aux élections provinciales également le CD&V/N-VA fait mieux en cartel qu’en 2000, mais n’arrive pas à atteindre son niveau de 1994. Le cartel gagne, aux élections provinciales, quelque 4 % comparé aux résultats des dernières élections flamandes. On peut considérer jusqu’à un certain point que les scores CD&V aux élections provinciales sont flattés par le fait que ces élections font fonction d’élections de «second ordre» à côté des élections communales et que les démocrates-chrétiens profitent ainsi d’un «bonus communal». De plus, les résultats du cartel CD&V/N-VA (du moins aux élections communales) indiquent que «un plus un est parfois moins que deux». Du reste, là où le N-VA se présentait indépendamment, ses résultats sont mauvais. Il n’est pas absurde d’imaginer que la N-VA soit le vainqueur en termes de mandats (et de futurs portefeuilles d’échevin) à l’intérieur du cartel. L’image de la victoire socialiste montre aussi des zones grises. En fait, elle est plus importante dans les communes que ce qui était admis initialement. Les socialistes semblent, également aux élections provinciales, profiter davantage de l’apport du partenaire Spirit. Mais ils n’atteignent tout de même pas au niveau provincial (celui que l’on peut comparer au niveau flamand) les résultats des précédentes élections fédérales et régionales. L’euphorie des résultats électoraux à Anvers ne peut pas faire oublier que le Vlaams Belang continue à grandir dans nos communes et qu’il est trop tôt pour parler de stagnation. Le VB a certes obtenu des scores inférieurs à ceux des dernières élections flamandes, mais le passé nous apprend qu’il fait habituellement mieux aux élections fédérales et régionales. Enfin, cette contribution confirme bien l’image que l’on se faisait concernant Groen! et le VLD. Les deux perdent nettement du terrain et retombent au niveau de la fin des années 1980. La seule lueur pour Groen! est d’avoir atteint le résultat des élections flamandes de 2004. Pour le VLD, nous ne trouvons aucun signe d’espoir, sinon la comparaison avec les sondages préélectoraux…