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Vote des jeunes : comment l’extrême droite s’est emparée des réseaux sociaux
04.06.2024
L’extrême droite est de plus en plus populaire parmi les jeunes Européens. Alors que plus d’un jeune sur deux s’informe sur les réseaux sociaux, les partis d’extrême droite trouvent sur ces plateformes un écho particulier, qui leur permet de se démarquer des autres partis politiques. Entre sponsoring, jeunes influenceurs et algorithmes favorisant les contenus au centre de controverses, l’extrême droite ne manque pas de ressources pour développer d’importantes communautés en ligne.
Le 09 juin, l’Europe élira les 720 députés qui siègeront au Parlement pour les cinq prochaines années. Parmi les votants potentiels, 33 millions ont entre 18 et 24 ans. Au sein de cette jeunesse, l’extrême droite a montré des scores importants lors des dernières élections nationales : 18% des 18-24 en France, 18% aussi en Italie, 20% des 16-29 en Autriche, 22% des 18-21 en Suède, etc. Pour la majorité de ces jeunes, les réseaux sociaux incarnent le principal espace de débat.
Les réseaux sociaux constituent donc un enjeu important pour les partis qui souhaitent accroître la part de jeunes dans leur électorat. Déjà en 2008, la campagne présidentielle de Barack Obama prouvait l’importance de maîtriser ce terrain. Depuis, les réseaux sociaux font partie intégrante des stratégies de campagne des partis. Sur Facebook et Instagram, les deux réseaux du groupe Meta fondé par Mark Zuckerberg, les partis politiques ont recours au sponsoring de posts pour accroître leur visibilité. L’extrême droite n’échappe pas à la tendance.
Méthode :Meta fournit une base de données avec les montants dépensés en publicités sur Facebook et Instagram. La période analysée remonte d’avril 2019 (première date fournie par Meta) à décembre 2023 (date marquant la fin de récolte des données de ce projet). |
Pour Benjamin Biard, chercheur au CRISP sur les questions de démocratie et partis politiques, le score du Vlaams Belang en Flandre est dû à un choix stratégique : “Au sein des autres partis [belges, ndlr.], la majorité des dépenses va dans les ressources humaines. La première source de dépenses du Vlaams Belang est la propagande au sens large : communication sur les réseaux sociaux, tracts, drapeaux flamingants, etc.”
Et pour les autres partis européens ? François Debras, professeur associé à l’ULiège et spécialiste des discours de l’extrême droite, rappelle que la communication alternative a toujours fait partie de la stratégie de l’extrême droite : “Le Front National était le premier parti en France à avoir un site internet, par exemple.”
Des contextes différents
L’extrême droite n’est pas la seule à investir dans les réseaux sociaux. En Belgique et dans ses pays limitrophes, elle ne rivalise pas toujours à armes égales avec ses homologues.
En Belgique, le Vlaams Belang compte 70 % de dépenses en plus par rapport aux autres partis belges. On observe la même tendance en France où le Rassemblement National a un budget 98 % plus élevé que ses homologues.
À l’inverse, le Partij Voor de Vrijheid (PVV), dernier vainqueur surprise des législatives aux Pays-Bas, affiche un score 98 % moins élevé que la moyenne des autres partis, pour la même période. En Allemagne, l’Alternative für Deutschland (AfD), qui a déclenché une grande vague de mobilisation contre sa hausse dans les sondages, est plus équilibré même s’il a dépensé 39 % moins que ses concurrents.
Cet investissement se traduit-il positivement dans les résultats électoraux des plus jeunes ? En Belgique, le sondage le plus récent (mars 2021), réalisé par Ipsos, montre que le Vlaams Belang capte 20 % des intentions de vote des Flamands entre 18 et 34 ans. Il est premier dans cette classe d’âge. En France, 18% des 18-24 ans ont déclaré avoir voté pour le Rassemblement National au premier tour des législatives 2022. Cela en fait le deuxième parti le plus plébiscité parmi les jeunes derrière la coalition socialiste de la NUPES.
En Allemagne, l’AfD a conquis 6% des 18-24 ans aux législatives de 2021. Aux Pays-Bas enfin, le PVV n’aurait obtenu que 12 sièges sur les 17 prévus aux législatives de 2021 si seuls les 18-24 ans avaient voté. C’est ce que déduit un sondage Ipsos commandé par le média néerlandais NOS.
Cette analyse n’est qu’une extrapolation de données provenant de sondages divers, avec des temporalités différentes. Elle n’explique pas à elle seule le succès de l’extrême droite chez les plus jeunes. Pour Benjamin Biard, d’autres raisons peuvent s’ajouter : “La communication populiste de ces partis invoque des discours qui peuvent être perméables auprès d’un électorat plus jeune, moins informé des particularités du système politique.”
Les “influenceurs” de l’extrême droite
Investissement massif ou non, sur les réseaux sociaux, l’extrême droite semble être plus populaire que les partis traditionnels.
Méthode :Les données proviennent des pages officiels des partis concernés. Elles comprennent les pages générales des partis ainsi que les pages personnelles des représentants principaux. Les chiffres annoncés représentent l’état des pages en décembre 2023. |
Sur les réseaux sociaux, les algorithmes jouent un rôle majeur. Ils sélectionnent les contenus qui sont susceptibles de générer le plus d’engagements (likes, partages, commentaires, etc.) et les proposent ensuite à un échantillon plus ou moins grand d’utilisateurs. Plusieurs chercheurs ont démontré que ces algorithmes ont tendance à mettre plus en avant les contenus d’extrême droite que ceux de gauche, parce qu’ils suscitent généralement davantage de controverses.
Ainsi, François Debras explique : “L’information est raccourcie pour être plus accessible. C’est plus facile de tomber dans le populisme. La haine se propage aussi beaucoup plus rapidement que les autres sentiments.” La popularité des pages d’extrême droite pourrait venir de là : “Leur avantage est qu’ils n’exercent pas le pouvoir. Il est donc plus facile d’avoir un discours anti-système”, détaille Benjamin Biard.
Le chercheur avance la notion de “galaxie d’extrême droite” pour désigner non seulement les partis, mais aussi une série d’acteurs comme les mouvements politiques à l’instar de Schield & Vrienden en Flandre et certains “influenceurs” d’extrême droite comme Dries Van Langenhove, président dudit mouvement. En 2023, Benjamin Biard a publié une recherche sur le parti d’extrême droite Chez Nous, qui tente de s’installer en Wallonie. “On remarque que beaucoup de jeunes qui se sont investis dans le parti en ont d’abord entendu parler sur les réseaux sociaux, par des influenceurs de cette ‘galaxie’, comme Thaïs d’Escuffon.”
Un investissement sur les réseaux sociaux ne traduit pas de facto une envie de toucher la jeunesse. Ces montants englobent les publicités dirigées vers tous les utilisateurs, sans considération de leur âge. Benjamin Biard observe toutefois “une volonté d’être présent sur les réseaux utilisés par les jeunes, notamment TikTok.”
Alors que 38% des 18-24 déclarent consommer du contenu sur TikTok en 2023, contre 5% en 2019, plusieurs de ces partis d’extrême droite sont ainsi apparus sur la plateforme.
Entre autres exemples, l’Alternative für Deutschland qui compte plus de 400.000 abonnés ou encore Jordan Bardella, président du Rassemblement National, qui monte à plus d’un million en janvier 2024.
En plus des comptes officiels, il faut penser aux “influenceurs d’extrême droite”, parfois très jeunes, qui partagent ces contenus à leur communauté en ligne. “Au lieu d’avancer un programme, on publie pour créer de l’échange et une communauté”, détaille François Debras.
Rééquilibrer la balance
Que faire face à la popularité des discours extrémistes sur les réseaux sociaux ? Il y a d’abord la question de la législation. En Belgique par exemple, la publicité électorale sur les réseaux sociaux ne fait l’objet d’aucun contrôle prévu par la loi. Des députés du CD&V et de DéFI ont porté un texte à la Chambre des représentants visant à imposer un plafond d’investissement pour les partis. “Le plus difficile est de trouver un compromis avec les forces en présence”, s’inquiète Benjamin Biard, chercheur au CRISP.
Autre solution : investir plus. “Certains partis disposent aussi de montants conséquents. Ce sont des choix stratégiques”, constate le chercheur au CRISP. “Tous les jeunes ne sont pas attirés par l’extrême droite. Il en reste à convaincre sur les réseaux sociaux.”
La dernière piste avancée par François Debras est liée aux discours. “Il ne faut pas laisser le monopole de l’émotion à l’extrême droite”, selon le professeur associé à l’ULiège. Cela n’équivaut pas à abandonner tout raisonnement démocratique sur les réseaux sociaux. “On a besoin de l’émotion pour faire réagir. Par la suite, il faut évidemment créer et développer un programme.”