mobilité
Voitures de société : un changement de cap difficile
16.09.2022
Cet article est paru originalement sur le site de Politique le 19 juillet 2017.
C’est ce qui a amenés une partie des acteurs politiques – essentiellement les deux partis écologistes et le SPA – dès la fin des années 1990 à vouloir imposer des plans de déplacement aux entreprises. Le débat s’est intensifié à l’époque du gouvernement « arc-en-ciel » – présidé par le libéral flamand Guy Verhofstadt (1999-2002) – dont ces partis étaient membres, mais les points de vue étaient fort distants entre ces trois partis et leurs trois autres partenaires (en l’occurence le PS et les deux partis libéraux).
C’est alors que, sur la proposition conjointe du président du Conseil central de l’Économie et du secrétaire du Conseil national du travail, la ministre de la Mobilité Isabelle Durant (Ecolo) proposa de rendre obligatoire le débat sur la mobilité au sein des entreprises, en laissant au dialogue social le soin d’aboutir à des changements de comportements de mobilité. Complémentairement à ce levier pour un changement de culture, la connaissance de la réalité de ces déplacements devait en être améliorée.
L’imposition de ce diagnostic aux entreprises de plus de cent travailleurs fit l’objet d’un appui unanime des partenaires sociaux qui furent étroitement associés à sa mise en oeuvre. Les formalités administratives furent réduites au minimum grâce à une collecte automatisée des données anonymes relatives au personnel via la Banque-Carrefour de la Sécurité sociale. Seules les données qualitatives relatives à la mobilité doivent faire l’objet d’un document, celui-ci étant obligatoirement concerté avec les syndicats.
Obligation légale depuis 2005 en Belgique, le diagnostic des déplacements domicile-travail permet de recueillir des données très précises sur ces déplacements et sur les politiques de mobilité des entreprises et concerne plus d’un million et demi de personnes.
En 2009, sur proposition du ministre de l’Environnement, la Région de Bruxelles-Capitale a opté pour sa part pour l’imposition de plans de déplacements aux entreprises de plus de cent travailleurs, celle-ci venant s’ajouter au diagnostic fédéral. Ces plans doivent porter sur l’ensemble des déplacements générés par les entreprises et pas uniquement sur les déplacements domicile-travail. Dans les deux autres Régions, cette obligation n’existe pas.
Les voitures de société
Comme le soulignait récemment le Brussels Studies Institute , il existe encore de nombreux désaccords à propos des concepts, définitions et chiffres utilisés, qui rend problématique l’estimation précise du nombre de voitures de société.
Selon les recherches menées par le BSI et sur base des données disponibles pour l’année 2015, on peut avancer le chiffre de 625 000 voitures de société, ce qui correspond à 13,5 % des travailleurs et 11 % du parc automobile belge.
La cartographie du lieu de résidence des salariés bénéficiaires montre que les voitures de société sont, proportionnellement au nombre d’emplois concernés, plus nombreuses en Flandre et à Bruxelles qu’en Wallonie – avec toutefois une surreprésentation du Brabant wallon qui en compte le plus. Globalement, c’est essentiellement dans les grandes aires métropolitaines du centre et du nord du pays que les surreprésentations s’observent.
Une approche focalisée sur le lieu de travail en Région de Bruxelles-Capitale montre que les entreprises qui offrent le plus cet avantage à leurs salariés ont une logique d’implantation très dépendante de l’automobile et se situent essentiellement dans des zonings périphériques. Mais ce ne sont pas forcément leurs travailleurs qui parcourent les plus longues distances domicile-travail.
Selon une note du service d’études de la Commission européenne (DG Economie et Finances), l’Etat belge aurait, à cause du régime fiscal des voitures de société, un manque à gagner d’environ 3,75 milliards d’euros en 2016 : deux milliards en impôt des personnes physiques et 1,75 milliards en cotisations de sécurité sociale non perçues.
De nombreux experts belges et internationaux estiment que cette situation est nocive pour la mobilité et l’environnement, y compris des fondations privées comme celle créée par IBM pour réfléchir au développement de « Smart Cities ».
Les choix politiques
Face à ce constat et à ces nombreuses remises en question, quel choix politique doit-on dès lors poser ?
Faut-il remettre en cause ce manque à gagner pour la sécurité sociale actuellement en difficulté et menacée de toutes parts ? Par exemple, faut-il traiter les voitures de société de la même manière que les autres avantages en nature, qui donnent lieu à des cotisations de sécurité sociale ? Faut-il plutôt utiliser le budget actuel dédié aux voitures de société pour en faire un levier de changement des comportements de mobilité – c’est l’option du « budget mobilité » – ou encore en gardant le principe actuel mais en taxant plus ceux qui font plus de kilomètres ? Ou une combinaison des deux approches ?
Au sein des structures de concertation sociale, les fédérations patronales et les organisations syndicales en ont longuement débattu pour aboutir en avril dernier à la proposition d’un « budget mobilité » combinant diverses options (transport en commun, vélo, voire allocation logement) et ouvert à tous les travailleurs.
La proposition recommande de soumettre ces services à impôts et cotisations sociales, mais moins que le salaire brut. Dans leur esprit, si ces possibilités sont épuisées et s’il reste de l’argent, l’employé pourrait recevoir du cash mais celui-ci serait taxé comme le salaire brut.
Certaines entreprises, et non des moindres, pratiquent déjà dans les faits une approche de budget mobilité, ainsi par exemple Sibelga et Proximus.
En juin 2017, la Région de Bruxelles-Capitale a décidé d’obliger les entreprises de plus de cent travailleurs, lorsqu’elles proposent des voitures de société à leur personnel, de proposer la substitution de cette voiture de société par un « paquet mobilité ». Ce paquet mobilité offre au travailleur les modes de transport adaptés à ses besoins incluant notamment le vélo en libre-service, les abonnements de transports publics ou le vélo (y compris électrique à partir de 2020).
À la demande de l’employé, tant que l’entreprise n’a pas attribué de paquet mobilité, elle doit offrir en combinaison à la voiture de société l’abonnement du vélo en libre-service, et, le cas échant, l’abonnement annuel de transports en commun.
La décision du Gouvernement fédéral
Début juillet, le gouvernement fédéral refusait de s’engager dans une autre politique de mobilité comme le souhaitaient tant les interlocuteurs sociaux que le ministre de l’Economie et de l’Emploi : celui-ci proposait d’étendre l’avantage fiscal des voitures de société à d’autres formes de mobilité.
L’exécutif fédéral décidait de donner dorénavant le choix aux travailleurs entre la voiture de société et du cash dans le cadre de la très mal nommée « allocation de mobilité » : c’est le scénario « cash for car », préparé par un cabinet de consultance engagé par le ministre des Finances, qui a été retenu.
Le choix est laissé à l’entière liberté du travailleur comme de l’employeur. Le cash ainsi éventuellement octroyé reçoit le même statut fiscal et social que la voiture de société. Mais il est réservé aux entreprises offrant des voitures de société depuis au moins trois ans et aux employés qui en ont bénéficié durant les trois dernières années durant douze mois consécutifs.
Bref, le plus mauvais choix pour la mobilité, l’environnement et la sécu… Mais peut-être pas pour les employeurs : selon Le Soir, il sera gagnant à tous les coups car le montant du cash à verser serait de 17 à 44% moins élevé que le coût réel de la voiture qu’il doit financer aujourd’hui.
Il faudra toutefois voir ce que pensera le Conseil d’Etat d’une mesure qui apparaît comme discriminatoire sur le plan fiscal.
Entretemps, Acerta, un groupe actif dans le secteur des ressources humaines, n’a rien trouvé de mieux que de faire campagne contre le budget mobilité et pour l’élargissement de la voiture de société à un plus grand nombre de travailleurs. Ce groupe prétend que de nombreux travailleurs seraient même prêts à réduire leur salaire pour disposer d’une voiture de société.
Il y a visiblement encore du boulot pour que les décideurs, ainsi que les citoyens et les entreprises, prennent la mesure des défis sociaux, environnementaux, et de mobilité.