Politique
Vers un nouveau compromis philosophique ? [introduction]
06.09.2010
Arrive l’islam dans les bagages des travailleurs immigrés. D’abord discret et contingent : c’est, pensent-ils, un obstacle à leur bonne intégration dans la société et ils ne veulent pas mettre les autochtones mal à l’aise. Puis cet islam s’affirme et devient visible. La crise économique qui frappe d’abord les travailleurs les plus pauvres les pousse à mobiliser leurs ressources propres, y compris culturelles et religieuses. Et leurs enfants, qui sont nés belges, n’ont plus de raison de raser les murs. Enfin, malgré le « stop » migratoire de 1974, l’immigration marocaine et turque ne s’est jamais tarie. Et certains quartiers se colorent ethniquement au point d’en faire des enclaves méditerranéennes. Ces citoyens belges de confession musulmane doivent-ils s’ « intégrer » dans le compromis philosophique en vigueur conclu entre de vieux adversaires-complices? Et s’ils ne s’y retrouvent pas, ont-ils le droit de le contester? Démocratiquement, il n’y aurait rien à y redire. Sauf qu’en affirmant leur volonté d’interférer dans l’organisation collective, ils semblent remettre en cause un élément de base d’une certaine vulgate laïque : la conviction que l’émancipation (en ce compris l’égalité entre les femmes et les hommes, le droit des gays et des lesbiennes, la liberté sexuelle, la mixité) va de pair avec l’affaiblissement de la religion comme phénomène social et sa relégation dans la sphère domestique. Doit-on tolérer un nouvel obscurantisme sous couvert de respecter les libertés individuelles? Mais, à rebours, va-t-on persister dans ce vieux comportement de l’homme blanc qui impose à la planète entière sa recette du bonheur? De ce dilemme, les « valeurs de gauche » ne sortent pas indemnes. Pour ouvrir le feu, Vincent de Coorebyter explique comment l’irruption d’un acteur tiers pose dans des termes inédits l’articulation entre laïcité et neutralité. Henri Goldman revient sur la notion controversée des « accommodements raisonnables », évoquée dans d’autres articles, qui pourrait amender de manière pragmatique le compromis en vigueur, sous réserve d’un débat décrispé. Caroline Sägesser montre comment et pourquoi c’est le courant laïque qui a été le plus déstabilisé par l’irruption d’un islam visible, au point de s’être fracturé en profondeur. Illustration de cette fracture, Willy Wolsztajn et, en réponse, Marc Jacquemain, tous deux membres du collectif éditorial de Politique et laïques engagés, donnent leur vision de l’islam dans la société. Enfin, Henri Goldman et Édouard Delruelle explicitent les enjeux d’une controverse qui, plus encore sans doute que celle du foulard à l’école, condense les tensions liées à l’émergence de l’islam en Europe : celle des signes religieux dans l’emploi public. Ce Thème a été coordonné par Henri Goldman.