Politique
Valeur travail
28.10.2007
VALEUR TRAVAIL : Depuis que Nicolas Sarkozy en a fait la promotion, les enchères sur la «valeur travail» n’ont pas cessé de monter. Non pas comme dans un marchandage habituel où la rareté de l’objet échangé en augmente le prix, mais au contraire, dans la mesure où travailler plus accroît sa valeur, curieusement, c’est gagner moins qui en devient le prix. Si bien que dans un marché du travail de «concurrence libre et non faussée», travailler plus réhabiliterait la valeur travail alors même que l’heure prestée serait moins rémunérée. Travailler serait, comme chacun le sait, un devoir qui permettrait de surcroît l’intégration sociale et la réalisation individuelle. Si l’on peut trouver le bonheur dans le travail, pourquoi se préoccuperait-on de son prix ? Et encore moins de se poser cette question saugrenue qui consiste à savoir qui travaille pour qui ? La valeur travail transcende les considérations matérielles et devient ainsi une obligation morale. Si chacun acceptait enfin avec joie, comme l’avait suggéré naguère Henri de Man dans son livre La joie au travail (1930), l’obligation de travailler au lieu de se la voir imposer, l’harmonie sociale serait enfin rétablie. Une fois pour toutes, une histoire sociale qui a assimilé la valeur que revêt le travail pour les individus à une diminution du temps de travail, une augmentation des salaires, une amélioration des conditions de travail, et la protection de ceux qui sont privés d’emploi, se trouve ainsi disqualifiée. Il s’agit désormais de travailler toujours plus pour gagner plus si possible, sinon la même chose et moins s’il le faut. Les promoteurs de la valeur travail nous invitent à rêver avec eux à une société où le zèle au travail serait un accomplissement individuel et moral. Nicolas Sarkozy avait gagné les élections en choisissant son camp : il était avec ceux qui se lèvent tôt et contre ceux qui se lèvent tard. Lorsque, lors des fêtes de Wallonie, on exalte la fierté par le travail, qui devrait être l’apanage de chaque Wallon, pense-t-on à ceux qui sont privés d’emploi, ou encore à ceux encore plus nombreux, qui ne peuvent échapper à la pauvreté en raison de la mauvaise qualité des emplois offerts ? Croît-on vraiment que l’injonction à l’emploi est susceptible de procurer la fierté par le travail ? En revenant au puritanisme du travail par la restauration de la valeur travail, nous nous débarrassons du même coup de cette conception du travail à laquelle la droite ne s’est jamais résignée : celle précisément où le travail est au fondement des droits sociaux et d’une citoyenneté où ces droits ne sont pas dissociables des droits civils et politiques. Dans une telle société, le travail obligatoire est banni et le droit au travail est indissociable de la possibilité offerte aux individus de ne pas accepter n’importe quel emploi. Lorsque imperceptiblement les devoirs se substituent aux droits, la valeur travail ne sert plus qu’à occulter la valorisation du capital par le travail. Sans droits sociaux issus du travail, à quoi la citoyenneté serait-elle réduite et que resterait-il encore de la démocratie ?