Politique
Une troisième voie ?
08.01.2008
Des initiatives telles que la «semaine contre le racisme», les campagnes de sensibilisation dans les écoles ou autres actions sont importantes dans la lutte antiraciste. Mais trop souvent dans l’organisation, on néglige la réflexion théorique sur les moyens à mettre en œuvre et le sens à donner aux actions menées pour combattre avec plus d’efficacité ce fléau qu’est le racisme. Dans le même temps, il convient d’insister sur le refus de tout paternalisme ou toute politisation du combat antiraciste. On peut reprocher à certaines associations antiracistes de privilégier la scène médiatique alors que sur le terrain, elles sont parfois peu présentes. On assiste effectivement à des soutiens politiques de certains mouvements dits antiracistes qui n’ont pas vraiment de légitimité auprès des populations discriminées. On promeut des associations comme «Ni putes ni soumises» à coups de subsides et de projecteurs médiatiques alors que des associations qui militent activement depuis des dizaines d’années sur le terrain n’ont parfois aucune reconnaissance. Ainsi, l’un des défis du combat de l’antiracisme sera de revenir à la base, dans certains quartiers délaissés, de militer avec les populations qui subissent au quotidien des actes discriminatoires, afin que ces dernières soient acteurs et non plus simplement sujets de ce combat.
« Une «intolérance universaliste? »
Dans le cadre de cette réflexion du mouvement antiraciste, quelle piste privilégier? Les antiracismes universalistes ou les antiracistes différentialiste Sur cette distinction, lire P.-A. Taguieff, Les fins de l’antiracisme, Paris, Michalon, 1995 ? Deux luttes peuvent effectivement être distinguées à partir de deux logiques différentes. D’une part, la logique universaliste qui refuse de considérer toute différenciation. Cette logique comporte le risque de vouloir à tout prix faire disparaître tout indice de particularisme. Ainsi, il peut y avoir différentes interprétations du sens de l’universel. Certaines sont proches du paternalisme. À titre exemplatif, reprenons l’une des réflexions d’Emmanuel Todd qui légitime l’hostilité au foulard islamique comme quelque chose de fondamentalement universaliste car la raison première de l’interdiction serait de ne pas voir de différence entre les hommes. Il parle d’ailleurs d’intolérance universaliste… Emmanuel Todd, «Le débat a été corrompu par l’idée qu’être universaliste, c’est être gentil»,dans Lucien Bitterlin (dir.), L’antiracisme dans tous ses débats, Panoramiques, Paris, 1996 D’autre part, la logique qui met en évidence le droit à la différence en valorisant les cultures différencialistes. Cette thèse séduit ceux qui s’attachent à respecter les différences culturelles mais le risque, dans ce cas-ci, est de légitimer l’inacceptable par des raisons liées aux coutumes et traditions. L’excision des jeunes filles est un exemple qui pose la question de la limite de cet éloge de la différence.
L’Islam, un révélateur
Depuis septembre 2001, on assiste à une véritable «guerre idéologique» d’intellectuels ou d’acteurs politiques qui ne cherchent pas à promouvoir l’idée universaliste mais bien les thèses différentialistes. Ces dernières années, on a également pu observer une cristallisation des débats liés aux constructions médiatiques et politiques du bien et du mal. Cette vision binaire a des retentissements importants sur le plan local où des réactions identitaires peuvent se développer. On est loin d’en mesurer la portée… Rappelons que l’illustration des différentes formes de racisme change avec le temps et le contexte. Sa traduction n’est pas homogène. Le racisme se présente sous des formes qui parfois ne sont pas d’emblée identifiables. Il faut pouvoir appréhender ses réalités multiformes pour pouvoir mieux les combattre. La diffusion «exponentielle» d’idées islamophobes mérite qu’on s’y attarde pour comprendre afin de mieux agir. La banalisation de certaines attitudes discriminatoires contribue à «légitimer» une certaine forme de racisme. Il n’est pas normal qu’aujourd’hui beaucoup nient le phénomène islamophobe, ou ne le prennent pas suffisamment en considération. Certains intellectuels À titre illustratif, citons le directeur de l’hebdomadaire Le Point, Claude Imbert, qui se déclare clairement islamophobe dans l’ouvrage d’Yves-Charles Zarka, Islam en France, Cités, Hors Séries, Paris, PUF, 2004 n’hésitent à pas exprimer sans ambiguïté leur aversion pour l’islam. Sans qu’on s’en émeuve. Les victimes du racisme qui ont pris leur destin en mains et se sont engagées concrètement sur le terrain ont parfois dérangé certains militants de la vieille école de l’antiracisme. En effet, quand un citoyen arabo-musulman prend la présidence d’une association antiraciste Nous faisons clairement allusion à la présidence de Radouane Bouhlal au Mrax (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie) qui a suscité de vives tensions chez quelques militants antiracistes , il suscite des interrogations voire même de la suspicion. On se questionne sur les intentions et les motivations d’une telle démarche. Le doute subsiste… L’enjeu du débat est double : d’une part, de voir apparaître une surenchère du monopole de la représentation antiraciste par des laïques universalistes et d’autre part, d’assister à l’éclosion d’associations antiracistes dont la base serait ethnique, donc différentialiste.
Sur ce dernier point, certaines victimes de racisme sont tentées de créer des groupements antiracistes qui défendraient les discriminations liées à leur communauté ethnique ou religieuse. L’union sacrée autour de la lutte contre toute forme de racisme est questionnée. Le mouvement antiraciste aurait du mal à vivre sa tension constitutive entre l’aspiration universaliste et la reconnaissance de la diversité. Certains se posent la question de savoir si l’irruption de l’islam européen serait révélatrice de cette tension. Ils devraient davantage orienter leur réflexion vers les conséquences des fractures sociales de nos sociétés. Il convient de se poser les bonnes questions pour trouver les bonnes réponses. Le piège qui brouille notre regard c’est l’ethnicisation, voire l’islamisation des tensions. Ainsi, dans le discours, la fracture ethnique a remplacé la fracture sociale. La lutte antiraciste a besoin de militants déterminés qui puissent tenir compte de la réalité des peurs qui traversent nos sociétés en arrêtant de fausser le débat en ethnicisant les questions sociales.
La synthèse est possible
̀L’avenir, les enjeux de l’antiracisme seront de faire front, ensemble, autour de valeurs communes et vers un objectif identique : la lutte contre les discriminations et la montée de l’extrême droite. En somme, unis comme les maillons forts d’une chaîne solide, les mouvements antiracistes pourraient mieux lutter contre toute forme de racisme. Il faut en effet ne pas perdre de vue ce qui est l’essence même de la lutte antiraciste. Sur le clivage universel et particulier, nous sommes partisans d’une troisième voie. Nous nous situerons entre ces deux logiques. Il n’est effectivement pas aisé de jongler entre la logique universaliste et particulariste. Cela étant, la conciliation est possible en réaffirmant avec force les valeurs universelles tout en laissant une certaine marge de manœuvre aux spécificités culturelles. Les deux logiques ne sont pas toujours antinomiques et peuvent aboutir à une universalité dans le respect des différences. Pour terminer, relançons l’appel de P.-A. Taguieff pour «repenser l’antiracisme, c’est-à-dire de le penser, dans ses fondements, ses fins et ses limites» P.-A. Taguieff, Les fins de l’antiracisme, Paris, Michalon, 1995. Nombre d’observateurs constatent l’augmentation du racisme. La priorité du mouvement antiraciste sera de mener une réflexion approfondie sur les nouvelles formes de racisme afin qu’il puisse reprendre la voie de l’efficacité pour redonner toute sa réalité à une véritable interculturalité.