Politique
Un « monarchisme » à visage humain
04.07.2013
En Belgique, on se plait à souligner que la monarchie n’est pas de droit divin mais procède d’un choix fait par le Congrès national en 1830. Cette rengaine lui donne un parfum de démocratie. On oublie de rappeler que ce Congrès national n’avait aucune légitimité populaire : il fut élu par à peine 30 000 électeurs.
Justifier la monarchie par des raisons de commodité est d’une simplicité enfantine : depuis l’école maternelle, on nous décrit « nos souverains » comme de grands ambassadeurs de notre pays à l’étranger mais, surtout, comme les garants de la cohésion et de l’unité de la Nation et comme facteurs d’apaisement et de réconfort aussi bien en cas de crises politiques que de calamités naturelles (ils doivent beaucoup aux inondations…). Cet empirisme de cuisine m’a toujours étonné : de l’esclavage à l’inégalité des sexes, en passant par le régime féodal, toutes les institutions barbares ou rétrogrades, toutes les pratiques iniques, ont toujours trouvé des défenseurs usant d’arguments frappés, en apparence, au coin du bon sens. L’argumentaire classique des conservateurs de tous poils se complète d’ordinaire par l’inévitable « spectre du chaos », le tout saupoudré d’un titillement du vieux ressort psychologique qui veut qu’on ne lâche que difficilement une proie, fût-elle de peu d’intérêt, voire gênante, pour une ombre.
La cour a des thuriféraires patentés et stipendiés, tant dans les mass media que – ce qui est plus surprenant – dans les milieux universitaires, qu’elle récompense à coup de titres de noblesse ou qu’elle flatte par des réceptions « au Palais ». Leur plaidoyer, souvent talentueux, fait mouche à en croire les sondages, mais agite des arguments éculés dont certains furent envoyés par Mirabeau ou Lafayette pour tenter – heureusement en vain – de sauver la monarchie de Louis XVI. En Belgique, on se plait à souligner que la monarchie n’est pas de droit divin mais procède d’un choix fait par le Congrès national en 1830. Cette rengaine lui donne un parfum de démocratie. On oublie de rappeler que ce Congrès national n’avait aucune légitimité populaire : il fut élu par à peine 30.000 électeurs. Les autres justifications classiques n’ont guère plus de consistance. Jetons-y un coup d’œil.
Un ciment national ?
La monarchie, va-t-on répétant, assurerait la cohésion du pays et freinerait les nationalismes régionaux centrifuges. Soulignons d’abord que, si « ciment » il y a, cela ne réjouit pas tout le monde : il n’y a rien de scandaleux à être séparatiste dès lors que l’on a fait le constat que les différences sociologiques et culturelles entre le nord et le sud du pays sont de plus en plus profondes. Et lourdes. Quant aux unitaristes, je les renvoie tout simplement aux régimes étrangers : ainsi le modèle suisse est un exemple classique d’un État multiculturel et confédéral qui n’a nul besoin d’un monarque pour le sauver de l’éclatement.
Un impossible président ?
Pour d’aucuns, le choix d’un président de la République belge relèverait du casse-tête communautaire. Le choix ne se heurterait toutefois pas à plus d’obstacles que celui, actuel, du premier ministre dont les pouvoirs sont censés cependant être nettement plus importants que ceux du roi. On peut très bien concevoir une alternance linguistique et communautaire, d’autant qu’il n’est pas indispensable de recourir à l’élection directe pour désigner ce président. Au reste, même si, parce que les Flamands sont majoritaires, les futurs présidents ou présidentes sont systématiquement originaires de Flandre ou bruxellois néerlandophones, cela n’aurait rien d’une catastrophe : rien n’indique qu’ils n’auraient pas, autant que les Saxe-Cobourg, le souci d’assurer la cohésion nationale. Et si une présidence systématiquement flamande (on sait maintenant, depuis la coalition dite «arc-en-ciel », que ce ne serait plus nécessairement des catholiques) présentait de réels inconvénients, encore ceux-ci pourraient-ils être limités en restreignant la fonction présidentielle aux attributs actuels du roi, voire en lui conférant seulement une fonction de représentation.
Un VRP de luxe ?
On plaide également que notre famille royale contribuerait au lustre de la Belgique à l’étranger. C’est peut-être vrai auprès des autres monarchies (ce n’est toutefois pas si sûr car notre pays est minuscule et je doute que les missions ou délégations économiques belges soient mieux reçues au Japon, par exemple, lorsqu’elles sont « cornaquées » par un prince, fût-il royal, plutôt que par un ministre). Dans les républiques – qui sont tout de même majoritaires dans le monde – on se soucie du roi des belges comme un poisson d’une pomme… Le ministre Flahaut en visite au Bénin en mai 2001 entendit remercier, solennellement, et à plusieurs reprises, la « République de Belgique » pour son soutien dans la rénovation d’un dispensaire qu’il venait inaugurer. La notoriété, à l’essence principalement folklorique, du roi des Belges à l’étranger sera du reste bientôt moindre, grâce à l’UNESCO, que celle des Gilles de Binche…
Un père ?
La pérennité de la monarchie doit vraisemblablement beaucoup à son allure patriarcale. Et, plus que politique, son explication est sans doute psychanalytique et freudienne (s’ajoute à cela le fait que la famille est une des valeurs sûres de la dernière décennie : partout où elles sont encore en place, les familles royales occupent, c’est assez flagrant, plus de place dans les médias et, par conséquent, dans l’inconscient collectif, que les monarques eux-mêmes dont l’aura tient, pour une large part, aux petits soucis que leur causent leurs progénitures). Mais, si père il y a, encore n’est-il pas toujours bienveillant : s’il est irréprochable sur le front des inondations, son image de souverain « au-dessus de la mêlée » est souvent prise en défaut lorsqu’il est question de grands enjeux politiques ou éthiques. Que ceux qui se sont longtemps battus pour la dépénalisation de l’avortement, par exemple, se souviennent que la monarchie n’est pas étrangère à la durée et l’âpreté de leur combat. La capitulation de 1940, l’affaire Lumumba, sont d’autres illustrations de ce que la réalité de la monarchie est loin des atours de virginité et d’innocuité politiques dont elle se pare le plus souvent.
La république : un impératif juridique !
Abolir la monarchie est autant une évidence juridique qu’une nécessité historique dès lors que l’institution est fondée sur le principe de l’hérédité et que le roi échappe aux lois. En effet, les conventions internationales sont légions qui prohibent toutes formes de discrimination liées à la naissance et proclament la règle de l’égalité devant la loi. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, prévoit ainsi, en son article 26, que tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune discrimination, d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. Comment concilier le principe d’égalité et de non-discrimination avec le fait qu’aucun des citoyens belges, à part un seul, ne peut prétendre accéder à la plus haute fonction de l’État et que celui à qui, seul, elle échoit, le doit à sa primogéniture ? Comment concilier le principe de l’inviolabilité de la personne du roi (qui fait que celui-ci ne devrait répondre devant aucun tribunal de quelque crime que ce soit, même de droit commun) avec l’égalité et la démocratie ? À l’« impossibilité de régner » qui a permis, à plusieurs reprises dans l’histoire, aux ministres réunis en conseil d’exercer les pouvoirs royaux – sans que cela n’engendre, soulignons- le, le moindre chaos –, doit succéder une « interdiction de régner » qui permettrait au gouvernement d’assurer (seul ou avec un président) le pouvoir exécutif, interdiction qui résulte simplement de la prééminence avérée du droit international public sur la constitution et les lois belges. Monarchie et démocratie sont sans doute politiquement conciliables mais, rationnellement, elles sont antinomiques et, juridiquement, incompatibles et antagoniques. Fermons le ban.