Retour aux articles →

Prendre au sérieux la ligne de partage à gauche

©simpacid
©simpacid

La guerre en Ukraine divise. Qu’elle divise – brutalement – les belligérants, c’est une évidence.

Mais on voit bien que les observateurs et observatrices extérieur·es sont, à leur tour, gagné·es par sa logique. Les nuances et la cordialité s’estompent. Chacun·e se trouve sommé·e de choisir un camp à l’intérieur de discussions qui, privées d’un cadre partagé, se réduisent à de stériles combats de tranchées. Les gauches belges n’ont pas échappé à cette règle.

À Bruxelles, un an après le début de l’invasion russe en Ukraine, le week-end des 25 et 26 février 2023, deux manifestations différentes ont été organisées, l’une le samedi et l’autre le dimanche, signe évident, matériel, d’une incapacité à se rassembler sur cette question.

Ces divisions ont ensuite été répercutées sur les réseaux sociaux, dont la logique propre défavorise la nuance et l’apaisement. L’autre s’y voit systématiquement accusé d’être aveugle et complice, idiot utile du Kremlin ou de Washington.

Derrière la mince surface des oppositions simplistes, il est important de comprendre la profondeur des dissensions, de prendre au sérieux la ligne de partage.

Que le débat soit difficile ne le rend pas moins indispensable. Car la guerre nous divise mais nous oblige – que ce soit en tant que décideurs politiques, journalistes, chercheurs, ou citoyens engagés. Nous devons témoigner notre solidarité aux sociétés déchirées par le conflit, ne fût-ce qu’en nous évertuant à le penser dans sa complexité et en continuant à réfléchir aux voies de sortie possibles. Derrière la mince surface des oppositions simplistes, il paraît important de comprendre la profondeur des dissensions, de prendre au sérieux la ligne de partage.

Car des enjeux complexes sont à l’œuvre : en fonction d’où l’on milite, des disciplines auxquelles on s’intéresse, des aires géographiques que l’on étudie, des précédents historiques que l’on retient, la guerre en Ukraine sera appréhendée et analysée très différemment.

Le conflit répond-il à des dynamiques politiques et culturelles propres à l’espace post-soviétique ? On dresse alors le constat d’une agression perpétrée, dans une logique impérialiste, par un régime autoritaire ne pouvant supporter le développement d’une société démocratique menaçant de s’émanciper de sa tutelle.

La guerre n’est-elle que le théâtre ponctuel d’un affrontement plus large entre superpuissances se disputant des zones d’influence ? On retiendra dans ce cas un règlement de comptes entre les gouvernements russe et américain, le premier cherchant à neutraliser les États situés sur son flanc ouest, le second à les inclure dans l’alliance militaire qu’il domine.

L’attitude à adopter, pour les gauches belges, ne fait pas plus consensus que l’analyse à opérer : soutien sans réserve à la guerre de résistance menée par la société ukrainienne d’un côté, attitude prudente et guidée par la boussole du pacifisme, de l’autre. Avec, paradoxalement, un objectif affiché commun : la paix, juste et durable.

Au-delà des diagnostics et pronostics autour du conflit, les enjeux pour nos sociétés sont vertigineux, qu’il s’agisse par exemple de l’enseignement des langues ou de la question de la production et de la vente d’armes – autant de questions que les gauches ne peuvent ignorer et que ce dossier se propose d’aborder.

Ce dossier a été coordonné par Arthur Borriello et Camille Wernaers.

Cet article est l’introduction du dossier du n°123 de Politique.