Politique
Travail et migration : manquements politiques et défis syndicaux
07.09.2010
La question migratoire est avant tout une question sociale. Les migrants qui arrivent en Belgique sont surtout des travailleurs à la recherche d’un emploi. Mais pour eux, une fois en Belgique, commence un interminable parcours du combattant, qui se termine rarement bien. Le racisme à l’embauche et l’absence de politique migratoire n’y sont pas pour rien.
Soixante ans d’immigration ont profondément changé le visage de Bruxelles. Le caractère cosmopolite et diversifié de sa population constitue une source de richesse extraordinaire, mais les manquements des politiques d’immigration compromettent l’unité du monde du travail. Le syndicat doit relever les défis des discriminations à l’emploi, de l’interculturalité et de l’immigration économique (dont le mouvement des travailleurs sans papiers nous révèle la réalité injuste et inhumaine). Dans une ville aussi internationale que Bruxelles, le mouvement syndical est confronté aux défis de l’accueil et de l’intégration des personnes d’origine étrangère. Car, qu’elle soit passée, présente ou à venir, l’immigration est avant toute chose une affaire de travailleurs et de travailleuses : non seulement la grande majorité des migrants viennent chercher du travail en Belgique pour améliorer leurs conditions d’existence, mais le travail constitue également leur principal vecteur d’intégration. Dans un tel contexte, l’organisation syndicale mène des actions sur quatre terrains principaux.
Discriminations à l’emploi
Tout au long du XXe siècle, jusqu’à l’arrêt officiel de l’immigration (en 1973), des campagnes de recrutement ont attiré de nombreux travailleurs étrangers dans nos mines et nos grosses industries. Le regroupement familial, puis la lutte pour l’égalité des droits sociaux et économiques, dans laquelle le mouvement syndical a joué un rôle prépondérant, ont contribué à l’intégration des travailleurs étrangers au sein de la société belge. Cela étant, nul ne songe aujourd’hui à contester le déficit des politiques d’intégration des travailleurs d’origine étrangère : les générations suivantes demeurent aujourd’hui majoritairement enlisées dans un système d’exclusion et de discriminations reproduisant les inégalités sociales. D’aucuns, dont certains médias qui se plaisent régulièrement à en faire leur une, parlent ici d’une véritable «bombe à retardement» pour Bruxelles…
Ainsi, les descendants – souvent eux-mêmes de nationalité belge – des premiers travailleurs migrants connaissent fréquemment le chômage, rencontrent davantage de difficultés à trouver un premier emploi ou se retrouvent cantonnés dans les secteurs, entreprises ou emplois où les conditions de travail et de salaires sont les plus précaires. On parle en ce sens d’une véritable «ethnostratification» du marché de l’emploi. Au travers de notre lutte pour l’égalité et contre toutes les formes de discrimination à l’emploi, nous voulons que les travailleurs immigrés et leurs enfants puissent bénéficier des mêmes droits et opportunités que les autres travailleurs. Ce combat se poursuit notamment via la mise en place de plans de diversité.
L’enjeu interculturel
La persistance dans l’espace public et sur le marché du travail de discriminations ethniques bloque l’émergence d’une société ouverte, multiculturelle, et ce malgré les politiques d’intégration et de cohésion sociale déployées depuis 20 ans par la Région. C’est que la vie au travail, l’organisation des services collectifs, voire même le partage de l’espace public, peuvent être sources de conflits et d’exclusives. Il est essentiel d’éviter une division du monde du travail sur ces questions d’ordre culturel et de maintenir l’unité des travailleurs en favorisant la résolution de ces nouveaux conflits dans le cadre de la concertation sociale. L’enjeu interculturel réside dans la capacité collective de doter le mouvement ouvrier d’une identité commune forte, reposant sur des valeurs partagées et universelles d’égalité, de solidarité et de liberté, qui rassemblent plutôt qu’elles ne divisent. De nouvelles solutions ont été avancées, ici ou là, par des organismes publics comme le Centre pour l’égalité des chances, par des acteurs de la société civile et par certains partis politiques : les plans de diversité, auxquels la FGTB de Bruxelles participe déjà, la généralisation de l’inburgering flamand, et, depuis peu, les accommodements raisonnables tels que pratiqués au Canada. Cette volonté d’accommoder la diversité culturelle interpelle le monde du travail bruxellois. Elle suscite débats et questionnements au sein du mouvement ouvrier, mais aussi entre militants politiques, syndicaux et associatifs, qui partagent l’objectif commun d’émancipation des travailleurs. Les répercussions de ces nouvelles mesures sur les relations de travail sont nombreuses et ne peuvent laisser l’organisation syndicale indifférente… Pour la FGTB, l’examen de pistes innovantes ne doit, pour autant, pas éluder la discussion fondamentale de l’offre insuffisante de services et d’équipements collectifs (sécurité sociale, emploi, enseignement, formation, aide sociale, logement, santé, culture…) Faute de moyens publics, ces différents dispositifs ne peuvent agir pleinement en faveur de l’égalité et de la solidarité entre les Bruxellois, de toutes conditions et de toutes origines. Mais il s’agit aussi de ne pas négliger, dans un tel débat, la question sociale de l’exclusion et des inégalités dans la société belge. Il importe en effet, aujourd’hui, de rappeler sans relâche que la violence sociale de l’économie de marché et le démembrement de l’État social sont les principales causes des déficits actuels d’intégration des travailleurs d’origine étrangère.
Régularisation des travailleurs sans papiers
L’arrêt officiel de l’immigration économique, en 1973, n’a en aucun cas signifié l’arrêt réel des migrations vers notre pays. Les inégalités entre les pays du Nord et du Sud, loin de s’affaiblir, ont continué à pousser vers l’Europe des milliers de candidats à la recherche d’une vie meilleure. Ainsi, si certains migrants qualifiés obtiennent facilement séjour et permis de travail en Belgique, d’autres, jugés «inutiles», se voient rejeter dans la clandestinité, sur laquelle repose également l’économie informelle de notre capitale ! En effet, le travail des étrangers ne concerne plus essentiellement les activités productrices de marchandises (l’industrie) – dont beaucoup ont d’ailleurs été délocalisées – mais concerne surtout des secteurs d’activité utilisateurs intensifs de main-d’œuvre et non délocalisables, à savoir la production de services. Ce sont ces secteurs, en plein essor à Bruxelles, qui ont de plus en plus besoin de bras pour assurer toutes les fonctions d’une grande métropole économique : nettoyage, gardiennage, Horeca, transport, logistique, construction, commerce… Les conditions de travail y sont souvent rudes. Les exigences de flexibilité de la clientèle, la pression de la concurrence sur les salaires, les sous-traitances en cascade, le recours à l’intérim et aux mises à disposition de main-d’œuvre y rendent les conditions de travail de moins en moins attractives, transformant plusieurs de ces métiers en fonctions «à pénurie». Beaucoup d’employeurs recourent dès lors à de la main-d’œuvre étrangère, légalement ou… illégalement. Ainsi, nombre de nouvelles petites entreprises de service, non délocalisables, et de sous-traitance, profitent du développement d’un «stock» permanent de travailleurs sans papiers, maintenus hors du droit, et donc exploitables à souhait par des employeurs peu scrupuleux. Depuis quelques années, le mouvement des travailleurs sans papiers s’est structuré, soutenu par de nombreuses associations et par la FGTB. Comme organisation syndicale, nous devons en effet favoriser les moyens qui permettent de sortir du travail précaire toute une frange de la population, tant du point de vue de la protection de ces travailleurs eux-mêmes que dans le but d’éviter le «dumping social».
Dans son mémorandum au nouveau gouvernement fédéral, la FGTB exigeait l’inscription de critères clairs et permanents de régularisation dans la loi sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Les multiples négociations autour de ce dossier ont finalement abouti, fin 2009, à une campagne de régularisation temporaire (trois mois), reposant sur une «simple» instruction du ministre à son administration. Néanmoins, malgré le fait qu’elle ne soit pas inscrite dans la loi, cette instruction crée un précédent en prenant en compte, pour la régularisation des travailleurs sans papiers, les attaches sociales, économiques et affectives qu’ils ont pu nouer en Belgique. Cette véritable avancée politique est le fruit du mouvement social en faveur des sans-papiers, dont la FGTB a bien sûr été partie prenante.
Absence de politique migratoire à long terme
Malgré le fait que la Belgique, tout comme l’Europe, ressemble de plus en plus à une forteresse, nos conditions de vie, de santé, de travail (et de climat ?) continueront à attirer des milliers de travailleurs, prêts à tout pour pouvoir s’établir dans nos pays. Il est indéniable que l’absence avérée de politique migratoire à long terme, réaliste, ambitieuse et humaine, est en partie responsable de la dérégulation du marché du travail, et de la précarisation accrue des travailleurs, avec ou sans papiers. Plus largement, il faudra impérativement articuler une telle politique d’immigration et d’asile aux politiques d’intégration, afin d’œuvrer à une intégration durable de ces personnes, dans les meilleures conditions. Enfin, ces questions de migration nous renvoient à la mondialisation de l’économie et aux inégalités Nord-Sud qu’elle génère. Elles ne peuvent se résoudre que dans une perspective de solidarité internationale.