Politique
Tour de rôles
07.03.2012
Cette chronique, il y a près d’un an, était consacrée à La Tribune, l’émission culte de la RTBF dédiée au football, qui tenait du cirque et de la haute voltige, avec suspense garanti en direct, public en haleine et acrobates sans filet. Sa vedette s’appelait Stéphane Pauwels, il ne cessait de changer de costume, de jouer les amuseurs et les redresseurs de torts. Il se croyait tout permis, convaincu d’être indispensable au succès du spectacle. Un jour il est tombé, et tout a changé. Plus rien n’est comme avant, ou presque. Le jeu de rôles n’est plus le même, l’émission n’est plus organisée comme un drame, on n’est plus dans les effets de macho ni les querelles de récré. Le duo sado-maso/belgo-belge Thans- Pauwels a été remplacé par de brillants experts, footballeurs venus d’horizons divers, ayant joué dans d’autres championnats européens, portant sur le foot belge un regard clair et complice. Ils s’appellent Benjamin Nicaise, Khalilou Fadiga, Nordin Jbari, Bertrand Crasson… Ils sont interchangeables, c’est leur force et leur défaut : on ne sait jamais qui reviendra à la prochaine émission. On aimerait que Jbari, Fadiga et Nicaise soient là chaque lundi, qu’ils deviennent aussi inamovibles que les trois piliers de La Tribune : Michel Leconte, Rodrigo Beenkens et Benjamin Deceuninck, dans les rôles respectifs de Monsieur Loyal, du Savant et du Médiateur. Ceux-ci sont les rescapés de l’ancienne formule, avec l’indispensable Marcel Javaux, toujours préposé aux analyses de l’arbitrage, mais dont le rôle a évolué vers une sorte de comique plus ou moins volontaire. C’est curieusement de lui, maintenant, qu’on attend l’imprévu, la cocasserie dévolue naguère à Pauwels, avec cette différence que Javaux n’a jamais l’œil mauvais ni le propos venimeux et qu’il intervient peu. Quant aux trois piliers, leur rôle s’est renforcé. Outre qu’ils encadrent physiquement le dispositif (Lecomte face à l’assemblée, Beenkens sur le flanc droit, Deceuninck en surplomb), ils sont plus que jamais en adéquation avec leur statut. Lecomte en maître de cérémonie imperturbable, Beenkens en savant incontestable, ayant renoncé à ses jeux de mots pour mieux asseoir son autorité intellectuelle, Deceuninck omniprésent, en connexion avec le monde des internautes, faisant surgir la contestation de l’extérieur, faisant réagir l’arbitre et les invités avant de descendre de sa vigie pour participer aux derniers échanges. Bref, l’émission a changé d’enjeu, le spectacle a refait place au débat, fût-il polémique, mais quand il s’enflamme c’est sur des sujets importants (le foot et la finance, les prêts de joueurs) et plus sur une provocation du pitre déchu… Et les changements ne s’arrêtent pas là. Le plus radical concerne la participation de Christine Schréder, qui a pris La Tribune à contrepied, dans la mesure où elle ne tient pas le rôle assigné précédemment aux deux femmes venues y faire un tour de piste en 2009, mais intervient comme analyste des matchs au même titre que ses collègues de VOO-Foot Entre-temps, La Tribune a aussi changé de partenaire pour la fourniture des images, d’où le départ de Marc Delire (Belgacom-TV) et l’arrivée avec Christine Schréder de Philippe Albert, Jean-François Rémy et Olivier Doll (VOO-Foot associée à Telenet). La présence de Schréder est impressionnante dans ce studio toujours empli de mâles, public compris. Elle trouble l’inconscient du sport, elle rompt avec une longue histoire. Le célèbre aphorisme de Luc Varenne – « Le football n’est pas un sport de fillettes» – a-t-il enfin vécu? Il relevait d’un tel bon sens, ancré dans une typologie à la vie tellement dure… Dernière contribution de La Tribune à cette évolution «contretypologique» : le chroniqueur Carl Huybrechts qui ne fait que passer sur le plateau, qui est censé nous parler de la Flandre mais choisit ses sujets selon sa fantaisie, en fonction des événements, en piétinant les frontières du foot, de l’humour et de la politique, sans se laisser cantonner au rôle de Flamand de service. Et l’audimat dans tout ça ? Parti en quenouille après les adieux à la scène de Pauwels, il commence à remonter. S’il revient à niveau, ce sera tout à l’honneur du service public.