Retour aux articles →

Supprimer le statut des profs augmentera-t-il le nombre d’enseignant·es ?

Au lendemain des élections, le nouveau gouvernement Degryse a ciblé les statuts des enseignant·es. Pourtant, tout contredit l’opinion que des CDI seraient les bienvenus pour les remplacer. Supprimer les nominations coûterait entre 500 millions et 1 milliard d’euros à la FWB. Ce projet n’est donc pas économique, mais idéologique… Cours de rattrapage par Adrien Rosman, qui représente les enseignant·es des écoles libres en Belgique francophone (FWB).

Imagine-t-on dans un avenir proche une administration aux mains d’un pouvoir illibéral ou  totalitaire? Imagine-t-on un enseignement soumis aux intérêts d’une caste,  aux préceptes d’une confession religieuse ou aux visées d’une idéologie politique? C’est notamment pour protéger  de ce risque que les enseignant·es ne  sont pas lié·es à leur direction d’établissement par un contrat, mais par un statut.

Ce régime remonte aux années 30,  période de percée de l’extrême droite. À l’époque, c’est un ministre… libéral, Louis Camu, qui a mis en place un statut des agent·es de l’État, pour garantir la continuité des services publics dans un  contexte d’instabilité politique. Ce régime sera étendu aux enseignant·es des  différents réseaux entre les années ’70 et ’90, pour garantir «la protection, en dehors de l’école, de la vie privée contre des  décisions arbitraires du pouvoir organisateur». 

Protéger l’indépendance de l’enseignant·e

Les statuts garantissent l’indépendance du membre du personnel qui reçoit, par commande de la société, les missions conférées à l’Éducation. Si la liberté d’organiser l’enseignement permet aux écoles de déterminer leur propre projet  pédagogique, la puissance publique définit les compétences qui sont attendues  des élèves à l’issue de leur année et commande de respecter les principes de  neutralité et de respect des valeurs démocratiques.

Le statut ne lie pas deux parties dans une relation contractuelle privée, comme dans le CDI, il lie ces  deux mêmes parties aux intérêts supérieurs de la collectivité. Si une direction  d’établissement ou si le gouvernement viraient vers une idéologie extrême, le statut permettrait – commanderait – aux enseignant·es de ne pas laisser leurs cours s’y soumettre. 

Protéger de l’arbitraire

D’abord, les statuts entendent régler de  manière égalitaire les dispositions applicables aux membres du personnel  (accès à l’emploi, titre, échelle barémique, régime de congés, etc). Dans  une relation contractuelle privée, il peut y avoir une différence entre les  ancien·nes et les nouveaux et nouvelles employé·es (ex : les nouveaux  ont des chèques repas, les anciens pas). Dans la fonction publique, si le statut est modifié, il est modifié pour tout le monde, ancien·nes comme nouvelles et nouveaux. 

Ensuite, ils assurent l’engagement du plus qualifié de façon systématique et  objective. Le régime des titres et fonctions prévoit qu’un employeur ne peut  engager un·e enseignant·e si un·e autre, mieux qualifié·e, est disponible  pour le poste. Par ailleurs, le statut garantit l’égalité de salaire à titre égal, ce  qui empêche d’utiliser la rémunération comme outil d’élitisme scolaire. Un fonctionnement en CDI n’empêcherait  pas une école qui le souhaiterait de rémunérer ses enseignant·es au-dessus  du barème pour attirer des profils de haut niveau, au détriment des écoles environnantes.

Les enseignant·es manifestent en front syndical dans tout le pays. Ici, les membres du secteur de l’enseignement libre (FGTB) à Mons, le 28 janvier 2025 (Photographie : Martin Georges)
Les enseignant·es manifestent en front syndical dans tout le pays. Ici, les membres du secteur de l’enseignement libre (FGTB) à Mons, le 28 janvier 2025.

Les statuts fixent également les devoirs et les incompatibilités inhérents à la  charge confiée aux membres du personnel. Les statuts prévoient une procédure disciplinaire et une procédure  d’évaluation pouvant mener toutes les deux à des sanctions à l’emploi. Cet  arsenal répressif prévoit des procédures de recours permettant de garantir les droits de la défense pour un·e  enseignant·e qui se verrait poursuivi·e par son employeur. Là aussi, c’est une question d’égalité de traitement.

On le voit, l’ensemble de ces dispositifs statutaires permettent de loger les  membres du personnel à la même enseigne. En imposant des règles communes et objectives à l’ensemble des  employeurs du secteur, le législateur s’assure que le service public garantisse une égalité de traitement, au bénéfice également des enfants, des étudiant·es et des parents. 

Comment améliorer l’attractivité du métier ?

La ministre Valérie Glatigny prétend que le statut n’est pas attirant, parce qu’il faut  du temps pour atteindre la nomination. En effet, outre l’ancienneté requise, il faut pour cela qu’une place dans l’école se libère; pour les enseignant·es non nommé·es, la succession de CDD et de remplacements peut être épuisante.

Il est vrai que le système, sur ce point, pose problème. C’est donc une bonne  chose d’aborder la question ! Mais pourquoi la ministre ne trouve-t-elle pas,  dans ce cas, des solutions en levant les freins à une nomination plus rapide,  puisque le problème est là ? De multiples pistes sont possibles. Par exemple,  reconnaître les services accomplis d’un réseau à l’autre et d’un employeur à l’autre. Aujourd’hui, les jours travaillés dans un autre réseau ou auprès d’un autre employeur ne sont pas pris en compte de manière égale dans le calcul de l’ancienneté.

Mais vouloir améliorer l’attractivité  d’un métier en amoindrissant sa valorisation et ses protections paraît tout à  fait aberrant et contre-intuitif. Cette irrationalité perçue du discours de la  ministre est particulièrement frappante pour les enseignant·es. De leur  point de vue, construire une vision  d’un CDI pour les nouvelles et nouveaux, contre la nomination pour les ancien·nes, c’est surtout monter les enseignant·es les un·es contre les autres,  comme si ces deux solutions étaient  mutuellement exclusives. Les enseignant·es nommé·es ne souhaitent pourtant qu’une chose pour leurs jeunes collègues : qu’elles et ils vivent une meilleure entrée en fonction et soient stabilisé·es rapidement.

Le projet de fin de nominations doit être abandonné

On voit mal en quoi la disparition du  statut des enseignant·es et son remplacement par un très incertain CDI pourront efficacement contribuer à lutter  contre la pénurie. Les étudiant·es en cours d’études pédagogiques ont ainsi  récemment témoigné du découragement que ce projet risquait de générer  en terme de vocations1. Au contraire, en  supprimant les contraintes que le système scolaire impose aux employeurs,  la nouvelle majorité MR-Les Engagés risque fort de le transformer définitivement en marché concurrentiel, où les établissements devront se donner les moyens d’attirer à eux les trop rares candidat·es à l’emploi. 

Notre système est profondément marqué par les inégalités scolaires. Il y a là  quelque chose d’intellectuellement insaisissable, surtout dans le chef d’un  parti comme Les Engagés, de promouvoir, à l’instar du SeGEC (Secrétariat général de l’enseignement catholique), l’égalité entre élèves (un élève = un  élève), et de vouloir supprimer les balises qui garantissent cette égalité.