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Se confronter au doute

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Éditorial du n°114 de Politique, décembre 2020.

Les théories complotistes autour de la gestion politique et sanitaire de la crise du Covid-19 continuent de fleurir malgré l’hiver qui s’en vient. De la fumeuse conspiration mondiale à l’indéterminé « on nous ment », ces théories sont réappropriées à tout va et se répandent à travers les réseaux sociaux, comme de coutume lors d’événements traumatisants. Cette fois, le discours prend appui sur une série de mesures perçues comme incohérentes dans leur prise de décision, leur communication et leur application.
Il bénéficie en outre d’un temps long – dix mois de pandémie et deux confinements aux modalités certes variables – ainsi que d’une réalité vécue quotidiennement par la population. Il se nourrit également de la peur, de la colère et des difficultés considérables des catégories de la population fortement vulnérabilisées par les mesures sanitaires drastiques.

Depuis longtemps, ce terreau du complotisme est fertilisé par un imaginaire de défiance à l’égard de ce qui est reçu comme la parole d’un système dont on ne se sent plus membre et dont on traque les moindres indices d’une vérité qui serait délibérément cachée par ses élites, ses pouvoirs – tant politique qu’économique ou scientifique. C’est un fait dorénavant établi : l’adhésion aux théories conspirationnistes n’est plus l’apanage de groupuscules d’extrême droite, le complotisme séduit aussi à gauche. Peut-être parce que la gauche n’est plus capable d’offrir un véritable horizon d’émancipation… Il serait vain et dangereux de nier cet attrait pour le complotisme, de le moquer ou d’éviter de s’en préoccuper. Il serait surtout temps pour la gauche de se confronter aux doutes d’une partie de ses partisans.

Les contre-récits valorisant une forme de doute systématique et prétendant apporter « la vérité » ne font en réalité qu’exprimer une opinion toute personnelle et subjective de la situation, loin, très loin des principes d’expérimentation, de réfutabilité et de généralisation propres à la pensée scientifique, désormais décriée. Alors que le sceptique dogmatique s’installe dans le doute instillé par les conspirationnistes, le scientifique traverse l’épreuve du doute pour tester sa compréhension du monde, il s’y confronte et le confronte aux faits et aux arguments de ses pairs. Discréditer un système sur le doute pour prétendument s’en émanciper n’équivaut pas à faire preuve d’esprit critique. Mettre en doute la validité d’une hypothèse qui fonde un choix politique, contester les dogmes scientifiques ou économiques, en apportant à l’autre les moyens de mettre à son tour en doute, méthodiquement, ses conclusions, oui.

Pour faire un bon usage du doute, affrontons les faits parfois contradictoires, les interprétations divergentes et les rapports de force en jeu, avec la conviction profondément ancrée que « le principal carburant de la démocratie, c’est le débat, la confrontation et l’hybridation des idées »[1.Voir nos balises.].