Politique
Chômage : comprendre les différences entre régions pour les sanctions
17.01.2018
Le 12 janvier, L’Echo titrait « Les sanctions contre les chômeurs ont diminué depuis la régionalisation ». Le journal se base sur des données encore confidentielles. Cette fuite ayant profité au quotidien économique, elle a donné lieu à un article offrant uniquement la parole aux patrons. Nous avons mis la main sur le rapport complet qui permet d’éclairer plus finement la situation.
L’Echo rappelle que la motivation originelle, à l’initiative principalement de la Flandre, pour la régionalisation de la majeure partie des compétences « emploi », dont le contrôle des chômeurs « avait pour but des gains d’efficacité ». Et l’auteur de l’article d’ajouter : « Il semble que l’on soit loin du compte pour l’instant ». Il tire cette conclusion du nombre de sanctions, en hausse au premier semestre 2017 par rapport à la même période en 2016, mais toujours inférieures à 2015, dernière année où le contrôle était intégralement fédéral (et donc assuré par l’Onem).
Pour ce journaliste, l’efficacité d’un système se mesurerait aux exclusions qu’il génère ! Voilà qui en dit long ! Plus prudent, Bart Buysse, directeur général auprès de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), déclare dans le même papier : « Avec des allocations de chômage illimitées dans le temps, un contrôle efficace du comportement de recherche et de la disponibilité des chômeurs s’impose« , mais en nuançant aussitôt : « Nous ne plaidons pas pour davantage de sanctions mais pour un renforcement de la transition vers le travail« .
On pourrait discuter longuement de la façon efficace de vérifier la disponibilité à l’emploi des chômeurs. On pourrait ajouter qu’un système efficace ET juste doit être équilibré par rapport aux différentes causes du chômage, être objectif et aider à trouver un emploi. Toutes choses auxquelles ne répond pas l’activation du comportement de recherche d’emploi, appelée aussi « Disponibilité active », mise en place en 2004, comme de nombreux études universitaires, témoignages et articles l’ont montré. Mais, sans entrer dans ces considérations presque philosophiques, intéressons-nous à ce qui explique les différences régionales et le niveau actuel des sanctions.
Un effet mécanique
Le premier élément tient au fait que la procédure de vérification de la « disponibilité active » s’étale sur des cycles de trois entretiens successifs espacés de plusieurs mois, avec des sanctions croissantes au fil des différents entretiens.
Il y a donc peu de sanctions la première année et de plus en plus ensuite. C’est ainsi qu’au premier semestre 2017, il y a eu en Wallonie près de deux fois et demie plus de sanctions en disponibilité active que durant la même période de 2016 (3 737 pour 1 544).
L’Echo pointe cette augmentation mais sans en donner la mesure ni dire qu’elle va croître encore. Le quotidien ajoute que les chiffres globaux (des trois régions et de la Communauté germanophone) sont toujours inférieurs à 2015, soit avant la régionalisation. Concluant que les sanctions ont baissé depuis la régionalisation. Mais l’auteur n’explique jamais que cette régionalisation n’a été mise en place à Bruxelles qu’en janvier 2017 (un an plus tôt pour les autres régions). Ce décalage, couplé à une procédure plus longue (comme le dit l’article), explique l’absence temporaire de ce type de sanctions dans la capitale. Le tableau ci-dessous montre l’évolution en hausse des sanctions régionales (dispo active, dispo passive et radiations), à l’exception de Bruxelles.
Si l’on veut analyser objectivement, le bon indicateur (au début d’un nouveau processus) n’est pas le nombre de sanctions, mais le taux d’évaluation négative qui permet de faire une projection des futurs impacts.
C’est la méthodologie que nous avions adoptée en 2005 en analysant les premiers chiffres du nouveau contrôle. La suite nous a donné raison mais notre prudence dans l’estimation a même été dépassée par la réalité.
Il y a tout lieu d’être très inquiet actuellement si les taux d’évaluation négative restent les mêmes côté wallon : plus d’un tiers (34,93 %) des évaluations ont été négatives au 1er semestre 2017, soit 11 381 mauvais bulletins. Le contraste est saisissant avec la Flandre qui ne recense que 4,5 % d’évaluations négatives, nous y reviendrons plus loin. Pour bien comprendre, il faut se souvenir qu’en 2015, l’Onem a finalisé les procédures en cours afin que chaque région puisse repartir à zéro et appliquer sa propre méthode (ce qui est la logique de la régionalisation).
Sauf exception, il n’y a pas de sanction financière au premier entretien. En 2016, si l’on prend l’exemple du Forem, 82 % des rendez-vous étaient un premier entretien. Dès lors, il y avait moins de sanctions en 2016 qu’en 2015, il y en a eu plus en 2017 (vu qu’il y a eu plus d’entretiens donnant lieu à sanction) qu’en 2016 et il y en aura plus en 2018 qu’en 2017.
Si ce type de mécanique n’est ni connue ni comprise par un journaliste de la presse spécialisée, c’est assez triste. Même si, à sa décharge, il faut reconnaître que la réglementation chômage, déjà complexe avant la régionalisation, l’est devenue davantage encore avec celle-ci.
Des effets régionaux…
Il y a quelque chose d’étonnant à plaider pour la régionalisation de compétences afin qu’elles soient mieux adaptées à la situation de chaque région puis ensuite de s’émouvoir que le traitement soit différent dans chaque partie du pays. Dans son article, L’Echo qualifie le contraste « d’étonnant » en apportant pour seule explication, exacte mais très partielle, le processus plus long adopté à Bruxelles.
C’est un peu court ! Ce n’est qu’un tout petit pan de la réponse.
La réalité est qu’il y a désormais quatre fonctionnements totalement différents selon l’endroit où le chômeur est domicilié. Nos compatriotes germanophones ne nous en voudront pas mais la taille restreinte de l’échantillon ne permet pas d’en dire grand-chose. Signalons juste que le taux d’évaluation négative y est particulièrement élevé : 44,59 % ! Dans les records de négatifs vient ensuite le Forem avec 34,93 % d’évaluations négatives, comme signalé plus haut, tous entretiens confondus.
Cela correspond à ce que l’on voyait à l’Onem quand il démarrait la procédure il y a presque quinze ans. Et c’est ce qui frappe dans le fonctionnement du Forem. Aucune remise en question du contrôle tel qu’il était pratiqué par l’Onem. Au contraire, études, témoignages, analyses ont été balayés d’un revers de la main. Tout juste, du bout des lèvres, le Forem a-t-il pointé des « erreurs de communication ».
A cette absence d’introspection, le Forem rajoute une volonté exacerbée de se positionner comme bon élève et sanctionne à tout-va. Cette attitude est antérieure au changement de majorité wallonne. Rappelons d’ailleurs qu’André Antoine et Elio Di Rupo, en leur temps, ont insisté pour dire que la Wallonie n’était pas laxiste. La preuve, disaient-ils, c’était la région qui sanctionnait le plus. Le credo demeure.
Le phénomène est renforcé par des inerties internes. Les syndicats avaient insisté sur l’articulation nécessaire entre accompagnement et contrôle, le premier, s’il est efficace et suivi par l’assuré-e social-e, devant immuniser du contrôle. Deux ans après la régionalisation, on est (quasi) nulle part. Des tests auraient (enfin) été lancés au second semestre 2017. En tout cas on est loin de ce que les syndicats espéraient et revendiquaient : un accompagnement performant et préalable qui rendrait le contrôle inutile.
La Flandre, un modèle ?
C’est ce qui se passe en Flandre, dans une situation de marché de l’emploi bien différente et avec une poigne de fer. Le VDAB, sûr de lui et de sa méthode, a totalement délaissé le système de l’Onem. Sa vision, qui correspond au marché de l’emploi flamand, est que si un chômeur ne trouve pas d’emploi, c’est qu’il y a un ou des problèmes dans son chef, de nombreux emplois étant disponibles (au contraire de la partie francophone du pays).
Les chômeurs qui se débrouillent seuls sont suivis à distance par des « e-coaches ». A distance mais de façon intensive, y compris avec l’envoi d’offres d’emploi par SMS, avec une pression parfois ressentie comme du harcèlement. A tout moment, le chômeur peut solliciter un entretien avec un « médiateur » ou être convoqué par celui-ci s’il pense qu’il y a un « manque d’activité ».
Les dossiers dits à problèmes sont immédiatement traités par les « médiateurs », qui correspondent à ce qu’on appelle le conseiller référent ou le conseil emploi côté francophone.
Le problème le plus courant identifié par le VDAB en début de processus touche avant tout à la formation. Soit la formation initiale, avec notamment le cas des allophones (terme utilisé en Flandre pour désigner les personnes dont la langue maternelle n’est pas le néerlandais), soit la formation continue, principalement pour « les demandeurs d’emploi qui ont de l’expérience uniquement dans un métier offrant, à l’heure actuelle, peu ou pas d’opportunités sur le marché de l’emploi ».
Dans d’autres cas, les problèmes peuvent se manifester ultérieurement au cours du trajet de recherche d’emploi. Le VDAB utilise un certain nombre de « clignotants » (via le suivi à distance) qui lui permettent de détecter rapidement d’éventuelles problématiques. Le médiateur VDAB peut alors intervenir et inviter le demandeur d’emploi à un entretien.
S’il s’avère qu’un soutien personnel supplémentaire est nécessaire, « les accords nécessaires sont alors immédiatement pris à ce sujet avec le demandeur d’emploi ». C’est la fonction de tous les services de placement et de formation du pays de fournir un accompagnement sur mesure mais on sent que le VDAB a davantage de moyens pour ce faire que le Forem ou Actiris. Le terme « accords » ne doit pas masquer qu’il s’agit clairement d’obligations. Certes, les choses sont présentées comme concertées mais la dimension coercitive est palpable. Et, s’il y avait un doute, le VDAB précise « Ces accords ne sont pas facultatifs ! ».
Ce qui ressemble fort aux contrats qu’imposait l’Onem sauf que celui-ci déterminait les actions à mener de façon stéréotypée, sans fournir le moindre soutien et parfois en donnant des injonctions inverses à celle de l’organisme régional.
Le VDAB s’est clairement saisi de l’occasion de la régionalisation pour fusionner contrôle et accompagnement et ranger aux oubliettes la procédure telle qu’elle était pratiquée par l’Onem. Ce qui ne veut pas dire que le VDAB est laxiste ou ne sanctionne plus. Elles sont simplement transférées de la disponibilité active (les entretiens de contrôle) vers la disponibilité passive qui sanctionne principalement le non-respect des actions d’accompagnement.
Si on compare les chiffres des sanctions de disponibilités active et passive cumulées, on remarque qu’ils sont pratiquement identiques en Flandre et en Wallonie. (Voir le tableau) La première sanctionne en « passive », la seconde fait l’inverse.
D’un point de vue éthique, les sanctions de disponibilité passive paraissent plus acceptables, puisqu’elles répriment un comportement spécifique là où la disponibilité active se caractérise par la subjectivité voire l’arbitraire.
Mais, dans un contexte de pression confinant au harcèlement, il y a à redire aussi sur leur légitimité et leur caractère « objectif » n’est pas toujours clair. Au moins, les cas d’exclusion définitive sont beaucoup plus rares qu’en disponibilité active où celle-ci intervient dès le troisième entretien.
La pression se relâche sur le demandeur d’emploi si « le VDAB constate, à un certain moment, qu’il ne peut plus aider le demandeur d’emploi. Les accords nécessaires sont dès lors pris avec d’autres instances afin de prévoir la suite de la prise en charge. » Il s’agit d’un statut dit « non orientable » qui correspond à la catégorie dite MMPP (pour problème Médical, Mental, Psychique ou Psychiatrique), développée depuis plusieurs années en Flandre.
Et à Bruxelles ?
Il est difficile de se prononcer déjà sur le système bruxellois, vu sa mise en place plus tardive. Les intentions sont prometteuses. Il y a eu une vraie prise de conscience des dérives de la procédure qu’appliquait l’Onem. Des mesures ont été prises pour y remédier. On jugera sur pièces leur efficacité. Il semble aussi que l’articulation entre l’accompagnement (qui a été renforcé) et le contrôle ait été bien réfléchi. Reste à voir si cela fonctionnera en pratique. Cette espèce de mi-chemin entre les options wallonne et flamande représentera peut-être un compromis efficace mais on se dit déjà qu’il y a un goût de trop peu. A défaut de suppression de la disponibilité active, aller davantage dans le sens de la Flandre aurait permis de se prémunir vraiment contre les exclusions définitives.
En conclusion, nous le voyons, prendre des chiffres tels quels, comme l’a fait L’Echo, sans les remettre en contexte, c’est fausser la réflexion et l’analyse, nous attendons mieux. Nous espérons que ces précisions pourront davantage éclairer sur la situation des sanctions qui affectent les chômeurs, tout en omettant de questionner la pertinence de ces sanctions pour les chômeurs et la société en général.