Politique
Rosine Lewin, une vie de communiste
06.09.2010
«Bien sûr, j’ai pleuré à la mort de Staline. C’était l’image du père, la disparition du dirigeant des armées rouges libératrices, celui qui exaltait la fraternité des peuples» : Rosine Lewin, qui a disparu dans la discrétion de l’été, revendiquait toujours les ombres et les lumières d’une vie de communiste dont elle avait fait un bilan lucide et critique sans jamais renier son engagement. En 1994, quand elle répond à mes questions pour un film documentaire, Rosine Lewin, pour la première fois depuis 1941, n’a pas repris sa carte du parti. C’est la fin douloureuse d’un parcours politique et militant – passionné et raisonné – qui avait commencé avec la résistance dès 1940, à l’âge de 18 ans. «Je demande mon adhésion au Parti communiste clandestin le 22 juin 1941, le jour même de la rupture du pacte germano-soviétique. Parce qu’à partir de là les choses sont claires», disait-elle. De 1941 à 1994, Rosine Lewin va donc vivre plus d’un demi-siècle de militante et ensuite de dirigeante du PCB, assurant notamment la rédaction du Drapeau Rouge, le quotidien du parti, et ensuite des Cahiers Marxistes, où elle ne cessera jamais de publier des articles dont le dernier paraîtra quelques semaines avant sa disparition. Il y a dans son itinéraire toute la richesse et les écueils de l’engagement communiste. La certitude des lendemains qui devaient forcément chanter, la glaciation de la guerre froide – «il fallait choisir son camp, la nuance, c’était presque la trahison», précisait-elle –, les doutes et les espoirs de la déstalinisation et puis la longue et inexorable chute jusqu’à l’implosion de l’URSS. Le parti d’abord, sans état d’âme, quels que soient les divergences et même les conflits : comme pour tout dirigeant communiste digne de ce nom, c’était la règle absolue. Et Rosine Lewin, femme de conviction et de devoir n’y dérogea pas. En 1994, elle s’éloigna discrètement. «Il y a des choses qui sont mortes en matière de communisme, me disait-elle : un certain type de gestion de l’État (comme en URSS) où le pouvoir détient le triple monopole idéologique, politique, et économique. Cela est effondré et mort, et c’est très bien ainsi. Ce qui est mort aussi, je l’espère, c’est un marxisme vidé de sa substance et qui était devenu une religion d’État. Par contre, on appelle aussi parfois communisme, une aspiration à changer la société. Je ne suis pas le moins du monde résignée au règne du fric et de l’inégalité. Il n’y a pas de programme pour cela, pas même de projet précis mais je ressens très fort cette aspiration que je veux soutenir dans la mesure de mes moyens. Il y a cette part d’espoir qu’a incarné le communisme et qui, elle, est bien vivante.» Avec Pierre Joye, son compagnon, Rosine Lewin formait un couple mythique qui représentait l’ouverture intellectuelle, réelle, du PCB – même si elle était souvent bien prudente. Ensemble, ils avaient vécu à Moscou – entre hasard et nécessité – des épisodes déterminants et traumatisants de l’histoire communiste : en 1956, le XXe rapport du congrès et la dénonciation des crimes staliniens par Khrouchtchev et douze ans plus tard, le 22 août 1968, l’invasion des chars soviétiques à Prague et la mort du Printemps de Prague, porteur des derniers espoirs du communisme à visage humain. «Ce jour-là, me disait Rosine, nous nous étions dit que nous n’utiliserions plus jamais le mot «camarade». Parole d’ivrogne, ajoutait-elle… » Rosine Lewin représentait cette grandeur contradictoire de la militance communiste. Pour ses amis de toute génération, elle est le symbole d’un engagement jamais démenti pour des valeurs d’égalité qui ont conduit toute sa vie. Rosine était et restera pour eux cette «grande dame rouge».