Politique
Redonner des complexes à la droite
08.01.2008
Changer de cap
En tout état de cause, le débat ne s’arrête pas aux auteurs de référence et si la droite semble désormais convertie à la pratique de la domination culturelle, la gauche, en débandade sur ce plan La politicienne italienne Giovanna Melandri, commentant le second tour de la présidentielle française, doutait ainsi de l’« auto-suffisance culturelle » de la gauche , semble plutôt engoncée dans une guerre de positions qui ne lui a pourtant jamais réussi depuis Teruel et au-delà. Penser le « changement » dans ces conditions doit se faire avec des pincettes. Car, là-aussi, cette véritable ritournelle des temps présents, reprise à toutes les sauces et servie dans tous les râteliers, est surtout un acquis culturel ancien et hautement paradoxal des organisations historiques de la gauche qui ont pourtant complètement changé d’avis sur la stratégie à suivre depuis qu’elles considèrent, à tort ou à raison, que le rapport de forces leur est devenu défavorable. De sorte que la gauche est devenue conservatrice Et l’endogamie radicale — népotisme, cooptation, clientélisme — qui sévit dans un parti comme le PS wallon n’en est sans doute que le reflet. On ne cesse pas pour autant de s’époumoner à réclamer un «changement», complètement rhétorique. Ce hiatus entre la stratégie de repli et le souvenir des conquêtes, entre le constat de défaite et l’insatisfaction d’un peuple de gauche foncièrement malgré tout insatisfait, et pour cause, de la situation, cet hiatus finit à la longue par devenir visible et le paradoxe qu’il contient intenable, ou, pire, favorable à l’adversaire; lequel ne s’est évidemment pas fait prier pour récupérer tout cuit l’arsenal symbolique du «changement»; avec les résultats dramatiques qu’on connaît. Ce pénible retour de balancier n’est pourtant en rien une fatalité. La gauche peut-elle dès lors — et si oui, doit-elle? — reprendre l’offensive? Vu les résultats dramatiques de sa position actuelle — défaites successives, perte d’influence idéologique, alliance de plus en plus ténue, pour dire le moins, avec sa base naturelle — on peut se dire qu’un changement de stratégie est nécessaire et ne pourra pas donner de pires résultats que ce à quoi l’on assiste. Tertio, une fois opérées les clarifications qui précèdent, on peut donc en venir au nouveau projet de gauche susceptible de jouer les contre-feux à l’offensive réactionnaire — ou comment penser une modernisation qui soit autre chose qu’un renoncement à l’ambition égalitaire ? L’équation à résoudre ne semble pas impossible. Les ingrédients sont même disponibles, il suffit sans doute de tendre la main, de trouver à leur mélange une chimie et une saveur susceptible d’unir à nouveau.
Ecologie, international et RTT
D’abord, la contrainte environnementale impose d’en finir avec la course à la croissance, de rompre une fois pour toutes avec le productivisme qui continue à servir de viatique à une gauche en mal d’idées. Une décroissance de la production matérielle, un changement profond des façons de vivre, de produire, d’habiter, la sortie organisée et non subie du pétrole, l’investissement massif dans les transports en commun, la mutation vers une société de l’immatériel, de la faible intensité énergétique, de la gratuité et du non-marchand constituent des horizons raisonnables sur ce plan. Ensuite, la dimension internationale Qui porte d’ailleurs mal son nom puisqu’il s’agit de dépasser les Etats-nations bien plus que de les unir doit dicter l’organisation partisane comme celle de la plupart des mécanismes de régulation des phénomènes économiques. Il est entre autres absurde de penser la fiscalité — et dans une certaine mesure les droits sociaux — à une échelle nationale. Sur ce plan, c’est l’Union européenne qui représente le seul — et faible — espoir d’une instance démocratique de régulation supra-nationale. Elle servira aussi à restaurer une forme revisitée de protectionnisme économique, conditionnant la liberté des échanges aux exigences de solidarité avec le Sud et au respect des droits sociaux et de l’environnement. Enfin, il faut de se débarasser de la «valeur travail» qui n’est plus aujourd’hui qu’un instrument de propagande au service d’un marché de l’emploi dégradé, avilissant et dédié, de plus en plus, à la satisfaction de « besoins » absurdes. L’enjeu n’est pas de donner un emploi à chacun à chaque instant de la vie, mais de garantir une répartition de la richesse gigantesque dont notre société dispose. Une réduction massive du temps de travail s’impose en tout été de cause, mais la remise en question du travail pourra aller au-delà de cela, notamment en socialisant une partie du revenu Lire André Gorz, «Penser l’exode de la société du travail et de la marchandise», in Mouvements, juin 2007. Il est par dessus tout essentiel de parvenir à penser l’activité humaine, y compris l’activité productive, hors du cadre salarial. Dans les trois cas, on est directement mené à s’interroger sur la question du pouvoir. Il faudra envisager, d’abord, ce que peut être une diplomatie de la faiblesse assumée, une politique internationale de celui qui a renoncé à la croissance économique donc au maintien de son rang dans la compétition des nations. Il faudra aussi réfléchir à ce que peut être une démocratie quand le lieu des débats est tellement éloigné qu’il l’est avec l’Union, comment on peut faire autre chose qu’un système purement spectaculaire avec 400 millions de citoyens. Il faudra enfin se demander ce qui, sur un plan anthropologique, peut équilibrer la relation entre l’individu et la puissance quand le travail — qui contraint, mais protège aussi en organisant la relation sur le mode de l’échange — ne joue plus ou plus assez ce rôle. Un projet bâti sur ces piliers est-il susceptible de faire gagner la gauche? C’est à voir. En tout cas, il lui permettra de montrer, selon l’expression consacrée, que «d’autres mondes sont possibles». Et, en se réconciliant ainsi avec l’idée de «changement», la gauche sera de nouveau à même de donner des complexes à la droite,… comme il convient.