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Quotas de femmes et quotas ethniques : dernier tabou avant l’égalité

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cecile © Administrateur
 

Des décennies de politiques « sparadrap », visant à ouvrir les emplois de qualité aux femmes et aux racisé.e.s et on n’y est pas encore. De plus, le racisme, le sexisme et leur lot de discriminations continuent de gangréner la société. Pourtant, rien d’étonnant à ce que celles et ceux qui jouissent de privilèges innés rechignent à s’en départir. L’établissement temporaire d’un système de quotas permettrait de se passer de la bonne volonté des dominant.e.s. Surtout, il pourrait insuffler de la diversité dans les structures du pouvoir. Lorsqu’elles refléteront enfin la composition de la société, les quotas n’auront plus de raisons d’exister.

 

Ce fut l’un des événements marquants de 2018. Le 5 septembre, la comédienne et présentatrice météo Cécile Djunga publiait sur Facebook une vidéo dans laquelle elle exprimait son ras-le-bol face à la déferlante de propos racistes qu’elle essuie depuis son entrée à la RTBF. La vidéo devint virale. Soudain, la Belgique se découvrait raciste. Il faut dire que ce «live» venait ponctuer un été des moins reluisants en matière de vivre-ensemble : agression abjecte d’une jeune fille voilée à Anderlues, dénudée et scarifiée par deux individus masqués, chants à la gloire de la colonisation du Congo et de la pratique des mains coupées au festival Pukkelpop, adolescent noir jeté sur une voie ferrée à Aarschot, reportage hallucinant de la VRT sur le groupe d’extrême-droite Schild & Vrienden, etc.

Pendant un moment, la vidéo de Cécile Djunga sembla faire office de «déclic». Les médias s’emparèrent du sujet, se faisant enfin l’écho des témoignages de toutes celles et ceux qui encaissent des «Rentre dans ton pays !» alors qu’ils/elles sont né.e.s ici, voient leurs CVs classés à la verticale pour des postes qu’obtiennent finalement des candidat.e.s parfois moins qualifié.e.s mais au nom qui fleure bon le plat pays.
On exagère ? Même pas. Le dernier monitoring socio-économique mené par Unia et le SPF Emploi révèle ainsi que le taux d’emploi des personnes d’origine belge s’élevait à 73%, contre 42% pour celles d’origine subsaharienne et 44% pour celles originaires du Maghreb. Un comble, quand on sait que ces deux dernières catégories sont plus diplômées que la moyenne belge[1].

Sur le racisme structurel et les privilèges des Blancs,
lire aussi « Et la Belgique se réveilla blanche« 

L’échec de #BalanceTonRaciste

Si, après «l’électrochoc Djunga», on se prit à espérer l’émergence d’un mouvement #MeToo version racisé.e.s, il n’en fut finalement rien. L’indignation retomba et le flot incessant de l’actualité reprit ses droits. Comme si le racisme en Belgique constituait un épiphénomène alors qu’il est, au contraire, foncièrement structurel.

Pour reprendre la comparaison avec #MeToo, comment expliquer que ce qui aurait pu devenir un vaste et salutaire revival antiraciste se soit essoufflé au bout de quelques semaines, là où #MeToo persiste plus d’un an après son commencement ? Serait-ce dû uniquement au fait qu’il ait démarré aux USA, qui plus est dans l’univers ultra médiatisé de Hollywood ?
Peut-être pouvons-nous aussi avancer l’hypothèse que, dans le cas de la libération de la parole des femmes, les dominants – à savoir, ici, les hommes – n’ont pas pu faire autrement que d’entendre ce que leurs compagnes, sœurs, filles ou amies subissaient, pour la simple raison que les femmes font, de facto, partie de leur environnement quotidien. A contrario, les Blanc.he.s, qui face aux racisé.e.s, constituent le groupe dominant, n’ont eu aucun mal à passer outre les témoignages des victimes du racisme, dans la mesure où ils/elles ne les côtoient pas forcément, voire pas du tout pour celles et ceux qui évoluent dans des univers professionnels et résidentiels particulièrement ségrégationnistes.

Finalement, la situation actuelle est facile à résumer : depuis #MeToo, lorsque les femmes s’expriment, on les écoute (un peu), mais les mesures concrètes pour lutter contre le sexisme, les discriminations et les violences contre les femmes restent de l’ordre des vœux pieux. Quant aux racisé.e.s, on ne veut tout simplement pas les entendre. Bref, si l’on compte sur la bonne volonté des dominants pour céder d’eux-mêmes leurs privilèges, ou réprimer certains de leurs penchants racistes ou sexistes, il y a peu d’espoir d’avancer concrètement. Si des changements sociétaux d’importance doivent émerger, cela ne pourra être que le fait d’une évolution de la composition sociologique des structures du pouvoir. D’où l’intérêt d’instaurer des quotas tant pour les femmes que pour les minorités ethniques, très certainement dans le secteur public et de préférence aussi dans le secteur privé.

Le tabou du recensement ethnique

Concernant les femmes, l’idée fait depuis un certain temps son chemin et est déjà d’application, au niveau politique notamment, même si de façon plus qu’imparfaite et balbutiante (principe de la tirette aux élections, qui s’évapore lorsqu’on passe à la composition des organes exécutifs). Par contre, lorsqu’il s’agit des minorités ethniques, le principe des quotas est encore très controversé. Trois arguments sont généralement avancés pour balayer cette arme pourtant majeure de la lutte anti-discriminations : 1) sa prétendue difficulté d’application ; 2) la validation d’une construction raciste du monde que l’instauration de quotas induirait ; 3) la remise en question permanente des qualités professionnelles de celles et ceux qui en bénéficieraient.

Sur les quotas de femmes, lire aussi
« L’insoluble masculinité du pouvoir: c’est le temps des quotas« 

Le premier argument trouve sa source dans le fait que le recensement de la population sur base ethnique est interdit en Belgique, ce qui rendrait impossible la mise en place de quotas dans la sphère professionnelle. A ceci, nous pouvons opposer les conclusions des Assises de l’interculturalité (2010) qui, favorables à un système de quotas, préconisaient de recourir aux données figurant déjà dans le registre national, à savoir la nationalité à la naissance et la nationalité des parents. Bien sûr, avec ces seules informations, les quotas ne permettraient pas de combattre toutes les discriminations, notamment celles liées à l’orientation religieuse, mais la solution avancée par les Assises prouve à elle seule que l’argument de l’impossibilité pratique des quotas en Belgique ne tient pas la route.

Les quotas, validation d’une construction raciste du monde ?

Le second argument consiste à dire que l’instauration d’un système de quotas, du fait qu’il impliquerait une reconnaissance officielle de l’existence de différences sur base ethnique, validerait de ce fait les théories raciales du siècle dernier. En somme, celles et ceux qui promeuvent cet outil anti-discriminations feraient le jeu des racistes et nous renverraient même aux pires heures de l’Histoire, pour reprendre l’expression consacrée.
Cet argument est particulièrement retors puisqu’il se base non pas sur la réalité sociétale, mais sur le discours qui en est fait. Depuis que les théories raciales sont tombées dans l’opprobre après avoir culminé dans l’abjection du génocide juif, toute différenciation sur base ethnique a été gommée des discours officiels dans les États qui ont connu la collaboration nazie. Depuis, à défaut de l’être dans la pratique, nous sommes théoriquement tous égaux/ales, que l’on soit Blanc, Juif, Arabe, ou Noir. L’ennui, c’est que les discriminations et actes racistes n’ont pas disparu pour autant. Ni dans la sphère privée, où le racisme continue de ternir les relations interpersonnelles, ni dans la sphère publique. On le constate dans l’application des compétences régaliennes de l’État, comme en témoignent si souvent nos forces de l’ordre, grandes adeptes des contrôles au faciès et de la violence dans les «quartiers». On le constate aussi dans la production législative, où l’inégalité sur base ethnique – pardon, nationale – revient en force, notamment par le biais de la récente loi sur la déchéance de nationalité, une honte pour une démocratie.
En définitive, cet argument contre les quotas est celui de la défense du statu quo. En refusant de nommer les victimes du racisme sous prétexte de sauvegarder une égalité de façade, on se prive de moyens essentiels pour pouvoir le combattre.

Des quotas forcément temporaires

Enfin, dernier argument opposé aux promoteur.e.s des quotas : ils amoindriraient le mérite des femmes et des racisé.e.s qui, malgré le racisme et le sexisme ambiant, ont réussi professionnellement. Cet argument est d’ailleurs souvent mis en avant par les principaux/ales concerné.e.s. Le spectre du soupçon d’une réussite justifiée par leur seule appartenance ethnique ou genrée suffit à certain.e.s pour s’offusquer de tout mécanisme visant à élargir leur pré carré ensoleillé. Effectivement, dans un système de quotas, le risque est réel que leurs compétences soient mises en question pour cette raison. Notons au passage que, inversement, aucun dirigeant ne s’entend jamais dire qu’il a réussi uniquement parce qu’il est mâle et parce qu’il est Blanc (alors que, au vu des statistiques, il s’agit clairement de caractéristiques favorisantes), mais passons.

De toute façon, ce type de réactions n’aurait qu’un temps, puisqu’un système de quotas n’est, par nature, pas destiné à s’inscrire dans la durée. En effet, la fonction des quotas est d’amener, à terme, les structures du pouvoir à refléter la diversité ethnique et de genre qui définit la société actuelle. Une fois cet objectif atteint, ils n’auront plus de raisons d’exister. Là où, aujourd’hui, l’appartenance à un même réseau et l’accointance naturelle avec les recruteurs jouent pleinement en faveur des hommes blancs, il en ira différemment lorsque ces postes à haut pouvoir de décision seront davantage occupés par des femmes et des racisé.e.s.

Pour ne rien gâcher, ce sera aussi tout bénéfice pour l’ensemble de la société, en ce compris le monde de l’entreprise. Dans son ouvrage intitulé Super collectif[2], le docteur en psychologie cognitive Emile Servan-Schreiber montre que seuls 58% des décisions prises par des groupes masculins sont considérées comme bonnes, contre 73% lorsque des femmes sont présentes. Un chiffre qui monte même à 87% lorsque, en plus, le groupe est composé de membres aux origines diverses.

[1] https://www.kbs-frb.be/fr/Virtual-Library/2015/316644 et https://www.kbs-frb.be/fr/Newsroom/Press-releases/2017/20171122AJ

[2] Emile Servan-Schreiber, Super collectif, la nouvelle puissance de nos intelligences, Fayard, 2018.