Politique
Prostitution : de l’idéologie au pragmatisme
28.09.2017
Ce mardi 26 septembre, Le Vif a diffusé une carte blanche soutenant une abolition de la prostitution. Cosignée principalement par des politiques et des membres d’associations, elle défend une politique de pénalisation du client, à l’image de ce qui se fait en Suède ou en France, par exemple. Ce texte est une réponse à une autre carte blanche parue quelques jours plus tôt. Régulièrement, le débat entre les « réglementaristes » et les abolitionnistes (pour la fin de la prostitution, généralement en commençant par une pénalisation du client) refait surface. Les décisions du nouveau bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close, en faveur de la seconde option, sont pour beaucoup dans le retour de ce vieux débat que Politique abordait déjà dans un numéro en 2000.
La conclusion de la carte blanche abolitionniste précise ceci : « La prostitution n’est pas un sujet tabou. Il est idéologique« . En lisant cette phrase, force est de constater que nous divergeons sur ce point et qu’il est à la base de mon désaccord avec les signataires de ce texte. Idéologiquement, je suis contre la prostitution. C’est le fruit d’une société patriarcale. C’est aussi le résultat d’inégalités sociales, culturelles et économiques si des femmes se retrouvent obligées de louer leur corps. Et même si les chiffres avancées dans l’article sont issus d’études dont la qualité scientifique est au mieux bancale, au pire une insulte à l’intelligence[1], nous pouvons être d’accord avec une série d’orientation sur les conséquences de la prostitution sur les femmes.
Une fois cela acté, que nous reste-t-il ? Les constats peuvent être partagés, l’utopie aussi. Si la question est idéologique, le débat devrait être pragmatique tant les enjeux sont nombreux. La prostitution est là, mais comment faisons-nous pour endiguer son flot et, surtout, protéger les prostituées ? Des constats aux solutions avancées, nous pointons quelques problèmes fréquents dans les débats sur la prostitution.
Trouver des études sérieuses avec peu de biais est chose rare, et c’est un des premiers problèmes lorsqu’on aborde le sujet. Par exemple, la carte blanche fait référence à une étude menée au début des années 2000 dans 9 pays (dont le Mexique, la Colombie et la Thaïlande) plutôt qu’à une étude menée entre 2015 et 2016 en Belgique et commanditée par la ministre de l’Égalité des chance et des Droits des femmes, Isabelle Simonis. C’est vrai que les conclusions ne tendent pas nécessairement vers les propos de la carte blanche, mais elles ont l’avantage de la validité scientifique et de la contextualisation géographique et temporelle.
Le second problème réside dans la confusion entre traite des êtres humains et prostitution. La frontière entre les deux est parfois extrêmement mince et nécessite des débats qui sortent de l’idéologie, les mesures protectrices n’étant par exemple pas du tout les mêmes. D’ailleurs, nous devrions parler DES prostitutions. Prostitution de rue, sur internet et en vitrines ne concernent pas les mêmes femmes, prostitution hétérosexuelle et homosexuelle ne sont pas identiques, prostitution estudiantine et « sugar daddy » non plus. Le passage de la sphère publique à la sphère privée de la prostitution est un phénomène loin d’être anodin contre lequel la pénalisation du client est totalement inefficace.
Le troisième problème des débats actuels touche aux comparaisons douteuses. D’un côté, la Suède et maintenant la France (et d’autres) qui ont mis en place la pénalisation du client. Les études sur l’efficacité de ces mesures sont le plus souvent contestables tant elles sont biaisées et ne tiennent pas compte de l’exception géographique.
De l’autre côté, l’Allemagne et les Pays-Bas. Ces deux pays ont des législations très permissives et rencontrent de nombreux échecs, liés notamment aux aspects d’exception géographique. Pourtant, les situations hollandaise et allemande sont riches d’enseignement. Elles montrent qu’une vision trop pragmatique voire économique, centrée sur la lutte contre les nuisances par exemple, est une mauvaise solution, tout comme confondre prostitution et traite des êtres humains.
Le dernier problème se centre sur la question du métier et du choix. Nous pouvons acter que la prostitution n’est pas un métier comme un autre, bien que les critères qui définissent les métiers comme les autres soient une inconnue pour nous. Nous pouvons aussi admettre que la prostitution est un non-choix. D’un côté, il y a la prostitution forcée. De l’autre, face à une situation de pauvreté, face à un besoin d’argent pour payer sa consommation de drogue, ses études, etc., des femmes et des hommes sont contraints de se prostituer. Ils pourraient recourir à d’autres méthodes pour gagner de l’argent rapidement, de manière plus ou moins légale, plus ou moins digne, ou bien renoncer à consommer, à étudier… Ils font le choix contraint de la prostitution. On peut juger, critiquer, dénoncer, mais c’est aussi une réalité.
La pénalisation du client ne s’adresse qu’à un type de prostitution et son efficacité n’est pas prouvée. De plus, elle insécurise les personnes qui font le « non-choix » de la prostitution pour répondre à un problème précis. Une réglementation trop ouverte et géographiquement circonscrite ne fonctionne pas non plus.
Que reste-t-il ? Doit-on encore passer des mois et des années à débattre pour que, pendant ce temps, les prostituées continuent à être stigmatisées et non protégées ? Peut-on renvoyer dos à dos la Suède, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas pour se demander comment éviter au maximum l’entrée dans la prostitution et la protection des personnes qui se prostituent sans décider pour elles de ce qui est bon ? Nous revenons alors à un pragmatisme consensuel et innovant qui tient compte des essais et des erreurs d’autres. Parce que, en réalité, à moins d’éradiquer la pauvreté et l’injustice sociale, de supprimer la toxicomanie et de faire disparaitre le patriarcat, il y a peu de chances de voir la prostitution disparaitre.
[1] Sur le site du Conseil des femmes francophones, l’étude référencée en page d’accueil est le fruit d’un travail de Claude Moniquet (spécialiste autoproclamé du terrorisme) et de l’autre responsable de l’institut qu’il a créé. Exemple : des chiffres sur la prostitution française sont avancés, sans référence, et en les mettant en lien avec la pénalisation du client tout en omettant de préciser que cette pénalisation existe depuis seulement un an.