Politique
Propagande et esthétique
03.01.2023
Xylogravure réalisée par Charles Counhaye, vendue au profit de la presse communiste.
Dans sa préface, José Gotovitch, dont l’œuvre est essentielle pour comprendre l’histoire du PCB[3. Notamment : Du rouge au tricolore : Les communistes belges de 1939 à 1944. Un aspect de l’histoire de la Résistance en Belgique, Bruxelles, Labor, 1992, 609 p., réédition Carcob 2012 et Du communisme et des communistes en Belgique. Approches critiques, Bruxelles, Aden, 2012, 433 p.], indique clairement l’esprit de la publication : « Au-delà des exégèses, des analyses de son langage, du décorticage de ses évolutions idéologiques, de ses erreurs manifestes, de ses contradictions, de la rigidité de ses structures, de ses victoires aussi, la richesse du PCB a surtout, avant tout, été ses militants. Tous ceux-là qui, dans la guerre comme dans la paix, se sont mis en danger par leur seule appartenance à ce parti malvenu, dérangeant, pas ou peu valorisant, pas vraiment comme les autres. […] L’objectif de cet ouvrage, poursuit Gotovitch, c’est essentiellement de tenter de donner à voir ce qui est souvent indicible. »
Bien sûr, l’histoire du PCB y est située et résumée, mais c’est ce « par l’image » qui fait tout l’intérêt de la publication. D’abord, les photos installent une iconographie politique et son incarnation humaine. Militants en action, joies et deuils partagés, manifestations et cortèges, harangues et commémorations : toutes les images photographiques exaltent le combat collectif et traduisent cette conviction que « le monde va changer de base ». Et puis, ce qui définit le mieux l’esthétique communiste : les affiches, les tracts, les journaux, les revues, les cartes de membres, les caricatures.
En cette période qui s’étend de 1921 jusqu’aux années 70/80 (dernière période de la visibilité du PCB), la propagande est d’abord « imprimée » et le PCB possède d’ailleurs son imprimerie. Le ton est combattif, voire agressif, particulièrement dans la période de la lutte antifasciste et pendant la guerre froide. Couleurs contrastées, dessins stylisés, personnages symbolisés : il s’agit de construire un discours iconographique, de résumer le cœur du message politique. Graphistes, dessinateurs, caricaturistes, coloristes, les partis communistes ont généralement (et le PCB ne faisait pas exception) su attirer à eux les artisans et les créateurs capables d’élaborer une esthétique, dont le dirigeant communiste français, Laurent Casanova – « responsable aux intellectuels » – disait en 1947 qu’elle « était un des aspects de la bataille idéologique[4.Voir L. Fougeron, « Propagande et création picturale – L’exemple du PCF dans la guerre froide » in Sociétés et représentations, 2001/2 n° 12. ] ».
Mais cette esthétique ne peut se limiter à sa dimension idéologique. Les plasticiens qui ont rejoint les partis communistes, en particulier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et qui se sont « mis au service » de la cause ont aussi maintenu ou développé une esthétique spécifique et personnelle qui ne pouvait se réduire à la propagande. En France, des œuvres de Picasso, Léger, Pignon ou Fougeron en témoignent magistralement. En Belgique, le groupe « Forces murales » rassemble des artistes membres ou proches du PCB comme Deltour, Somville ou Dubrunfaut qui partagent un art réaliste engagé, mais « restent seuls maitres de leur langage plastique[5. Voir C. Baillargeon, « Regard sur “la décoration grandiose” de Forces murales et Métiers du mur pour le trentième anniversaire du PCB » in Quand l’image (dé) mobilise – Iconographie et mouvements sociaux au XXe siècle, ouvrage collectif sous la direction de Anne Roekens et Bénédicte Brochet, Presses Universitaires de Namur, 2015.] ».
La xylogravure du peintre et graveur Charles Counhaye reproduite ici et qui était vendue au profit de la presse communiste illustre bien la coexistence de la propagande et de la création artistique dont témoigne Camarades.