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Pride, arrête ton char !

Ce 17 mai, les rues de Bruxelles seront peintes aux couleurs de l’arc-en-ciel. Pour la dix-neuvième fois, les gays, lesbiennes, transgenres et leurs ami/e/s défileront dans une ambiance (un peu) revendicative et (très) festive, à la date même de la Journée mondiale contre l’Homophobie. A voir passer cette espèce de variante de Technoparade, il faudra se rappeler que la tradition des Pride vient de Stonewall, qui ne fut pas un festival de musique mais plusieurs jours d’émeutes, en juin 1969, pour dénoncer des contrôles incessants et humiliants de la police dans ce bar gay de New York. Au fil du temps, cette manifestation a bien changé : d’abord intitulée Gay Pride, elle a voulu mieux intégrer les femmes en s’appelant Lesbian and Gay pride, puis Belgian Pride et enfin, cette année « The Pride 4every1 », où toutes les fiertés sont invitées à se rassembler autour des (prenez votre souffle) LGBTQI : c’est-à-dire en plus des gays et lesbiennes, les biseuxel/le/s, les personnes transgenres, queer et intersexes. Mais cela, c’est juste pour l’appellation. Car en réalité, plus que jamais, « The Pride » comme le mouvement LGBTQI en général, restent principalement gays. Gay par les responsables : les trois fédérations (Bruxelles, Wallonie et Flandre) sont présidées par des gays. Le grand débat interfédéral à Namur en avril dernier était caricatural à ce niveau : rien que des hommes à la tribune. Que même ceux-là soient insensibles à un équilibre des genres est quand même le comble. Dans les revendications, ensuite, et c’est sans doute lié : si une attention est donnée aux revendications des personnes trans et intersexes (pour mettre fin à une médicalisation qui peut aller jusqu’à des mutilations physiques) 2 des 6 points font une allusion directe ou indirecte à la GPA, « gestation pour autrui », termes neutre pour le thème controversé (surtout par les féministes) des mères porteuses. Si les promoteurs de cette demande prennent soin de se démarquer de toute commercialisation du corps des femmes, une proposition de loi très détaillée présentée l’an dernier par Homoparentalités montrait bien qu’un « contrat » entre « mère porteuse » et « parents d’intention » limite forcément les droits de la femme concernée sur son propre corps La proposition a depuis disparu des radars, mais dans les débats, jamais je n’ai entendu quelqu’un me démontrer comment dans ce genre de « contrat », la liberté de la femme impliquée peut être entièrement respectée. Mais plus fondamentalement, l’argument selon lequel ce qui est possible pour les lesbiennes en matière de PMA (procréation médicalement assistée) doit l’être pour les gays n’est pas recevable : on ne peut mettre sur le même pied un don de sperme et une grossesse de neuf mois, avec toutes les implications que cela peut avoir en termes de santé, physique et psychologique, y compris à long terme ! Mais un autre aspect de ce défilé a éloigné une série de militant/e/s, tout en rendant la Pride certes très populaire (80 000 personnes attendues !). Une évolution vers une manifestation hyper commerciale, une sorte de « love parade » avec chars de plus en gros, de plus en plus bruyants, et une récupération politique de plus en plus visible, surtout une semaine avant les élections. C’est à qui saura se montrer le plus « gay friendly », certains avec beaucoup de sincérité, d’autres avec beaucoup d’arrière-pensées. Prenons la N-VA. Depuis quelque temps déjà, elle tente de se présenter comme l’une des plus fidèles défenseuses des droits des homosexuels, pour mieux stigmatiser ces « autres » qui les menaceraient (et eux seuls). Ces « autres » n’étant à chercher ni au Vatican, ni chez les fondamentalistes de toutes les religions, ni dans la droite bornée telle qu’on la voit par exemple en France, non : c’est dans les rues de nos quartiers populaires que se trouve le danger, et uniquement là. Dans une tribune parue dans ZiZo,magazine de la coupole des associations holebis flamandes, la N-VA écrit tranquillement que « La radicalisation mondiale de l’islam, couplée à la présence grandissante des musulmans en Flandre et en Europe, représente un nouveau danger pour les homosexuels et leurs droits. Ici aussi le mouvement holebi trouve un allié chez les nationalistes flamands qui se battent pour assurer l’identité des Flamands et de leur culture ». Et au dos du numéro de la revue, la N-VA se paie une page entière de publicité. De même, elle figure en page 2 de la brochure du « Pride Festival », dont les organisateurs ne semblent même pas comprendre où se situe le problème, du moment que le parti a payé… Cette évolution n’est pas propre à la Belgique. Dans un livre récent, la théoricienne américaine Jasbir K. Puar dénonce ce qu’elle appelle l’« homonationalisme » .Jasbir K. Puar : Homonationalisme et politiques queer après le 11 septembre 2001, éditions Amsterdam… De son côté, le militant et co-fondateur français d’Act Up Didier Lestrade se demande « Pourquoi les gays ont viré à droite » Didier Lestrade : Pourquoi les gays sont passés à droite, Seuil… En 2012, un colloque international à Amsterdam s’interrogeait sur cette évolution, reflétée également dans un .article du Monde. On y rappelle quelques réalités dérangeantes. Aux Pays-Bas, Geerts Wilders adore autant les gays qu’il hait les musulmans. En Suisse, l’ultra droitière UDC (Union Démocratique du Centre), à l’initiative de plusieurs référendums xénophobes, a sa section « gay ». Les hoooligans nationalistes de l’extrême-droite anglaise ont tenté d’organiser une Gay Pride dans des quartiers immigrés de Londres, par provocation, histoire de démontrer qui c’est qui est le plus civilisé. Tous ceux-là adorent les gays, autant que la N-VA, à condition que cette conversion à l' »homophilie » puisse servir de prétexte à renforcer leur islamophobie. Certains militant/e/s n’ont pas manqué de réagir. Ainsi en 2010, la philosophe queer Judith Butler a refusé le Prix du courage civique que les organisateurs de la Pride de Berlin s’apprêtaient à lui remettre, en proclamant que la lutte contre l’homophobie avait dégénéré en action raciste. En 2011, devant la colère de plusieurs associations, les organisateurs de la Pride parisienne ont dû retirer au dernier moment l’affiche qui annonçait le défilé : barrée du slogan « Pour l’égalité, en 2011 je marche, en 2012 je vote », celle-ci représentait un coq dressant fièrement sa crête. Une façon d’exclure clairement les étrangers, en particulier les sans papiers. Bien sûr, on ne peut pas généraliser, et on constate que des réactions s’organisent. Pour l’apothéose du 17 mai, plusieurs associations, et pas des moindres Première liste de l’Alternatieve Pride Alternative : Amnesty International, le Club du 23, Fat Positivity Belgium, Garance, Genres d’à côté, Genres Pluriels, Merhaba, queerpunxbelgium, Université des Femmes , ont voulu se démarquer d’une Pride trop commerciale, ses chars et son manque de principes, tout en évitant une opposition frontale. L’APA Belgium (pour Alternatieve Pride Alternative) se présente ainsi : « Nous, associations LGBTQI, féministes, anti-racistes, anti-capitalistes, body-positive, handies, et militantes pour les droits humains, nous ne nous retrouvons plus dans cette célébration qu’est devenue « The Pride ». Parce que « célébration » rime avec « modération » ; parce que « lutte pour l’égalité » et « attraction commerciale » ne font pas forcément bon ménage ; parce que ce qui s’est gagné peut rapidement se perdre ; parce que pendant que nous ferons la fête ce 17 mai 2014 d’autres souffriront injustement ». Celles et ceux qui rejoindront l’APA, comme association ou à titre personnel, marcheront à l’avant, en troisième position derrière le drapeau arc-en-ciel. Espérons que leur message sera entendu, qu’il ne sera pas noyé sous les décibels techno ni écrasé par les chars.