Politique
Presse : une affreuse crise endémique
13.06.2006
Le vendredi 12 mai, le CIM (Centre d’information sur les media) rendait publics les chiffres des diffusions payantes de la presse quotidienne. Le lendemain, Le Soir publiait une photo et un titre sur toute la largeur de la une, donnant au quotidien de la famille Hurbain d’étranges airs de parenté avec La Dernière Heure… Il faut dire que celle-ci se porte bien mieux que celui-là, malgré les moyens (humains et financiers) de très loin supérieurs dont dispose ce dernier. Car Le Soir ne cesse de perdre des lecteurs. Et, jusqu’à nouvel ordre, la formule lancée en novembre n’a rien arrangé : au 1er trimestre 2006, il vendait 95 642 exemplaires, alors qu’un an auparavant il en vendait encore 100 353 (pour ne pas parler des 101 282 du 4e trimestre 2005, conséquence positive habituelle de tout changement de formule). Depuis que Bernard Marchant, Daniel Van Wylick et Béatrice Delvaux président à ses destinées (leurs entrées en fonctions datant de juin, de novembre et de décembre 2001, respectivement), le journal a perdu 11,31% de sa diffusion payante (soit 99 472 exemplaires en 2005 Chiffre provisoire résultant des moyennes des déclarations sur l’honneur faites par l’éditeur , pour 112 149 en 2001). La «crise générale de la presse» expliquerait les malheurs du Soir. Il ne reste pas moins que quand il vendait 226 580 exemplaires en 1971 (année de la création du CIM, qui authentifie les diffusions), Le Monde vendait 347 783, The Guardian 331 723 et le Corriere della Sera 504 311, des titres auxquels Le Soir se compare volontiers. Trente-quatre ans plus tard, il ne vend plus que 99 472 exemplaires, alors que les trois autres vendent respectivement 360 610, 342 039 et 677 988, soit plus qu’auparavant ! Malgré les lancements de Libération en avril 1973 (et surtout son repositionnement en mai 1981), de The Independent en octobre 1986 et de La Repubblica en janvier 1976, leurs concurrents respectifs. Alors que Le Soir n’a pas eu à affronter de nouveaux concurrents… Du côté de La Libre Belgique, l’éternelle rivale, la situation n’est pas fameuse non plus. Certes, au 1er trimestre 2006 elle diffuse 47 913 exemplaires, pour 47 972 au 4e trimestre 2005 et 46 680 au 1er trimestre 2005, une situation stable, voire plutôt positive. Pourtant, au moment où elle a fait authentifier pour la première fois ses chiffres par le CIM, en 1987, La Libre Belgique avait une diffusion payante de 66.763 exemplaires. La situation de l’autre quotidien de la famille le Hodey, La Dernière Heure, est actuellement stable : 84 909 exemplaires vendus au 1er trimestre 2006, 85 098 au 4e trimestre 2005 et 84 638 au 1er trimestre 2005. Mais, contrôlée également par le CIM depuis 1987, elle faisait alors 68 335, ce qui met bien en évidente son évolution très positive depuis lors. L’air du temps serait-il plutôt favorable aux quotidiens «populaires» qu’à ceux dits «de référence» ? Ce serait aller vite en besogne. Car le «populaire» de Rossel (ou plutôt les six titres réunis au sein de la SA Sud Presse : La Capitale, La Meuse, La Nouvelle Gazette, La Province et Le Quotidien de Namur, auxquels est venu s’ajouter Nord Éclair en mars 2004) obtient des résultats plutôt mitigés : 126 579 exemplaires au 1er trimestre 2006, soit moins que les 128 659 du 4e trimestre 2005 (alors que le journal a fait l’objet d’une relance en mars dernier) et moins encore que les 129 465 du 1er trimestre 2005). La situation est pourtant plus sérieuse qu’il n’y paraît à première vue. Car si Sud Presse atteint 128 472 exemplaires en 2005, il vendait (sans Nord Éclair) 120 658 en 2004, Nord Éclair (tout seul) diffusant 12 924, soit un total de 133 582, ce qui traduit une perte sensible. Osera-t-on pourtant rappeler qu’en 1971, La Meuse et La Lanterne (ancêtre de La Capitale) vendaient ensemble 165 749 exemplaires, La Nouvelle Gazette, La Province et Le Progrès (lointain aïeul du Quotidien de Namur) 66 051 et les éditions belges du roubaisien Nord Éclair 37 312, soit un total de 269 112 exemplaires ? Dans une approche «immédiatiste» des choses, Rossel pourra quand même se consoler avec L’Écho : 19.404 exemplaires au 1er trimestre 2006, pour 18 535 au 4e trimestre 2005 et 17 505 au 1er trimestre 2005. Des chiffres en légère hausse par rapport aux 19 117 de 2003, année de la reprise du journal par le duo De Persgroep-Rossel. Peut-être conviendrait-il cependant d’ajouter que c’est plutôt le partenaire flamand qui assume la gestion du quotidien d’affaires francophone. Reste Vers l’Avenir : globalement, il se maintient, avec 98 332 exemplaires au 1er trimestre 2006, 98 041 au 4e trimestre 2005 et 99 331 au 1er trimestre 2005. Toutefois, en 1971 Vers l’Avenir diffusait 97 890 exemplaires, avant qu’il ne reprenne Le Jour, à Verviers (en 1986), et Le Rappel, à Charleroi (en 1987), qui ne faisaient pas contrôler leurs diffusions. Une stabilité qui traduit en fait une régression… Dans ce contexte singulièrement morose, voire désespérant, se développe un climat d’incertitude et d’instabilité. Avec une succession de rumeurs, de déchéances, de démissions, de votes de défiance, de rejets d’initiatives des éditeurs, de menaces de grève… Autrement dit : un climat guère favorable à une réflexion de fond sur la longue et pénible crise endémique de la presse quotidienne belge francophone…