Politique
Prendre au sérieux le droit au logement des gens du voyage
17.11.2010
Manque de terrains
Lorsqu’ils voyagent, se pose le problème des terrains de séjour temporaire sur lesquels ils pourraient louer un emplacement. Sur ce point, les autorités belges sont largement déficientes. Ainsi, il n’existe qu’un seul terrain public officiel en Wallonie. En Flandre, par contre, un dispositif réglementaire a permis la création de quatre terrains de séjour temporaire (78 emplacements), mais qui restent cependant largement insuffisants. Par ailleurs, rien n’est prévu concernant la location de terrains ad hoc, de manière à répondre adéquatement aux besoins spécifiques de chaque groupe. Lorsqu’ils désirent résider sur un terrain, le manque de terrains publics résidentiels est criant. Ainsi, les possibilités de louer un emplacement dans un terrain public adéquat sont presque nulles en Wallonie ; elles sont plus étoffées – mais restent insuffisantes – en Flandre (29 terrains résidentiels, 468 emplacements qui rencontrent 50% des besoins). Il n’existe qu’un seul terrain public à Bruxelles, situé à Molenbeek, qui ne peut accueillir que six familles. Quand ils désirent s’installer sur des terrains privés, dont ils sont soit propriétaires, soit locataires, le permis d’urbanisme requis pour l’installation occasionnelle, temporaire ou à demeure de la caravane est presque toujours refusé par les administrations compétentes. En effet, les règles urbanistiques ne prennent pas du tout en compte le cas spécifique des gens du voyage et laissent un trop large pouvoir d’appréciation aux communes pour la délivrance des permis. Face à cette situation, de nombreuses familles de gens du voyage sont contraintes de s’installer sur des terrains soit grâce à un accord officieux et fragile, soit sans autorisation. Dans ce dernier cas, les familles des gens du voyage sont sujettes à des expulsions, très fréquentes, motivées soit par des règlements de police concernant le stationnement des véhicules, soit par les règles urbanistiques. Comme les codes wallons et bruxellois du logement, à l’inverse du code flamand, ne reconnaissent pas la caravane et la roulotte comme des logements, les familles des gens du voyage ne bénéficient pas des protections reconnues pour les logements « classiques » dans le cadre des expulsions (préavis, interdiction d’expulsion en hiver et à certaines heures…) et voient systématiquement leur logement qualifié d’« insalubre » et exclu de la protection du droit constitutionnel au logement.
Par ailleurs, la domiciliation des gens du voyage continue de poser de nombreux problèmes. De nombreuses communes refusent ainsi, contra legem, de procéder à l’inscription des gens du voyage dans leurs registres de population, ce qui constitue un obstacle à la réalisation de nombreux droits fondamentaux (formation, emploi, droit de vote…).
Une réclamation
C’est pour dénoncer cette situation qu’une réclamation collective a été déposée contre la Belgique par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme devant le Comité européen des droits sociaux Comité non juridictionnel chargé de contrôler l’application de la Charte sociale européenne. Ce comité est en quelque sorte le pendant de la Cour européenne des droits de l’homme pour les droits économiques et sociaux. Cette réclamation se fonde sur l’article 16 qui consacre le droit à une protection sociale, légale et économique de la famille, sur l’article 30 qui protège le droit à une protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale, lus seuls ou en combinaison avec l’article E (principe de non-discrimination) de la Charte sociale européenne. Le ressentiment d’une partie de la population pour l’habitat mobile et les gens du voyage s’explique en grande partie par l’incurie des pouvoirs publics à créer des conditions adéquates de logement pour les gens du voyage. C’est donc de mauvaise foi que les pouvoirs publics invoquent comme justification de leur propre inaction le « défaut d’intégration » des gens du voyage dont ils sont, en raison de leur négligence, en grande partie responsables Voir N. Bernard, « Les gens du voyage : entre paradoxes et aiguillons, un nouveau rapport à la loi », Les communes et la gestion du séjour des gens du voyage, actes du colloque organisé à Mons le 15 avril 2008 par le Centre de médiation des gens du voyage en Wallonie, Mons, Publications de l’Université de Mons-Hainaut, 2010 (à paraître). Pour prendre les droits des gens du voyage au sérieux, les respecter, les protéger et les réaliser, les pouvoirs publics doivent surmonter leurs propres appréhensions. Nul doute que des changements politiques feraient œuvre pédagogique et travailleraient directement au changement des mentalités. Ainsi, pourraient enfin être reconnues, au-delà des clichés, les richesses de leurs cultures. On pourra alors penser à mettre en lumière la modernité de ces cultures, qui s’articulent notamment sur des valeurs considérées comme avant-gardistes (quand elles sont revendiquées par d’autres), comme la flexibilité, le sens du collectif dans l’habitat, l’importance du recyclage et de la récupération …