Politique
Pour une baisse des loyers
24.03.2023
« Le propriétaire, c’est le patron du logement » ; « je vois qu’en Belgique il y a des règles [en matière de logement] sur le papier, mais pas dans la réalité » ; « on dirait qu’ils font exprès pour chasser les pauvres de Bruxelles » ; « le propriétaire, parfois il dit qu’il veut m’aider, et en profite pour chercher de l’intérêt sur moi » ; « les propriétaires ils nous disent : si tu veux pas, tu dégages » ; « je vois que l’État défend les propriétaires, il n’a jamais fait de lois contre eux » ; « il y a des manifestations et des grèves sur plein de choses, mais c’est la première fois que j’entends une manifestation pour le droit au logement ».
Cette impuissance et cette colère face au non-respect d’un droit pourtant fondamental, celui d’habiter dans un lieu décent et adapté à sa famille, n’est pas uniquement celle des « premier·ères concerné·es », comme on dit. Ce sont aussi les travailleurs et travailleuses du social qui les accompagnent au quotidien dans leurs démarches qui n’en peuvent plus de devoir gérer avec des bouts de ficelles les conséquences des choix politiques anti-sociaux. Et de se retrouver bien souvent dans l’impossibilité de proposer des solutions dignes pour toutes les familles qu’ils et elles accompagnent.
Des choix politiques aux conséquences désastreuses
À Bruxelles, le taux de risque de pauvreté des locataires (qui représentent 60 % des ménages) est environ cinq fois supérieur à celui des propriétaires. Derrière cette moyenne se cachent des réalités très contrastées selon le niveau socio-économique, le genre, la couleur de peau, la religion, l’orientation sexuelle présumée… du ou de la candidat·e locataire. Pour ne prendre qu’un seul exemple : en moyenne en 2020, les ménages bruxellois dépensent 34,6 % de leur budget dans leur logement (ce qui comprend le loyer, l’eau, l’énergie, l’entretien…). Mais pour les ménages dont les revenus ne dépassent pas 1500 euros, c’est 60 % du budget qui est englouti par le logement !
En 2018, une personne isolée bénéficiaire du revenu d’intégration sociale allouait 72 % de ses revenus au logement. Il ne lui restait donc que 286 euros pour vivre[1. « Une approche féministe du logement », guide pratique d’Angela D.] (alimentation, frais médicaux, vie sociale et culturelle, vêtements…). À ce stade, des dépenses essentielles comme un rendez-vous médical ou une alimentation variée et équilibrée peuvent vite passer aux oubliettes… Les logements sont par ailleurs en mauvais état : en 2020, plus d’un ménage sur cinq était en situation de précarité énergétique[2. Baromètre de la précarité énergétique et hydrique, 2020 (En ligne.)]. Ce qui a un impact sur la santé physique et mentale des habitant·es, qui se retrouvent coincé·es dans une spirale infernale : le logement rend malade, le niveau de loyer empêche de se soigner, et les loyers ailleurs sont tellement élevés que l’on ne peut pas espérer déménager dans un bien de meilleure qualité.
En effet, pendant ce temps-là, les loyers augmentent plus vite que l’inflation ; ils prennent donc progressivement une proportion de plus en plus grande de nos revenus. Et l’on est donc condamné·e à rester dans ce logement qui rend malade et appauvri. Avec, au bout de la chaîne, les personnes sans domicile fixe qui passent la nuit tantôt à la rue, tantôt chez des ami·es, tantôt dans des centres d’accueil. Pour celles et ceux-là, la dégradation de l’état de santé est encore plus rapide, plus irréversible. Le dernier dénombrement de 2020 a comptabilisé plus de 4 380 adultes et 933 enfants à Bruxelles, 1 472 adultes et 401 enfants à Gand, 422 personnes sans abri à Liège, 149 à Arlon… Des chiffres en augmentation, partout. Et des chiffres sous-estimés, aussi, tant il est difficile de quantifier le phénomène.
Pour les personnes sans papier, c’est encore une autre galère, car elles sont totalement à la merci des marchands de sommeil prêts à tirer profit de leur situation administrative. En effet, si un·e locataire avec papier redoute déjà d’entrer en conflit avec son bailleur par peur d’être expulsé·e, c’est presque impensable pour des personnes sans papier, pour lesquelles porter plainte à la police relève du parcours du combattant.
La sacralisation de la propriété privée
Si le marché privé exclut, appauvrit, fragilise, menace la santé physique et mentale des locataires, c’est parce que les choix politiques, depuis que la Belgique existe, n’ont fait que protéger la propriété privée, en la considérant comme un investissement devant être rentable. Tout en abandonnant progressivement l’idée que le logement public puisse faire partie de la solution. Ce ne sont en effet pas les quelques centaines d’unités de logements sociaux produits par an en Région bruxelloise qui parviendront à loger les 52 000 ménages qui sont sur liste d’attente (entre 2012 et 2021, le parc bruxellois n’a progressé que de 3 %).
Accepter de laisser la sacro-sainte « loi de l’offre et de la demande s’équilibrer » en matière de logement, c’est accepter qu’un logement bien isolé, de meilleure qualité, mieux situé… soit plus rentable, et donc coûte plus cher. C’est aussi accepter le corollaire de cette affirmation : les logements de moins bonne qualité – voire insalubres – sont les seuls accessibles financièrement aux ménages les plus précaires. C’est accepter qu’un·e locataire d’un logement insalubre ne puisse pas porter plainte à la DIRL[3. Direction de l’inspection régionale des logements. Elle délivre l’attestation de contrôle de conformité à la demande du bailleur lorsque ce dernier a effectué les travaux nécessaires dans un logement interdit à la location car il ne respectait pas les normes de sécurité, de salubrité et d’équipement de base. La demande entraîne systématiquement une enquête.] par peur de recevoir un arrêté d’inhabitabilité et se retrouver sans solution de relogement. C’est accepter qu’un·e locataire se retrouve coincé·e dans une situation inacceptable (logement trop petit, violences intra-familiales…) faute de pouvoir se payer un toit.
Et c’est bien cette direction que prennent les politiques actuelles. En effet, lorsque des propositions plus ambitieuses que l’actuelle grille indicative et commission paritaire locative ont été mises sur la table, la sentence du Conseil d’État a été irrévocable : « Disproportionné ! » Limiter la propriété privée pour favoriser la collectivité, pour améliorer l’accès au logement pour toutes et tous, est donc considéré comme « disproportionné »…
Cette dernière affirmation, pour le mouvement de droit au logement, est tout simplement inacceptable. Sortir le logement de la logique marchande et reconnaître l’asymétrie dans la relation locative (le bailleur a, par définition, plus de pouvoir que le ou la candidat·e locataire, qui n’a souvent d’autre choix que d’accepter le logement ‒ le taudis ? ‒ qu’on lui propose de louer en contrepartie d’une partie de son revenu), c’est une étape nécessaire pour faire advenir le droit au logement pour toutes et tous. Faire baisser des loyers est une nécessité vitale pour un nombre croissant de ménages belges. Jusqu’à présent les politiques se sont bornées à mettre en place des mesures individuelles (telles que l’allocation loyer) ou laissant la responsabilité au locataire de défendre ses droits (la commission paritaire locative en est un bon exemple), ou encore des dispositifs supposés pallier le manque d’ambition dans la production de logement social, mais largement insuffisants et coûteux pour les finances publiques. Certes, il y a des avancées (notamment, l’interdiction de proposer un loyer abusif). Mais ces avancées sont trop timides au regard de l’urgence. Elles ne remettent pas en question les origines de la problématique. Elles permettent au mieux à quelques un·es d’être dans une situation un peu moins pire, mais aussi de faire perdurer la situation injustifiable dans laquelle nous nous trouvons.
Le mouvement s’organise
Face à cette urgence sociale, le mouvement logement [4. Actuellement nous rassemblons plus de 80 associations et collectifs en lutte pour le droit au logement et à la ville, partout en Belgique. Nous sommes aussi organisés à l’échelle européenne, à travers la Coalition européenne d’action pour le droit au logement et à la ville, qui rassemble 37 collectifs de partout en Europe.] s’organise et prend de l’ampleur. A travers des manifestations, des actions dans l’espace public, des interpellations directes aux politiques, des moments de réflexion sur le comment concrètement faire baisser les loyers, des moments de sensibilisation autour de cette épineuse question « propriété privée vs droit au logement » … Les perspectives sont nombreuses. D’autant que nous entrons dans une année électorale. Nous sommes convaincu.es que c’est par la construction d’un réel rapport de force que nous pourrons faire advenir le droit au logement. Seul un mouvement collectif fort, rassemblant le réseau associatif, militant et les personnes mal logées, et s’alliant avec d’autres luttes (les lutte féministe, écologique, et la lutte pour la régularisation en sont de bons exemples) pourra obtenir les changements désirés.
(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY-NC-ND 2.0 ; photo d’un immeuble à appartements, prise en février 2010 par Lamazone.)