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En débat. Pour un véritable cours de philosophie et citoyenneté

©Montage Politique – Photo Olena Bohovyk (UnSplash) – Illustration Simpacid
©Montage Politique – Photo Olena Bohovyk (UnSplash) – Illustration Simpacid

Que pensent les philosophes du nouveau cours de philosophie et citoyenneté (CPC) ? Parole à l’APhil, l’association des philosophes issus de l’Université de Liège (seule université francophone belge publique, complète et pluraliste), qui pointe les difficultés rencontrées et le potentiel émancipateur d’un véritable cours de deux heures obligatoires de CPC.

C’est en septembre 2024 que débutera la huitième année de la mise en place du cours de philosophie et citoyenneté (CPC). Une heure obligatoire par semaine pour l’ensemble des élèves, et une deuxième heure de philosophie à choisir, parmi un panel d’options où se trouvent les cours de religions et de morale. Avant sa mise en place en 2016, cette situation ne semblait déjà pas idéale. Elle apparaît plus que jamais absurde et intenable, et ce pour plusieurs raisons dont cet article voudrait, au nom de l’Association des philosophes issus de l’Université de Liège, établir le bilan circonstancié.

Un bilan loin d’être satisfaisant

L’organisation actuelle du Cours de philosophie et citoyenneté soulève d’abord des difficultés d’ordre pragmatique. En effet, afin d’établir l’horaire complet d’un·e enseignant·e dont la matière n’est donnée qu’une période par semaine – à peine 50 minutes de cours –, il faut « empiler » vingt classes différentes. Une arithmétique simple permettra de conclure que certain·es enseignant·es se retrouvent donc avec la responsabilité de donner cours à près de 500 élèves, le plus souvent éparpillés en plusieurs écoles. Impossibilité de mémoriser les noms et prénoms de chacun, difficulté de prêter attention et soin à chaque classe et donc de créer ce lien de confiance pédagogiquement indispensable à la réussite des apprentissages, charge de travail considérablement accrue, voire intenable en termes de préparation, de correction et d’évaluation.

Il faut trancher le paradoxe qui rattache le cours de philosophie et citoyenneté (CPC) aux cours « convictionnels ».

À cette véritable gabegie pédagogique s’ajoute par ailleurs un mépris indirect des élèves du fait de cette situation : des plus exigeantes, la méthode philosophique ne peut faire l’objet d’un apprentissage véritable qu’au prix d’une différenciation pédagogique permanente. Pour rester dans le domaine de l’arithmétique  : 25 élèves par classe, c’est donc – soyons optimistes – deux minutes d’attention prêtée à chacun·e par cours.

Entre paradoxe et absurdité

Dans cette perspective, la mise en place du CPC aboutit à un résultat totalement opposé à sa raison d’être. Il se trouve en effet que c’est à l’occasion d’un problème juridique posé par les cours philosophiques, la non-neutralité du cours de morale, qu’il a été possible de mettre en place le CPC. Un cours conçu comme une approche critique et raisonnée, au moyen de la démarche philosophique, de la citoyenneté – de sa complexité conceptuelle, des institutions, des droits et des pratiques qui la déterminent, et des enjeux qui la travaillent. Le CPC devait donc être le lieu où les élèves, quelle que soit leur orientation philosophique ou religieuse, se trouvaient rassemblé·es autour des problèmes et des enjeux que soulève la citoyenneté aujourd’hui. Nous constatons qu’en fait, c’est exactement l’inverse qui se passe parfois! En effet, pour la deuxième heure, les élèves ont le choix entre le CPC et les cours de religion ou de morale. La première heure, obligatoire et commune, devient donc le lieu où les élèves s’identifient et se reconnaissent en fonction du cours qu’ils suivent ensuite en deuxième heure. Le CPC, révélateur des orientations convictionnelles de chacun : paradoxal, non ?

Pour être à la hauteur des attentes, le CPC doit être donné sur deux périodes obligatoires à tous les élèves de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Il convient donc de sortir de l’absurde et d’offrir toute sa puissance et sa chance à ce cours en tranchant définitivement le paradoxe qui le rattache aux cours dits convictionnels. Que l’on nous comprenne bien : il n’est pas question ici de se prononcer sur la place et l’avenir des cours de religion et de morale. C’est une tout autre question, et elle doit désormais être traitée indépendamment du CPC. Nous pensons cependant qu’il est temps de faire le nécessaire pour que la neutralité du CPC soit dénuée de toute ambiguïté, en permettant aux élèves qui le suivent de ne pas être pointés du doigt en raison du choix philosophique ou religieux qu’induit avec inconséquence le formulaire de choix d’options soumis par les écoles aux élèves majeurs ou aux responsables légaux.

Deux heures de philosophie pour toutes et tous donc. Résolument et plus que jamais. C’est un enjeu de société, car un cours de philosophie qui prend pour objet la citoyenneté peut apporter une méthode, des savoirs, des outils susceptibles d’enrichir les élèves, à la fois à titre personnel, mais également dans leur rapport au monde et aux autres. Pourquoi n’offrir qu’à moitié cette opportunité, et seulement d’ailleurs à une partie des élèves, ceux du réseau officiel? La Belgique fut pendant longtemps un des rares pays européens à ne proposer aucun cours de philosophie. Elle le fait désormais depuis huit ans. Mais ce n’est que sous une forme quasi nominale, un vernis philosophique en somme, rien de bien sérieux aux yeux des élèves, rien de professionnellement séduisant pour celui ou celle qui quitte les bancs de l’Université.

Deux heures obligatoires, dès maintenant

Qu’en conclure ? Les conditions d’organisation actuelles du CPC suscitent, chez les élèves comme chez les enseignant·es, de fortes discriminations. Non seulement parce qu’il est plus commode d’apprendre à problématiser philosophiquement, distinguer arguments logiquement valides et sophismes, conceptualiser des situations éthiquement complexes, si l’on a le temps de le faire. Non seulement parce que la disponibilité et l’attention de l’enseignant·e à l’égard de ses élèves, son investissement dans l’école, sont tout autres en face de quatre ou cinq classes plutôt que dix ou douze, et dans un ou deux établissements, plutôt que dans cinq ou six. Mais aussi, et surtout, parce qu’une quarantaine de minutes par semaine n’offrent à ce cours aucune véritable chance d’exister tel qu’il a été prévu par le Décret de juillet 2015, puis par le Référentiel et le Programme. Le CPC à une période par semaine seulement, c’est, en fait, et malgré toutes les bonnes intentions et l’énergie des uns et des autres, au mieux un mensonge à l’égard de ce qui est annoncé, au pire un moyen de dégoûter et de détourner ceux qui le vivent de près ou de loin (élèves, parents, enseignant·es…) de la démarche philosophique, de l’objet et de l’objectif auxquels elle doit s’appliquer – la citoyenneté.

Afin d’éviter cet immense gâchis et permettre au CPC d’être à la hauteur des espoirs de ceux et celles qui ont contribué à son émergence, nous réclamons donc qu’il soit donné sur deux périodes obligatoires à tous les élèves de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Le CPC doit en effet se penser et s’enseigner comme une unité indivisible de deux heures, non comme deux unités d’une heure et encore moins comme une « approche transversale »; une ambiguïté qui aboutit, selon une organisation qui n’a pas été validée par le Conseil d’État, à priver les élèves de l’enseignement confessionnel de l’indéniable richesse de la philosophie