Politique
Politique et image : quand parle le corps
30.06.2017
On pense d’abord à un plan de fiction. Notre mémoire nous renvoie à une mauvaise parodie du face à face mythique entre Ingrid Bergman et Humphrey Bogart dans Casablanca. Le trait est peut-être forcé. Mais on ne peut pas ne pas y penser.
Dans cette photo où se rejoignent la co-présidente d’Ecolo et le président libéral, les codes du langage corporel fonctionnent pleinement. La complicité entre Zakia Khattabi et Oliver Chastel apparaît comme une évidence lumineuse. Chacun en tirera les conclusions politiques ou idéologiques qui lui conviennent — et il n’en a pas manqué sur les réseaux sociaux avec la délicatesse qui caractérise ces modes de communication —, mais aucune parole ne pourra démentir la proximité à ce moment précis entre « un homme et une femme ». Mais, après tout, il s’agit peut-être précisément d’une fiction victime d’un mauvais scénariste qui ne maîtrise pas son histoire. Ou alors, fiction et réalité sont inséparables et traduisent une inclination inconsciente ou jusque-là inavouée ? Au-delà de l’impression envahissante qui, au premier degré, forge notre regard, un instantané comporte toujours une dimension ambiguë qui échappe aux protagonistes comme à celui qui capte leur image. Mais pour ceux-ci, comme pour nous tous, et en dépit du contrôle que nous tentons d’exercer le plus souvent sur notre gestuelle, le corps demeure un outil de communication essentiel.
Si les théoriciens du langage corporel ou de la communication non verbale1 établissent que les interlocuteurs réagissent inconsciemment aux messages non verbaux mutuels, ils ajoutent que la communication non verbale peut aussi être en contradiction avec le message délivré. Un regard peut démentir un mot, un geste peut contrarier une affirmation. La théorie de la « double contrainte » ajoute que si le langage du corps peut parfaitement amplifier la portée des mots prononcés, il peut aussi le contredire ou, à tout le moins, brouiller les pistes… En ce qui concerne la photo de notre « couple » Khattabi/Chastel, chacun interprétera selon ses convictions.
Quelques heures plus tard, sur un autre document, l’Insoumis François Ruffin livrait, lui aussi, un message non verbal signifiant. Dans sa situation, la communication non verbale était même la seule possibilité d’expression. Au moment où l’écolo-socialo-macronien François de Rugy est ovationné par ses pairs pour son élection à la présidence de l’Assemblée nationale, François Ruffin se trouve encerclé par les soutiens enthousiastes de celui dont il était voisin de siège pour des raisons alphabétiques. Les jeunes-vieux macroniens en costume uniforme bleu nuit applaudissent debout tandis que Ruffin, en bras de chemise, demeure ostensiblement assis le regard fixé sur un ailleurs possible ou dans une fuite vers l’horizon des rêves. Du coup, dans le cadre, l’attention se déplace : le personnage principal n’est plus de Rugy, mais Ruffin. Ici encore l’attitude, la position, la gestuelle en disent plus long sur le pouvoir et l’opposition (et leur rapport de force) que de longs discours. Le cadrage et la lumière figent la scène comme dans un clair-obscur que le Caravage n’aurait pas renié. Les costumes sombres habités par des sourires de contentement laissent une trouée de lumière d’où surgit l’opposant habillé de clair et dont le visage esquisse un regard ironique. Une composition quasi religieuse.
Quand la photo ou le plan fixe ainsi une gestuelle dans un moment symbolique, qu’il s’agisse du couple ou du solitaire, le récit transcende l’information et nous entraîne dans l’imaginaire.
1 Notamment ceux de l’École de Palo Alto (Californie) rassemblé dans les années 50 autour, entre autres, de Gregory Bateson et Paul Watzlawick.