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Pétromasculinité : Quand la crise climatique et l’autoritarisme se nourrissent l’une de l’autre

Montage : Politique
Montage : Politique

La crise climatique et la montée des mouvements autoritaires sont souvent analysées séparément, mais sont en réalité liées. L’exploitation des énergies fossiles, la misogynie et le racisme se nourrissent mutuellement, comme le montre le concept de pétromasculinité de la chercheuse Cara New Daggett. Cet article explore comment ces dynamiques interconnectées façonnent les discours et actions des conservateurs, soulignant l’importance de les comprendre pour imaginer une sortie de crise inclusive et respectueuse de l’environnement.

Depuis quelques années, nous vivons une crise climatique sans précédent. Inondations, incendies de grande ampleur, canicules, les exemples se multiplient d’événements météorologiques dévastateurs. Cette crise met en danger l’ensemble du modèle économique capitaliste puisqu’elle laisse entrevoir les risques de plus en plus visibles de l’exploitation sans frein des ressources planétaires, parmi lesquelles les énergies fossiles, disponibles et nécessaires à sa pérennité.

L’extraction d’énergie, qu’il s’agisse de pétrole ou de gaz, est indispensable à la marche en avant d’un système économique en quête constante de production et de profits. Dans le même temps, le monde occidental fait face à une autre crise, celle de la masculinité hégémonique. En effet, les personnes sexisées et minorisées commencent, doucement, à pouvoir faire valoir leurs droits et sont, petit à petit, entendues dans leur lutte pour davantage d’égalité et d’inclusivité, ce qui vient titiller les privilèges dont les hommes blancs jouissent depuis des centaines d’années. La montée des mouvements autoritaires à travers le monde, à commencer par les États-Unis, met en lumière combien ces crises sont prégnantes, entre négationnisme climatique, carbofascisme et lutte contre l’idéologie du genre. 

Une critique écoféministe permet d’éclairer la manière dont l’exploitation du monde non-humain et celle des corps féminisés et racialisés sont liées.

Or, il apparaît que ces deux crises ne sont jamais, ou presque, évoquées ensemble alors qu’elles sont profondément liées. C’est en tout cas ce qui découle des études menées par la chercheuse en sciences politiques Cara New Daggett qui démontre, au travers de son concept de pétromasculinité1, combien il est nécessaire de penser ensemble les questions féministes et l’exploitation des énergies fossiles2. Avec elle, nous comprenons qu’il existe un lien très puissant entre le soutien hypermasculin aux énergies fossiles, la misogynie et le racisme. Cette notion lui permet de décrypter les liens profonds qu’entretiennent les mouvements autoritaires et conservateurs avec l’extractivisme. Afin de pouvoir maintenir leur niveau de vie, les cultures issues des combustibles fossiles, qu’elle nomme pétrocultures, et qui sont en grande partie responsables du dérèglement climatique, ont besoin des énergies fossiles. Alors que leur extraction s’est toujours appuyée sur la domination sexuelle et raciale afin de fonctionner. D’où l’intérêt d’une critique écoféministe de la situation, qui permet d’éclairer la manière dont l’exploitation du monde non-humain et celle des corps féminisés et racialisés sont liées. 

Énergies fossiles, masculinité blanche et politique autoritaire en top des programmes

Aux États-Unis plus particulièrement, mais cela a tendance à percoler à travers le monde occidental notamment depuis le premier mandat de Donald Trump, il semble y avoir un lien fort entre les énergies fossiles, la masculinité blanche et le désir de politique autoritaire. La misogynie et l’extractivisme sont deux caractéristiques communes à ces mouvements autoritaires et pourtant, elles sont analysées et combattues comme des problèmes distincts. Pourtant, si l’on analyse le Projet 2025 qui a constitué la feuille de route produite par la Heritage Foundation pour l’administration Trump, il apparaît que ses deux premiers axes sont la famille et l’accélération de la production d’énergie fossile. Et d’après Cara New Daggett, ce n’est pas un hasard s’ils sont mis en avant en premier dans ce plan d’action ; « Par exemple, les médias se demandent si les électeurs se soucient davantage des questions relatives aux femmes, à l’économie ou à l’énergie, comme s’il s’agissait de problèmes différents. Or, ces questions sont liées. Ce n’est pas une coïncidence si elles ont tendance à être mentionnées ensemble dans les mouvements de droite. L’extraction d’énergie est justifiée par une vision du monde qui nécessite d’exploiter et de contrôler la reproduction, les métiers du soin et de la maintenance, afin que toute cette énergie puisse être mise au service de la production et du profit. La pensée raciste et antiféministe est nécessaire pour justifier ce système extrêmement violent, pour expliquer pourquoi certaines personnes, certains travaux et certains corps humains et non humains y ont moins de valeur que d’autres. »3

Ce n’est pas une coïncidence si les questions relatives aux femmes, à l’économie ou à l’énergie ont tendance à être mentionnées ensemble dans les mouvements de droite.

L’exploitation des femmes en tant que force de reproduction est un des credo des réactionnaires. Entre abolition du droit à l’avortement, politiques de natalité, législations anti-queers et anti-trans et autres réductions de l’accès à la santé reproductive, les personnes sexisées sont prises pour cibles dans tous les programmes identitaires. Par ailleurs, blanchité et hydrocarbures vont de pair depuis longtemps. Ainsi, cette ligne de couleur qui divise le monde revêt une importance toute particulière dans la question climatique, mais également lorsqu’il s’agit des énergies fossiles et de leur extraction. L’accaparement des ressources fossiles n’est envisageable que si la valeur humaine des populations qui vivent dans les régions ciblées est diminuée. Il est donc nécessaire de les inférioriser.

L’abondance vantée et souhaitée par les mouvements autoritaires repose autant sur l’exploitation des ressources naturelles que celle des populations des pays où se trouvent ces ressources.

Le lien entre soumission de la nature et oppression des non-Blanc·hes s’est noué au début de l’entreprise coloniale et a percolé jusqu’à nos jours. Il suffit de voir ce qui se joue actuellement à Goma au Congo pour comprendre que l’extractivisme engendre les pires conséquences. Or, l’abondance vantée et souhaitée par les mouvements autoritaires repose autant sur l’exploitation des ressources naturelles que celle des populations des pays où se trouvent ces ressources. Sans les matières premières, sans les marchés des pays du Sud et surtout, sans l’exploitation, voire l’esclavage des peuples autochtones, pas de pétrole. 

Violences et angoisses intrinsèquement liées

Le concept de pétromasculinité met en évidence le fait que la misogynie, le racisme et l’extractivisme ont émergé ensemble et en soutien l’une de l’autre, ce qui signifie que l’anxiété liée au genre glisse maintenant aux côtés de l’anxiété climatique, et que la violence de genre peut parfois exploser sous la forme d’une violence fossile. Le libéralisme et l’exploitation des sols qui a permis son émergence ont offert à une certaine partie de la population des privilèges dont elle a bien du mal à envisager se défaire.

Les industries d’énergies fossiles ont fait naître cet imaginaire qui imprègne les extrêmes droites, celui où l’humain pourrait satisfaire tous ses désirs en bénéficiant d’une énergie illimitée.

Reposant sur l’exploitation des femmes, des personnes minorisées et de la nature, cette exploitation est aujourd’hui remise en question par de nombreux mouvements soucieux de l’avenir de notre planète. Et les réactions des mouvements autoritaires sont à la hauteur des menaces qu’ils ressentent pour eux-mêmes, puisqu’ils voient leur désir d’une expansion énergétique infinie réellement remis en question. Or, ce sont les énergies fossiles et leurs industries qui ont fait naître cet imaginaire qui imprègne les extrêmes droites, celui où l’humain pourrait satisfaire tous ses désirs en bénéficiant d’une énergie illimitée et où le plaisir est lié à l’accès à une énergie foisonnante et à un consumérisme qui s’appuie sur celle-ci ainsi que le formule la chercheuse : « La pétromasculinité est plus flagrante à l’extrême droite, parce qu’elle met en évidence la façon dont les pétrocultures ont été construites sur des ordres patriarcaux, avec des normes sexuelles et de genre strictes, cantonnant les femmes au travail lié au soin et à la réparation. L’extrême droite veut défendre et intensifier sans vergogne à la fois le système patriarcal et les énergies fossiles. »4 

La notion de pétromasculinité montre que la masculinité peut être réaffirmée à travers une obéissance au pétrole.

À la lumière de cette analyse, il apparaît moins surprenant que les hommes blancs conservateurs, quelle que soit leur classe, semblent être les négationnistes climatiques les plus virulents ainsi que les premiers partisans de l’énergie fossile en Occident. Comme le dit Cara New Daggett dans son ouvrage : « Les échecs du capitalisme fossile à entretenir le régime masculin blanc, qu’il a contribué à ériger à l’aide de salaires et de marchandises, ne font qu’exacerber un sentiment d’impuissance collective. Afin de manifester son pouvoir, la personnalité autoritaire, impuissante, est obligée d’incorporer sa pulsion dominatrice dans la soumission à une force externe et supérieure, que ce soit Dieu, les lois du marché, un chef militaire ou un tyran. Ou encore la combustion d’énergies fossiles. La notion de pétromasculinité éclaire ce type de phénomènes, et montre que la masculinité peut être réaffirmée à travers une obéissance au pétrole. »5 

Une idéologie qui percute aussi la Belgique

Si nous pouvons encore aujourd’hui estimer que nous sommes à l’abri de ce mode de pensées en Belgique, certaines récentes sorties de personnalités politiques haut placées ne doivent pas nous rassurer. S’il ne nie pas la réalité du dérèglement climatique, Georges-Louis Bouchez prône la préservation des libertés individuelles et le développement socio-économique, allant jusqu’à affirmer lors d’un débat sur la RTBF : « Je ne suis pas pour l’écologie punitive. Je n’ai pas envie de dire à celui qui part une fois ou deux en vacances en Espagne qu’il ne peut pas le faire. » À l’image de nombreux autres partis de droite, son approche est clairement écomoderniste, à savoir qu’il se rattache à un mouvement techno-optimiste qui croit que l’expansion énergétique, matérielle et des profits peut être dissociée de son impact écologique grâce à l’innovation technologique.

À l’image de nombreux autres partis de droite, l’approche du MR est écomoderniste.

Profondément convaincu que l’humanité est capable de surmonter la crise environnementale, il répète régulièrement son souhait de ne pas se priver des industries clés ni de la croissance économique. Le discours écomoderniste du MR, concomitamment à son recrutement d’anciens membres du parti d’extrême droite Chez Nous, et aux nombreux propos racistes et sexistes continuellement relayés sur les réseaux sociaux, dans la presse généraliste ou au travers des textes publiés par leur centre d’étude Jean Gol, laisse toutefois entrevoir une ouverture possible vers une politique pétromasculiniste qui pourrait se faire jour si d’aventure les contre-pouvoirs et autres forces progressistes ne parvenaient pas à se coaliser pour faire entendre leurs voix raisonnées afin d’ouvrir la voie à un avenir plus désirable pour la grande majorité des humains et l’ensemble du vivant.