Politique
Paradoxes migratoires. A la recherche d’une solution globale (présentation)
21.02.2016
Cette évidence logique fut longtemps refoulée. En 1974, date de fin d’une immigration de travail bien maîtrisée, l’Europe a officiellement fermé ses frontières tout en y aménageant quelques soupapes pour faire baisser la pression qui s’accumule à partir du monde extérieur : regroupement familial, asile, régularisation… En permanence, le modèle s’ajustait entre la forteresse et la passoire. Les États européens ne contrôlaient pas tout, mais ils « géraient » pragmatiquement. Et voilà qu’une guerre civile meurtrière vient bousculer ce bricolage. Elle vient aussi bousculer des hypothèses, des certitudes, des postures. Personne n’en sort indemne. Ici s’exprime librement une nouvelle xénophobie d’État : « pas de ça chez nous ! ». Là on cherche à adapter aux contingences le vieil utilitarisme de l’immigration choisie – on prend ceux-là, on rejette les autres. Désespérément, on cherche la formule du « triple win » d’une politique migratoire qui serait gagnante pour les pays de départ et d’arrivée ainsi que pour les migrants eux-mêmes. Une politique sans perdants. Un rêve ? L’utilitarisme est bien la constante des politiques migratoires européennes depuis qu’elles existent. Il s’est simplement modulé sur les besoins fluctuants de main-d’oeuvre, comme le montrent bien Hassan Bousetta, Jean- Michel Lafleur et Marco Martiniello. Dans deux articles en miroir, Gregory Mauzé met en évidence un paradoxe troublant : s’il existe bien une « gauche humanitaire » accueillante et une droite populiste xénophobe, c’est beaucoup plus complexe quand on examine les camps sociaux traditionnels, dont les politiques en la matière s’adaptent au gré des circonstances. De fait, le patronat est généralement favorable à la liberté migratoire dont un des effets est d’agrandir l’armée de réserve des travailleurs disponibles, tandis que le mouvement ouvrier défend traditionnellement la fermeture du marché du travail pour préserver son rapport de forces, tout en promouvant l’égalité des droits afin de ne pas importer le dumping social. Les Syriens sont-ils de simples migrants ou faut-il les désigner par le statut auquel ils aspirent : des demandeurs d’asile ? Pour Andrea Rea, établir une distinction entre nécessité (de la protection) et liberté (de la migration non contrainte) est nécessaire pour ne pas faire totalement dépendre la sélection migratoire de la compétition entre migrants. Pour François Gemenne, cette distinction est artificielle, car la misère est autant une contrainte que la répression. Une solution globale ? Pour Caroline Intrand, du Ciré, il faut tendre vers une véritable liberté migratoire incluant l’établissement, car les pratiques de refoulement sont forcément criminelles et attentatoires aux droits humains. Mais elle convient que cette liberté exige des préalables qui ne sont pas rencontrés. Philippe Van Parijs revisite son « trilemme » : pour aborder la migration, il y a trois attitudes possibles, et aucune n’est satisfaisante. Il faut impérativement tracer une perspective à plus long terme qui rendra la migration d’autant plus supportable que beaucoup moins de personnes tenteront l’aventure. Pour François De Smet, il faut en finir avec la stigmatisation des migrants « économiques » : c’est justement à travers leur apport économique – comme travailleurs, entrepreneurs, créateurs, consommateurs – que les migrants sont utiles à notre société qui a tout à gagner à les accueillir. Enfin, Carlo Caldarini nous explique que, chaque jour un peu plus, on expulse des Européens que la citoyenneté européenne ne protège plus. Ce Thème a été coordonné par Henri Goldman.