Politique
Océans : patrimoine commun oublié de la COP21
08.06.2020
En parallèle, un autre processus a été mis en route : l’exploitation des minerais des fonds marins, avec le risque de dégrader un peu plus les écosystèmes océaniques. Et un code minier pour l’exploitation dans les eaux internationales est en cours d’élaboration…
Cet article a été publié dans le n°97 de novembre 2016. Nous le republions à l’occasion de la Journée mondiale des Océans (8 juin).
L’unique allusion faite aux océans dans l’accord final de la COP21 figure dans son préambule : « Notant qu’il importe de veiller à l’intégrité de tous les écosystèmes, y compris les océans… ». Le terme disparaît ensuite des 40 pages du document.
Une évocation lapidaire pour un accord sur les changements climatiques sachant que cette étendue qui recouvre plus de 70% de la surface de la planète en est le premier fournisseur d’oxygène (le phytoplancton produit environ la moitié de l’oxygène de la planète) avant les forêts, que près du quart des émissions de carbone d’origine humaine est absorbée par les océans et que la régulation du climat est intimement liée à l’activité et à la composition de ceux-ci.
Comme l’expliquait un chercheur au Figaro[1.Vincent Laudet, directeur de l’Observatoire
océanologique de Banyuls-sur-Mer (université Pierre et Marie Curie, CNRS, Centre national de la recherche scientifique français) interrogé dans Le Figaro du 13 décembre 2015, « Océans, transports aérien et maritime, les grands oubliés de la COP21 ».], plusieurs éléments permettent de comprendre cet « oubli » : « On le connaît très peu, même si l’on sait qu’il a notamment un rôle de pompe à CO2, dans le transport du dioxyde de carbone et qu’il sert de tampon thermique.
Deuxièmement, l’océan n’est à personne. Il est donc plus difficile de s’en soucier. Enfin, il est complexe à étudier et d’en avoir une connaissance globale, malgré les observations par satellites. »
Les connaissances en matière d’interactions entre océan et climat sont donc encore largement incomplètes et ne peuvent être étudiées facilement.
Il semble toutefois reconnu que « les écosystèmes marins profonds contribuent au refroidissement de la planète dans son ensemble, à son équilibre thermique, et à l’équilibre chimique de l’océan et de l’atmosphère »[2.Voir CNRS, l’Ifremer (2014) : « Impacts environnementaux de l’exploitation des ressources minérales marines profondes », pp.692-694.].
Patrimoine commun
Autre piste pour appréhender cette omission dans l’accord de la COP21 : « L’océan n’est à personne ». Ceci n’est en réalité pas tout à fait exact. Selon la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), les zones maritimes internationales et les ressources qui s’y trouvent sont le patrimoine commun de l’humanité. Plus de 160 États prennent part à cette convention, à l’exception notable des États-Unis et de quelques autres pays[3.Notamment la Turquie, Israël, la Colombie et le Pérou.].
Les océans seraient donc, dans l’optique d’un patrimoine commun, plutôt « à tout le monde » qu’« à personne ».
La CNUDM, encore appelée conférence de Montego Bay, a été rédigée en 1982 et est entrée en vigueur en 1994. Elle définit les notions d’eaux territoriales, de zones économiques exclusives et dresse les principes généraux de l’exploitation des ressources dans les eaux internationales.
Depuis une décennie, ce sont les ressources minérales qui aiguisent le plus les appétits, épuisement tendanciel des gisements terrestres et difficultés d’accès croissantes obligent.
Les expéditions scientifiques menées depuis une quarantaine d’années ont permis la mise en évidence de gisements sous-marins. Ces minéralisations ont assez rapidement capté l’intérêt de plusieurs pays (notamment les États-Unis, mais aussi la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas, le Canada, le Japon, l’Allemagne…) et de consortiums privés (Shell, Eni, l’Union minière). Au début des années 1980, les premières études pour déterminer le potentiel économique d’une zone située dans l’Océan Pacifique, la zone de Clarion- Clipperton, ont débuté. Celles-ci se sont arrêtées au moment de la rédaction de la CNUDM, qui a coïncidé avec la chute des cours des matières premières au début de la décennie 1980.
La perspective d’une exploitation économiquement rentable à court terme s’était alors éloignée.
Ces projets sont restés en sommeil jusqu’au début des années 2000. Cette période correspond au retour de tensions sur les matières premières (hausse des cours et risques croissants de rupture d’approvisionnement) dues notamment à la demande excédentaire liée à l’essor des pays émergents et au développement des nouvelles technologies.
L’appétit pour les terres rares, indispensables à certaines applications désormais largement diffusées (fibre optique, aimants d’éoliennes, matériel médical, écrans plats, smartphones, lasers, ordinateurs…), et dont près de 90% de la production mondiale provient de Chine a également participé à remettre la question à l’ordre du jour.
Les ressources minérales sont donc (re)devenues un enjeu crucial, au point que plusieurs d’entre elles soient considérées comme des « matériaux critiques » par l’Union européenne, qui importe 90% de ses métaux. En effet, des centaines de milliers d’emplois dans plusieurs pans de l’industrie du vieux continent dépendent étroitement de l’approvisionnement continu en matières premières minérales.
La convention de Montego Bay a donné naissance à trois organes internationaux : le Tribunal du droit de la mer, la Commission des limites du plateau continental et l’Autorité internationale des fonds marins. Dans leurs eaux territoriales, les États sont souverains pour l’exploitation des ressources.
La gestion des eaux internationales pour ce qui concerne les ressources minérales est confiée à l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
Les gisements minéraux sous-marins sont de trois types : les nodules polymétalliques, les encroutements cobaltifères et les sulfures hydrothermaux.
Ces minéralisations sont particulièrement intéressantes pour leurs concentrations en nickel, cuivre et cobalt.
Platine, titane, terres rares, zirconium, molybdène, vanadium, tellure, thallium et phosphore peuvent également être présents en quantité non négligeable.
Vers un code minier pour les océans
L’AIFM a déjà promulgué plusieurs règlements pour la prospection des zones potentiellement riches en métaux.
Depuis 2000, un règlement encadre la prospection des nodules polymétalliques. Un règlement similaire a été adopté en 2010 pour les sulfures hydrothermaux et un autre en 2012 pour les encroutements cobaltifères.
Actuellement, 23 contrats ont été attribués à plusieurs pays, centres de recherche ou entreprises dans l’océan Indien, le Pacifique et l’Atlantique pour une superficie totale de près de 2 millions de km2, témoignant de l’intérêt pour cette nouvelle source d’approvisionnement potentielle. Trois autres contrats sont en cours d’approbation.
L’attribution des permis suit le principe du « premier arrivé-premier servi ».
Une règlementation pour l’exploitation des ressources minérales marines en zone internationale – un code minier – est en cours d’élaboration.
Des consultations impliquant les parties prenantes concernées (États, entreprises, scientifiques) sont actuellement menées en ce sens au sein de l’AIFM. Le document préliminaire intitulé « Developping a regulatory framework for mineral exploitation of the Area »[4.AIFM, « Developping a regulatory framework for mineral exploitation of the Area », mars 2015.] balise le cadre dans lequel ce code sera rédigé.
Le principe de patrimoine commun de l’humanité est d’emblée rappelé. Assez rapidement, le besoin d’une croissance de l’investissement et de retours satisfaisants pour les exploitants est évoqué. Le régime fiscal de l’AIFM, précise le document préliminaire, doit rester compétitif et le retour financier consacré au patrimoine commun de l’humanité devra être fixé de manière à ne pas décourager l’investissement.
Si la notion de patrimoine commun de l’humanité semble séduisante sur le papier, sa mise en oeuvre est moins évidente. La première question qui se pose dans cette course aux minerais sous-marins est la suivante : comment les pays en développement (PED), compte tenu des investissements, des compétences, techniques, technologiques, scientifiques nécessaires à l’exploration et l’exploitation des planchers océaniques,
vont-ils pouvoir bénéficier de cette manne ?
L’AIFM a déjà partiellement répondu à cette question : les PED pourront faire appel à des entreprises privées pour effectuer les opérations, sous réserve que l’État se porte garant des activités de l’entreprise pour d’éventuels dommages environnementaux, mais aussi pour sa capacité financière à mener à bien le projet.
La responsabilité des États repose sur deux obligations : « L’obligation de veiller au respect par le contractant patronné des termes du contrat » et l’obligation de « diligence requise », c’est-à- dire que « l’État est tenu de faire de son mieux pour que les contractants patronnés s’acquittent des obligations qui leur incombent »[5.Tribunal international du droit de la mer, communiqué de presse du 11 février 2011.]. Il s’agit donc plus d’une obligation de moyens que de résultats. Le Tribunal international du droit de la mer précise que la responsabilité de l’État nécessite qu’il y ait un lien de causalité établi entre le manquement à l’obligation de diligence requise par l’État et un éventuel dommage qui serait causé par l’entreprise exploitante. Le cas échéant, l’État pourrait être tenu responsable pour un montant correspondant à celui du dommage causé. Les îles Nauru et Tonga ont déjà opté pour cette solution. La Belgique et le Royaume-Uni parrainent également des sociétés privées pour leurs licences d’exploration[6.Lire à ce sujet R. Gelin, « Ruée sur les ressources minérales marines : la Belgique (aussi) sur les rangs », Gresea, novembre 2014.].
Pour les pays qui n’entreprendront pas d’opérations, un système de compensation via un fonds dédié est évoqué dans la CNUDM mais sans en préciser les modalités. Le document préliminaire pour l’élaboration d’un règlement d’exploitation mentionne plusieurs possibilités pour alimenter ce fonds par des prélèvements sur les entreprises exploitantes via un paiement minimum forfaitaire, quelle que soit la rentabilité de l’exploitation, un système de royalties (entre 2 et 4% selon les premières propositions) ou encore par des prélèvements basés sur le profit des entreprises. Le taux de prélèvement devra en tout cas correspondre à ceux qui prévalent pour les mines terrestres, généralement assez faible (autour de quelque pour cent), selon le même document.
Les sommes ainsi recueillies serviraient au financement de l’AIFM et seraient ensuite reversées aux PED. Les modalités des versements (pour des projets de protection de l’environnement par exemple) ne sont pas encore précisées non plus. L’objectif affiché de l’AIFM est de finaliser le code minier d’ici fin 2016.
Des sessions de formation organisées par les pays pionniers et la mise en place de bourses d’études à destination de ressortissants des pays en développement font également partie des mesures de compensations prévues par la CNUDM.
Des aires protégées seront mises en place dans des zones d’intérêt écologique particulier.
Mais là encore, la question de la légitimité et de la nécessité de la mise en exploitation des planchers océaniques se pose.
Les connaissances scientifiques concernant les espèces vivant dans les habitats profonds – dont une large part n’a pas encore été répertoriée –, l’effet du déplacement et de la redéposition de sédiments lors de l’exploitation, le risque de modification de la composition chimique de l’eau des zones exploitées (par la dissolution de métaux) sont autant d’éléments qui devraient inciter à la prudence.
Les multiples catastrophes passées impliquant l’industrie minière semblent aussi plaider en faveur du principe de précaution.
Primauté de la croissance
Pourtant, les premières exploitations de métaux sous-marins pourraient débuter très prochainement, en 2018 en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Le projet situé dans les eaux territoriales papoues a été confié à Nautilus Minerals, une compagnie canadienne, pour exploiter un gisement d’or, d’argent et de cuivre. Le projet a été retardé pour cause de dissensions avec le gouvernement à propos de la prise de participation de l’État et de la fixation des redevances minières. L’exploitation est prévue à la livraison du navire spécialement conçu pour l’exploitation minière sous-marine, actuellement en construction en Chine. La réussite ou l’échec de ce projet pourrait déterminer l’avenir de l’exploitation des ressources minérales marines pour les prochaines décennies.
Les thématiques liées à l’environnement accaparent un espace grandissant dans les
médias et les dirigeants politiques, de même que nombre d’entreprises, dans une stratégie de communication verdissante, réaffirment désormais régulièrement le besoin d’une prise en compte plus importante de la problématique.
Paradoxalement, les premières exploitations minières des fonds marins s’apprêtent à débuter alors même que personne ne connaît précisément les impacts futurs qu’une telle entreprise pourrait avoir. Les océans, qui jouent un rôle majeur dans la régulation du climat, ont été absents des débats de la COP21.
En marge de la COP, la Plateforme océan et climat, lancée conjointement par des organismes de recherche, des ONG et la Commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco en juin 2015 ont demandé au Giec (le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) de publier une étude sur les liens entre climat et océans lors de son sixième Rapport d’évaluation sur le changement climatique. Le Giec devra décider en avril 2016, à Nairobi, des nouveaux thèmes sur lesquels il planchera dans sa prochaine publication. Tous les thèmes proposés ne pourront être retenus. Rien ne garantit à ce stade que cet aspect sera pris en compte : d’autres thématiques d’importance comme la désertification, ou l’agriculture et la sécurité alimentaire ayant également été proposées pour étude.
Qualifié d’historique par les dirigeants présents, l’accord final de la COP21 fixe l’objectif d’une limitation du réchauffement climatique inférieure à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, avec une référence à 1,5°C, en tenant compte, dans une « approche différenciée », des pays insulaires et des plus vulnérables. Le succès de cet accord dépendra largement des mesures qui seront développées par les États au travers de leurs engagements nationaux. Et malgré l’annonce faite par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères français qui présidait la conférence, l’accord ne sera pas « juridiquement contraignant » : aucune sanction n’est en effet prévue pour les pays qui ne tiendraient pas leurs engagements.
Il ne sera pas étonnant de noter la mention, dans le texte final de la COP, du besoin d’« une riposte mondiale efficace à long terme face aux changements climatiques » avant de rappeler que celle-ci se fera « au service de la croissance économique et du développement durable ». Comme pour les questions liées au changement climatique, celles touchant à l’exploitation des océans semblent toujours donner la primauté à la recherche de la croissance économique sur le respect de l’environnement.