Politique
Nucléaire : mythes et réalités
05.02.2008
Pour certains, la lutte contre le réchauffement climatique doit remettre le nucléaire en selle. Elle imposerait de revenir sur la loi de sortie du nucléaire de 2003. À juste titre ?
Plus grand monde n’ose aujourd’hui nier que les changements climatiques représentent l’un des plus grands défis auxquels nous serons confrontés au cours de ce siècle. La réduction des émissions de gaz à effet de serre est un impératif majeur et cette situation constitue une aubaine pour une industrie nucléaire vantant le caractère «propre» de sa technologie. Prétendre que le nucléaire pourrait jouer un rôle significatif dans une stratégie mondiale de lutte contre les changements climatiques relève toutefois de la publicité mensongère… Redéfinissons tout d’abord les enjeux : nous consommons différentes sources d’énergie et le nucléaire intervient uniquement pour la production d’électricité, laquelle ne représente que 16% de la demande mondiale d’énergie ; la production nucléaire ne constitue donc qu’une part marginale, de l’ordre de 3%, du «mix énergétique» mondial et ses possibilités d’accroître cette part sont très limitées. Partant de là, il apparaît évident que l’investissement dans l’atome ne pourrait apporter – au mieux – qu’une contribution très partielle à la résolution du problème climatique. Et encore cela ne pourrait-il se faire qu’en élargissant le parc nucléaire, avec les conséquences que l’on imagine en termes de risques d’accident, de prolifération, de production de déchets, de limitation des ressources d’uranium…
Dans le même ordre d’idées, lorsqu’on évoque la lutte contre le réchauffement global pour demander le maintien en activité des centrales belges, on accorde au nucléaire une importance à tout le moins surestimée. Même si l’on remplaçait tous nos réacteurs par des centrales à gaz modernes (turbines gaz-vapeur) – scénario ouvertement pessimiste vu les potentiels existant en cogénération et en énergies renouvelables – cela engendrerait une hausse des émissions de CO2 du secteur électrique mais l’impact sur le volume global des émissions de gaz à effet de serre serait limité. La Creg, régulateur des marchés belges de l’électricité et du gaz, évalue cette hausse à quelque 7,9% (soit 11,7 millions de tonnes de CO2) en 2026 par rapport aux émissions de 2003. Par ailleurs, il convient de démystifier l’idée selon laquelle le nucléaire n’émettrait pas de CO2. Pour évaluer correctement les gaz à effet de serre émis pour produire de l’électricité, il faut en effet considérer l’entièreté de la filière. Dans le cas du nucléaire, cela revient à prendre en compte les opérations allant de l’exploitation et la préparation du combustible jusqu’au démantèlement des centrales et la gestion des déchets radioactifs durant des milliers d’années. L’énergie nécessaire à ces opérations est en grande partie d’origine fossile ; elle génère des émissions de gaz à effet de serre non négligeables.
Solutions à la hausse des prix pétroliers
C’est devenu une évidence : l’ère du pétrole bon marché est révolue. Pour beaucoup d’observateurs, le baril à 100 dollars n’est qu’une étape et ce prix pourrait, à moyen terme, être multiplié par trois, quatre voire davantage en raison des tensions de plus en plus fortes entre l’offre et la demande de brut. Face à cette situation, certains prônent un recours accru à l’atome mais ici encore, leurs arguments ne tiennent pas la route. La part limitée du nucléaire dans notre approvisionnement énergétique réduit en effet d’autant son impact sur le marché. Davantage de nucléaire contribuerait tout au plus à contenir le prix de l’électricité. Et encore, même sur ce plan, les perspectives doivent être nuancées. Le prix de l’uranium a en effet atteint, lui aussi, des sommets ces derniers mois ; la livre d’U3O8 s’échange aujourd’hui aux alentours de 95 dollars sur les marchés à long terme, soit 10 fois plus qu’en l’an 2000. Ce prix de l’uranium a une moindre influence que celui du pétrole ou du gaz sur les coûts de production d’électricité mais l’évolution actuelle n’est cependant pas sans conséquence. Par ailleurs, de nombreuses incertitudes subsistent quant au coût exact de la gestion à long terme des déchets et du démantèlement des centrales. En Belgique, malgré les provisions constituées, il n’est pas impossible que les générations futures doivent supporter une partie de la charge si, comme cela fut le cas en France et en Angleterre et comme le laisse penser un récent rapport confidentiel de l’Ondraf Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies , le coût de ces opérations a été sous-estimé. Enfin et plus globalement, l’argument selon lequel l’énergie nucléaire serait bon marché est tout simplement fallacieux : cette technologie n’a pu se développer qu’à coups de subsides directs ou indirects faramineux Citons, pêle-mêle, les d’aides massives en matière de Recherche et Développement (huit fois supérieures que pour les renouvelables en Belgique au début des années 2000), le plafonnement de la responsabilité des exploitants de centrales en cas d’accident, l’octroi de prêts à taux avantageux, le financement du traité Euratom….., des sommes considérables qui n’ont pas pu être consacrées à la mise en œuvre d’alternatives durables.
Gage d’indépendances énergétiques
Importatrice de la quasi totalité de ses sources d’énergie, la Belgique apparaît particulièrement vulnérable aux aléas des marchés énergétiques internationaux (que la raréfaction des réserves pétrolières devrait attiser à l’avenir). Des voix s’élèvent dès lors, chez nous et ailleurs pour souligner le rôle «essentiel» du nucléaire dans une stratégie d’amélioration de l’indépendance énergétique. Mais une fois encore, il convient de relativiser cette affirmation.
Le combustible utilisé dans les centrales nucléaires belges est importé à 100 % et l’Europe ne possède que 2 % des ressources mondiales d’uranium. Difficile de parler d’indépendance dans un tel contexte. La situation est d’autant plus délicate que des tensions géopolitiques pourraient rapidement s’aviver si la demande mondiale d’uranium connaissait une croissance rapide. Dans ce cas, en effet, un décalage entre l’offre et la demande ne serait pas à exclure. Les capacités d’extraction et de conversion d’uranium étant très lourdes à mettre en place, elles ne pourraient pas être adaptées à court terme ce qui aurait pour conséquence une nouvelle hausse importante du prix du combustible. La sécurité d’approvisionnement est elle aussi loin d’être garantie par le recours au nucléaire. On insiste souvent sur les limites des renouvelables, arguant des caprices du vent ou d’un soleil qui ne brille pas en permanence, mais divers exemples ont surtout montré combien il peut être dangereux de faire reposer son système sur une source d’énergie dominante et un réseau hyper-centralisé. Durant la canicule de 2003, en France, de nombreux réacteurs ont dû être mis à l’arrêt ou ralentis par manque de sources de refroidissement. L’an dernier, suite à un incident technique, la Suède a vu sa capacité de production divisée par deux durant plusieurs semaines. Et en novembre 2007, c’est à nouveau l’Hexagone qui, suite à des opérations de maintenance, a dû faire face à des incidents lui imposant d’importer massivement de l’électricité alors qu’il est en principe en surplus structurel de production.
Sortir du nucléaire en Belgique ?
À l’instar d’autres pays européens, la Belgique a choisi de renoncer à l’énergie nucléaire. La loi de 2003 prévoit la fermeture progressive des sept réacteurs belges après quatre décennies de fonctionnement (leur durée de vie initiale était de 30 ans), soit entre 2015 et 2025. Ne le cachons pas : le défi est de taille. Notre pays, dont environ la moitié de l’électricité est produite grâce à la fission de l’atome, fait en effet partie des nations les plus nucléarisées au monde. De nombreuses alternatives ont vu le jour depuis le vote de la loi et de très nombreux projets se trouvent dans les cartons. Toutefois, les incertitudes entretenues ces deux dernières années quant au timing de sortie ont refroidi les investisseurs dont beaucoup attendent une décision claire et ferme sur le planning de fermeture pour passer à l’action. Prolonger la durée de vie des centrales serait dès lors un signal très négatif. La sortie du nucléaire est probablement l’électrochoc dont nous avons besoin pour remettre en question nos modes de production et de consommation d’énergie en général et d’électricité en particulier. Il s’agit d’une opportunité de s’orienter vers un système énergétique durable permettant de répondre aux besoins actuels sans compromettre ceux des générations futures. De nombreuses études en attestent : une maîtrise de la demande (sans diminution du niveau de confort) alliée au développement des sources d’énergie renouvelables et de la cogénération de qualité sont des étapes incontournables pour faire face aux défis énergétiques auxquels nous sommes confrontés. Et tourner le dos à un nucléaire qui est plus une impasse qu’une issue.