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Nouvelles actions « Code rouge ». Pourquoi la RTBF relaye le greenwashing de Total ?
30.10.2024
Ce week-end, des activistes de l’association Code rouge ont bloqué deux sites de TotalEnergies à Feluy et à Anvers. Au JT de la RTBF, à une heure de grande écoute, le reporter couvrant l’action a pourtant repris les chiffres du communiqué de presse de Total, affirmant que « Total consacre (…) plus d’argent au renouvelable qu’aux nouveaux projets d’hydrocarbures. » Cette affirmation sans distance critique se heurte cependant à la réalité des chiffres et des choix de l’entreprise. Une analyse d’Adriano La Gioia, conseiller au centre Jacky Morael, qui s’exprime ici à titre personnel.
Pendant des décennies, les entreprises fossiles ont nié le lien entre leurs activités et le réchauffement climatique. Comme l’expliquent Naomi Oreskes et Erik M. Conway dans leur livre Les marchands de doute, ces entreprises ont mis en place une stratégie délibérée de financement des « chercheurs » climatosceptiques, dans le but d’alimenter la controverse sur les causes du dérèglement climatique, à l’instar des multinationales du tabac, qui ont longtemps semé le doute sur le lien entre le tabagisme et les cancers.
La nouvelle stratégie des industries fossiles
Aujourd’hui, face à un consensus scientifique devenu irréfutable et avec la pression grandissante du « mouvement climat », cette stratégie « confusionniste » ne marche plus. Les entreprises fossiles ont donc opté pour une nouvelle stratégie et se prétendent désormais actrices du changement. Elles mènent donc des campagnes de communication visant à faire oublier le poids des énergies fossiles, tout en continuant à financer massivement de nouveaux projets d’hydrocarbures.
Au-delà des discours, Total continue d’investir massivement dans de nouveaux projets pétroliers.
Par exemple, en 2021, Total a décidé de « se réinventer »: changement de nom, en passant de « Total » à « TotalEnergies », nouveaux logos et nouveaux éléments de communication. Lors de l’assemblée générale, son PDG, Patrick Pouyanné, n’hésitait pas à en rajouter : « Aujourd’hui, pour contribuer au développement durable de la planète face au défi climatique, notre ambition est d’être un acteur majeur de la transition énergétique. C’est pour cela que Total se transforme et devient TotalEnergies. »
Cependant, au-delà des discours, Total, comme les autres géants pétroliers, continue à ancrer son modèle sur l’exploitation d’hydrocarbures et à investir massivement dans de nouveaux projets pétroliers et gaziers. Ainsi, un rapport de Greenpeace « The dirty Dozen: The Climate Greenwashing of 12 European Oil Companies » de 2022 mettait en avant que seulement 0,3% de la production des douze plus grandes compagnies pétrolières européennes provenait des énergies renouvelables, tandis que près de 99,7% de la production totale restait liée aux énergies fossiles.
Des investissements qui contredisent la communication
Certains pourraient rétorquer que la transition prend du temps. Mais alors, il faudrait observer un véritable changement dans les investissements futurs. Or, ce même rapport de Greenpeace met en avant que « seulement 7,3% des investissements de ces 12 entreprises ont porté sur les énergies vertes. »
Si l’on approfondit le cas de Total, en examinant son rapport financier de 2023, on aboutit au même constat. On peut y lire que « TotalEnergies prévoit entre 16 et 18 milliards de dollars d’investissements par an entre 2024 et 2028 » et 45% pour la chaîne pétrolière, dont 30% pour des nouveaux projets. On annonce également 20% pour le gaz naturel, essentiellement le GNL, tandis que 33% irait à ce que Total appelle des « énergies bas carbone. »
TotalEnergies alloue 30% de ses investissements futurs à des nouveaux projets d’hydrocarbures.
Un premier constat s’impose : alors que même l’Agence internationale de l’énergie (AIE) affirme dans sa feuille de route de 2021 que « pour atteindre la neutralité carbone, il faut renoncer à tout nouveau site pétrolier ou gazier au-delà des projets déjà engagés en 2021 », TotalEnergies alloue 30% de ses investissements futurs à des nouveaux projets d’hydrocarbures.
Ces nouveaux projets pétroliers suffisent à discréditer la supposée ambition climatique de Total. En effet, ils sont particulièrement problématiques, car ils ont une durée de vie qui varie généralement de 15 à 30 ans, et qui peut se prolonger jusqu’à 50 ans en ce qui concerne les plus gros gisements. Autrement dit, sauf un démantèlement anticipé, ces nouveaux projets nous enferment dans des émissions de gaz à effet de serre jusque dans la seconde moitié du 21e siècle.
Par ailleurs, certains de ces projets d’investissements sont critiqués pour leur dimension néocoloniale. Il s’agit par exemple du projet d’oléoduc EACOP en Tanzanie et en Ouganda, qui entraînera le déplacement forcé de plus de 100 000 personnes. Il menace en outre l’une des régions du monde les plus diversifiées sur le plan écologique, et les plus riches en faune sauvage.
Des investissements pas si verts
Selon Total, 33% de ses investissements seront alloués à des “énergies bas carbone ». Cependant, l’on peut constater que dans ces investissements, Total compte ceux dans l’éolien et le solaire, mais aussi dans les biocarburants, le biogaz, le recyclage du plastique, les biopolymères, les carburants synthétiques, l’hydrogène, les techniques de capture et stockage du carbone (TCC) ainsi que pour la rénovation de ses propres bâtiments.
Par ailleurs, ces investissements se limitent souvent à des achats d’entreprises et de sites de renouvelables déjà existants, comme par exemple « l’acquisition d’une participation de 34% dans Casa dos Ventos au Brésil pour 0,5 milliard de dollars. » Ils ne correspondent donc pas à la construction de nouvelles éoliennes, mais constituent une simple opération financière d’achat d’actifs, ayant pour but d’embellir le bilan total des activités et de produire de beaux discours.
La lourde responsabilité de la presse…
Plutôt que de relayer les chiffres trompeurs de Total, la RTBF aurait mieux fait de souligner que TotalEnergies continue d’allouer plus de 65% de ses investissements au pétrole et au gaz ; alors que nous nous dirigeons vers un réchauffement mondial de +2,7°C selon l’ONG Climate action tracker, et qu’il faudrait cesser tout nouveau projet pétrolier et gazier si nous souhaitons atteindre la neutralité climatique, selon l’AIE.
Il existe des leviers politiques permettant de contrecarrer ces investissements fossiles, comme empêcher leur financement.
Cet exemple de greenwashing souligne plus que jamais l’importance de la presse et sa responsabilité sociale dans le traitement d’enjeux aussi fondamentaux que le réchauffement climatique. Mais au-delà d’une critique de la couverture médiatique de cet événement, il importe également de rappeler qu’il existe des leviers politiques permettant de contrecarrer ces investissements fossiles. Empêcher leur financement pourrait ainsi limiter leur déploiement.
Il serait nécessaire de taxer les superprofits de ces multinationales fossiles et de réinvestir pour financer la transition.
Selon un rapport de l’ONG Fairfin, les banques opérant en Belgique depuis le début de l’année 2021 ont cependant accordé près de 11 milliards d’euros de soutien aux 15 plus grandes multinationales fossiles. Au niveau mondial, le financement fossile des banques atteignait 670 milliards d’€ en 2022, selon le rapport « Banking to Climate Chaos » de l’ONG Reclaim finance.
Au niveau national, il serait nécessaire de taxer les superprofits de ces multinationales fossiles et de réinvestir ces recettes fiscales pour le financement de la transition. Rappelons, que les profits de ces multinationales fossiles se sont envolés à l’issue de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. TotalEnergies a ainsi fait 20,5 milliards de profit en 2022, soit 28% de plus qu’en 2021. Il faudrait par ailleurs progressivement mettre fin aux subventions directes et indirectes des énergies fossiles. En 2023, celles-ci sont estimées par le SPF Finances à 14,7 milliards d’euros, uniquement pour le niveau fédéral.
…et des mouvements citoyens
Face à l’inaction et à la désinformation, les actions de Code rouge nous rappellent donc que des politiques climatiques ambitieuses sont urgentes si nous voulons faire cesser les pratiques trompeuses de TotalEnergies et mener une véritable transition. Jusqu’à ce que ce soit le cas, la désobéissance civile restera plus que jamais un recours à la fois nécessaire et légitime.