Politique
« Notre ventre nous appartient »
19.10.2005
Pourquoi ce numéro de POLITIQUE consacré aux 15 ans le légalisation de l’IVG en Belgique ? Pourquoi la Fédération laïque de centres de planning familial a-t-elle souhaité célébrer notamment ainsi cet anniversaire ? Si la pratique de l’avortement semble aujourd’hui, pour beaucoup, entrée dans les moeurs, il ne faudrait pas oublier qu’il n’y a pas si longtemps (15 ans c’est peu !), les femmes avortaient encore dans la clandestinité et l’illégalité. Ce n’est qu’au prix de longs combats, qu’elles ont pu obtenir enfin ce droit, si bien symbolisé par un des slogans de l’époque «un enfant si je veux, quand je veux…». Pour les plus jeunes générations, avoir conscience du chemin parcouru et de l’importance des mobilisations qui auront été nécessaires est précieux : ça aide à prendre place dans une histoire. Il y a pour nous un devoir de mémoire à assurer, non seulement pour rendre hommage à toutes celles et ceux qui ont contribué à l’avènement de la loi de 1990, mais aussi pour mieux comprendre le présent et se projeter dans l’avenir. Regarder vers le futur est bien indispensable. D’abord parce qu’en matière de vie sexuelle et affective, la légalisation de l’IVG ne résout pas tout ! Beaucoup reste à gagner : en matière d’égalité hommes-femmes, de violences conjugales, d’information et de sensibilisation des jeunes, d’accessibilité à la contraception, de lutte contre l’homophobie… La liste est longue, il ne faudrait donc pas trop se reposer sur nos acquis. La défense de toujours plus de droits et d’égalité en matière de sexualité était bien le sens des combats passés pour la légalisation de l’avortement ! À nous de continuer. Le contexte international actuel nous le rappelle malheureusement trop souvent. D’un côté, nous sommes confrontés à l’exploitation par le marché des images des corps, de l’amour et de la sexualité, comme l’illustre de façon inquiétante le développement de la pornographie sur Internet. D’un autre, c’est la montée en puissance des intégrismes religieux qui poussent partout à plus de radicalité, à un retour à la défense d’un modèle unique de la famille, ultraconservateur, qui frappe à nos portes. Autant d’idées qui agitent les peurs et la haine et qui font leur chemin en Belgique, en Europe et ailleurs. Aujourd’hui, en matière de «droits sexuels et reproductifs», on a donc parfois l’impression de devoir faire le grand écart. Ce numéro de POLITIQUE consacré à l’IVG est donc aussi, de ce point de vue, un appel au questionnement, à la réflexion et à la vigilance ! Ce Thème s’ouvre par une réflexion de Nicole Fontaine sur la pertinence de la pratique d’IVG aujourd‘hui et rappelle d’où l’on vient en la matière en Belgique, du XIXe siècle jusqu’à la loi de dépénnalisation de 1990. Dans la foulée, Monique Rifflet explique et commente les raisons qui poussent un peu plus de 15.000 femmes à avorter tous les ans dans ce pays. Place, ensuite, aux combattantes de la première heure : les femmes, dont se souviennent Fanny Filosof, qui s’en fait une porte-parole haute en couleurs, et Anne-Françoise Theunissen, qui témoigne sur un ton plus poétique. Le coût de la contraception a, il y a peu, (re)surgi dans le flot actualité. Pour Claude Moreau, c’est l’occasion de rappeler, en se tournant vers le politique, que cette pratique doit rester accessible à tous. Cinq regards de terrain forment alors le corps de ce dossier. Parole à Dominique Roynet, d’abord, qui dénonce, notamment, la charge de culpabilité qui pèse encore sur les demandeuses d’IVG. À Liège, trois centres extrahospitaliers revendiquent de plus et mieux répondre aux demandes des patientes. De son côté, Marc Abramowicz, nous donne sa vision de l’époque qui a précédé et suivi la loi, en insistant sur la sigularité de l’encadrement multidisciplinaire des centres de planning familial. Autre ville, autre problèmatique : Bruxelles et les femmes immigrées, qui ont besoin d’une aide plus adaptée, insiste le Groupe Santé Josaphat. L’avortement n’est pas seulement un acte médical bénin, c’est aussi, et surtout, une épreuve psychologique intense et dificile, souligne Colette Bériot. Lucie Van Crombrugge nous dresse, quant à elle, le portrait des associations flamandes impliquées dans le combat pour l’avortement. Enfin, les hôpitaux pratiquent aussi des IVG, comme à Baudour, d’où France Noël nous décrit son travail d’assistante sociale dans un service de gynécologie. Retour sur images. La loi de 1990 a marqué la fin d’une époque, que nous éclairons en compagnie de Pierre de Locht et Roger Lallemand. Avant eux, deux médecins, Willy Peers et Jorge Boutte, ont apporté leur pierre à l’édifice en pratiquant des avortements en toute illégalité. Nicole Fontaine et Jean-Paul Gailly retracent, respectivement, les engagements de ces hommes auprès des femmes. Et c’est à Véronique De Keyser de souffler la dernière bougie de ce 15e anniversaire en nous ouvrant les portes du Parlement européen, où le droit à l’avortement est loin d’être une évidence pour tous…ni pour toutes ! Ce dossier a été coordonné par Carole Grandjean.