Partis politiques
MR, fier d’être conservateur
08.10.2023
Le MR est-il encore un parti libéral au sens philosophique du terme ? Un entretien avec Thomas Legein, politologue au Cevipol (ULB).
Peut-on encore qualifier le MR de parti libéral, au sens philosophique du terme ? D’un côté, le parti communique sur le fait de participer à la Marche des fiertés (Pride), mais de l’autre, il attaque les «postures victimaires», le «wokisme» et les syndicats qu’il compare à une mafia.
Thomas Legein : C’est un sujet qui touche beaucoup de partis libéraux en Europe ! La famille libérale est sans doute la famille la plus difficile à définir. Il est parfois compliqué d’établir des filiations directes et évidentes entre leur appellation et leur positionnement idéologique. Pour le dire clairement : beaucoup de ces partis s’appellent « libéraux », et sont en fait conservateurs. Il faut le prendre en compte pour comprendre leur évolution progressive.
« Bouchez n’a pas inventé le conservatisme du MR, il l’incarne un peu mieux et un peu plus fort. »
Je pense qu’il n’y a pas de secret : le MR est plus conservateur que libéral et c’est le cas depuis longtemps. C’était le cas avant même que Georges-Louis Bouchez n’arrive à la tête du parti. Ce qui est intéressant, c’est de voir que sa stratégie pour arriver à la présidence a été de dire : «On en a marre d’avoir honte d’être libéraux ! » Il considère que ses prédécesseurs avaient peur de revendiquer le libéralisme, lui préférant une étiquette « réformiste » qui ne veut, selon lui, rien dire du tout.
D’où l’idée de changer de nom?
Thomas Legein : C’est clairement la raison. Il sera intéressant de découvrir l’étiquette que le parti se choisira. Reviendra-t-il explicitement au libéralisme, ou choisira-t-il une autre appellation ? Pourquoi pas « Les Conservateurs », ou bien « Les Démocrates » ou « Le Parti des Citoyens et des Libertés » pour rester dans le registre des autres partis libéraux européens ? Malgré tout, cela ne réglera pas le problème du sens. Le libéralisme du MR n’est pas en danger, parce qu’il n’est déjà plus très présent aujourd’hui. Même quand on évoque le libéralisme qu’incarnait auparavant le MR, son ouverture sur certaines questions, c’était un libéralisme pour les Belges aisés et préférablement bien intégrés. Sur toutes les questions de transidentité ou d’intersectionnalité, il n’a jamais été à la pointe. Dès que des questions touchent d’autres sujets, que cela vient se croiser avec d’autres formes de domination, le parti se retranche sur des positionnements beaucoup plus conservateurs.
Ces idées défendues s’inscrivent donc dans le temps long ?
Thomas Legein : Georges-Louis Bouchez réactualise des questions qui ont déjà été traitées. Si nous revenons à l’histoire du parti, sous la présidence du Parti réformateur libéral (PRL) par Jean Gol, on entendait un discours à la limite de la xénophobie, en tout cas assez conservateur sur le clivage ethnocentrique/universaliste, et une orientation très néolibérale d’un point de vue économique.
« Le MR est plus conservateur que libéral et c’est le cas depuis longtemps. »
Ensuite, avec la fondation du MR, la faction de Louis Michel est devenue dominante avec son fameux « libéralisme social ». Néanmoins, il demeurait de la diversité. Daniel Ducarme tenait une ligne assez conservatrice par exemple. La ligne du parti quitta malgré tout le volet conservateur sur les questions philosophiques, et le discours se lissa… pour un temps !
Pascal Delwit constate à nouveau un déplacement du discours dans les années 2010. Le parti dénonce alors l’échec de l’intégration de la diversité en Belgique. Le MR va alors privilégier ce qui deviendra, en 2016 sous Charles Michel, un « humanisme ferme » en termes d’immigration. L’accent est mis sur l’importance de la loi et de l’ordre. Entre 2002 et maintenant, on voit donc un déplacement, mais qui se fait très lentement. Il n’y a donc pas eu d’énorme changement avec l’arrivée d’une personne… Georges-Louis Bouchez n’a pas inventé le conservatisme du MR, il l’incarne un peu mieux et un peu plus fort, par sa méthode de communication.
Le sentiment de changement radical dans le discours et les idées du MR viendrait donc davantage de la stratégie de communication ?
Thomas Legein : Effectivement, c’est la méthode de communication qui amplifie ça. Bouchez a une stratégie très claire : on prend un sujet et on tape sur le clou. On m’expliquait en interne que c’est comme ça que son président s’y est pris pour le nucléaire. Est-ce que Georges-Louis Bouchez est fondamentalement conservateur, pense fondamentalement que le wokisme est le cancer du monde actuel? Ou est-ce juste une manière de créer une position claire et visible pour le MR, en tout cas d’orienter le débat sur certaines thématiques très polémiques ? Il est évidemment impossible de répondre.
« Est-ce que Georges-Louis Bouchez est fondamentalement conservateur, pense fondamentalement que le wokisme est le cancer du monde actuel ? »
Pour expliquer ce retour vers une position plus conservatrice, il faut aussi tenir compte du fait suivant. En 2019, il y avait deux listes concurrentes à la droite du MR : le Parti populaire et une dissidente, qui venait de ses propres rangs, les Listes Destexhe, tenant des positions clairement xénophobes. Ces deux listes représentaient chacune 3 ou 4% des voix. Je pense que Georges-Louis Bouchez a intérêt à aller chercher ces 8 %. Le problème auquel il fera face, c’est qu’il délaisse, par conséquent, un certain espace à sa gauche.
Comment l’électorat du MR perçoit-il la stratégie de communication du parti ? On a l’impression que ce n’est pas le raz de marée.
Thomas Legein : Effectivement, pour l’instant, la sauce n’a pas l’air de prendre pour le MR, en tout cas pas comme cela avait été promis. Bouchez m’a expliqué qu’une de ses inspirations étaient les campagnes de Nicolas Sarkozy. Et sa plus grande inspiration est le monde sportif. Le slogan « fier d’être libéral», il a été le chercher dans le football, avec « fier d’être bleu » pour l’équipe de France. Il s’inspire aussi beaucoup des écuries de formule 1. Le but est d’attirer des jeunes, entre 18 et 35 ans. Ce sont eux qui se sont le plus éloignés aux dernières élections, au profit de la gauche.
Y a-t-il beaucoup de tensions au sein du parti ?
Thomas Legein : La réponse est affirmative. Ces tensions au sein du parti sont néanmoins «endormies». En fait, c’est probablement la première fois dans l’histoire contemporaine qu’il y a si peu de tensions visibles. Bouchez est pourtant passé proche d’être complètement désavoué, après son casting ministériel raté. On se souvient de l’épisode du G11. À présent, tout le monde est un peu en train d’attendre les prochaines élections. Mais quelle que soit la personne qui prendra ou gardera les rênes du MR après 2024, je pense que ça ne changera pas fondamentalement la ligne du parti.
Comment est pensée la communication du parti ?
Thomas Legein : Quand on parle de communication au MR, aujourd’hui, on parle de la communication de Bouchez. Ce qui se traduit dans les faits : il n’y a plus de chef de la communication. Georges-Louis Bouchez a repris les rênes après que le précédent directeur de la communication ait été remercié, et il n’y aura pas d’autres responsables avant les prochaines élections. Ça dit quelque chose : en termes de communication, toutes les équipes du parti en répondent directement à Georges-Louis Bouchez et tout est centré autour de lui.
Est-ce que Georges-Louis Bouchez influence également son centre d’étude, le Centre Jean Gol (CJG), ce qui expliquerait la récente publication controversée sur «le wokisme»?
Thomas Legein : Qu’un président de parti influence le centre d’étude de son parti est une évidence, en tout cas en Belgique. Les responsables «scientifiques» du CJG renseignés au début des «Études du CJG» sont d’ailleurs Georges-Louis Bouchez, son chef de cabinet, Daniel Bacquelaine et Corentin de Salle. La nouvelle dynamique insufflée depuis 2019 fait que, sur des thèmes sur lesquels Bouchez souhaite insister, le Centre joue maintenant aussi le rôle de «caution scientifique». C’est justement ça qui a créé des remous, avec la controversée publication sur le «wokisme».
La communication du Centre a créé une ambiguïté sur le fait qu’il s’agissait d’une publication « scientifique ». Cela pouvait s’apparenter à la volonté d’imposer d’autorité un nouvel enjeu à l’agenda politique. Cela s’est déjà produit dans d’autres pays, avec d’autres formations conservatrices. En créant ainsi l’illusion que cette publication a été pensée et validée par d’autres personnes que des collaborateurs politiques, dont le contrat dépend directement du MR et de ses activités, le Centre sort de ses fonctions de centre d’étude d’un parti. Le CJG a toujours mentionné un « comité scientifique » supervisant les recherches qu’il mène. Simplement, la nouvelle dynamique communicationnelle du parti et l’élargissement de l’audience du centre, font que cela pose aujourd’hui question, en particulier sur de tels sujets de société.
Propos recueillis et retranscrits par Thibault Scohier