Politique
Mise au point autour de VW
22.02.2007
Dans le numéro 47, le «Point» consacré à VW comportait une note de bas de page qui a donné lieu a controverse : «On ne peut oublier que, jusqu’à très récemment, syndicats et patrons de VW s’étaient mis d’accord pour barrer l’embauche aux travailleurs issus de l’immigration. De même, on n’était pas trop regardant sur les conditions de travail des très nombreux intérimaires qui servaient de variables d’ajustement face à la discontinuité des besoins de force de travail.» Les deux points ont fait réagir la CSC-Métal qui nous demande d’expliciter nos propos. Ce que nous faisons bien volontiers. 1. Nos excuses : l’allusion à un éventuel accord était déplacée, et personne n’a effectivement pu établir l’existence d’une quelconque entente de ce type. Et pourtant, l’absence quasi totale de travailleurs d’origine arabe ou turque au sein du personnel de VW était un fait bien connu de tous. Au point qu’en 2002, la direction du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme avait souhaité s’en entretenir avec le directeur de l’entreprise. Lequel avait reconnu le fait, sans s’en expliquer. S’il n’y avait pas de politique concertée, on ne peut pas non plus mettre l’absence aussi criante d’une catégorie précise de la population sur le seul compte du hasard. Sans doute plusieurs facteurs ont joué, dans une pondération impossible à établir. — Le plus objectif : le manque de culture industrielle chez les jeunes ouvriers marocains de Bruxelles, qui partaient avec un handicap d’expérience utile par rapport aux ouvriers issus du Limbourg et du Hainaut, régions de vieilles industries sinistrées. — Le moins spécifique : toute offre excédentaire de main d’œuvre génère des effets de closed shop : l’emploi, dès qu’il se libère, reste dans la famille. On privilégie les cousins et les voisins, selon un mécanisme de cooptation familiale qui contribue au bon climat social. Les enfants de migrants, derniers arrivés, sont les moins bien servis. (Ce phénomène peut toujours être constaté dans de grandes entreprises de Wallonie.) — Le moins avouable : on ne peut pas exclure des cas de discrimination sur base de l’origine. À la Mission locale de Forest, on se souvient qu’au début des années nonante, une quinzaine de sollicitants d’origine marocaine, qui disposaient pourtant du diplôme d’électro-mécanique requis, furent tous écartés. Il y a toujours de nombreuses raisons pour expliquer pourquoi telle personne a été préférée à telle autre. Mais quand, sur le grand nombre, un certain profil est systématiquement écarté, on n’a pas le droit de l’ignorer. L’absence massive de travailleurs issus de l’immigration – comme, dans d’autres circonstances, l’absence de femmes – est aussi le produit de préjugés, quand ce n’est pas pire. Les organisations syndicales ne sont pas assurément responsables de cet état de fait. Mais elles ne l’ont pas dénoncé non plus. 2. La question de l’intérim, comme celle de la sous-traitance, n’est sûrement pas propre à VW. En outre, ces deux catégories ont été beaucoup mieux traitées dans les accords signés que ce n’est le cas d’habitude. Ce n’est que justice, comme la reconnaissance tardive d’un tort ancien. Pour le comprendre, il faut se reporter à l’âge d’or de l’entreprise, pendant les années quatre-vingt, quand elle comptait 7 000 ouvriers, aucun intérimaire et aucun sous-traitant. À cette époque, tous ceux qui concourraient à n’importe quel titre à la fabrication du produit maison relevaient du même collectif et de la même convention de travail, et étaient donc protégés par le même rapport de force. Ensuite, les mutations industrielles ont poussé toutes les entreprises à «dégraisser» en se concentrant sur leur core business. Tout ce qui pouvait l’être était renvoyé à la sous-traitance, composée pour une part de PME sans délégations syndicales. Et l’intérim se développa à une échelle massive. Ainsi, le maintien d’une classe ouvrière «statutaire» s’est payé au cours de ces années d’une dualisation massive de l’emploi ouvrier et de l’apparition d’un nouveau prolétariat de précaires. Le mouvement syndical n’a pas su l’empêcher. Mais, réalisme oblige, il a bien dû en prendre acte.