Politique
Mirage 2022
20.01.2011
Le choix de la Fifa est d’une audace inouïe, s’agissant d’un pays à l’étrange démographie (200 000 Qataris pour 1 500 000 étrangers), où le football est très peu pratiqué, où il n’y a que trois stades utilisables et quelques poignées de joueurs professionnels locaux. Le Qatar est 113e au classement mondial de la Fifa. En 2022, comme tout pays organisateur, il sera qualifié d’office pour la phase finale, mais qui jouera sous le maillot qatari ? Peut-être 11 joueurs fraîchement naturalisés… Cette Coupe du monde, si elle a bien lieu là-bas, tiendra du prodige. Il n’y a que trois stades ? Peu importe, on va en construire une dizaine, sur un territoire grand comme la province du Hainaut ! L’été saharien fait grimper le thermomètre à 50° ? Qu’à cela ne tienne, le Qatar va climatiser tous les stades ! Et pourquoi pas, tant qu’on y est, demander leur température préférée aux capitaines d’équipe ?… Rien d’impossible à l’émirat, qui croule sous les gazodollars et qui paie des salaires de misère à ses ouvriers pakistanais et philippins… Alors, ce choix du Qatar, une affaire de gros sous, de pots de vin, de commissions mirobolantes comme on l’a proclamé un peu partout à la suite du vote ? Non, pas seulement, pas principalement. Si le Qatar a battu les États-Unis, autre candidat pour 2022, ce n’est pas parce que les dollars qataris étaient plus tentants que les dollars américains, c’est parce que la Fifa a voulu s’affirmer comme une superpuissance du XXI e siècle. Ses raisons n’étaient pas financières, mais politiques. À Zurich, où la Fifa attribuait les Coupes du monde 2018 et 2022, nous avons assisté à une cuisante défaite anglo-saxonne, un fiasco du vieux monde dont les États-Unis commencent à faire partie. Désormais, la Fifa va plus vite que le Conseil de sécurité de l’ONU, elle opte résolument pour un nouvel ordre mondial, elle ne veut pas croire à la « guerre des civilisations », elle s’ouvre à l’islam au moment même où celui-ci devient l’épouvantail d’une Europe perdue et d’une Amérique éperdue depuis que Ben Laden a défié Bush. Les États-Unis paient cash ces années Bush, leurs croisades inconsidérées, à l’extérieur et à l’intérieur, où ils n’ont pas fini de se déconsidérer eux-mêmes. Ils peuvent toujours se consoler en se rappelant qu’ils possèdent une énorme base aérienne au Qatar, qui fut leur QG lors de la deuxième guerre du Golfe. Mais l’auront-ils encore en 2022 ?