Politique
[Madagascar] Des paysans en faveur d’un développement solidaire
03.12.2010
Quand la communauté locale s’implique davantage dans la protection des aires protégées, le résultat est palpable. La pression sur la forêt diminue, les activités alternatives foisonnent. L’exemple d’Anjozorobe-Angavo fait tache d’huile, fruit d’une collaboration entre autorité publique et initiative privée.
Sous le crachin hivernal, à trois heures de route de la capitale malgache, Antananarivo, le village d’Antsahabe se donne rendez-vous pour un entretien régulier d’une piste rurale, large de 10 km de long. « Nous entretenons régulièrement tous les trois mois cette voie qui mène vers l’aire protégée d’Anjorobe-Angavo », révèle le chef du village, Rakotonandrasana. Les paysans d’Antsahabe sont bien conscients que leur développement ne dépend que d’eux-mêmes, de leur volonté, de leur solidarité : « Maître de notre destin, nous avons créé une association communautaire, dénommée Antsahabe Miray (Antsahabe Solidaire ou Ami) afin d’accélérer notre propre développement », soutient Jules Ranaivo, président de l’association. Antsahabe se rend également compte que tout développement doit être en parfaite cohérence avec son milieu. Le président y reste ferme : « Mais en même temps, nous devons sauvegarder la forêt, elle est source de notre vie », martèle-t-il.
Antsahabe, village pilote
Aujourd’hui, Antsahabe connaît un réel développement, bien en harmonie avec son environnement. Le village développe plusieurs activités : reboisement et entretien de pépinières, distillation d’huiles essentielles, culture de contre-saison Communément appelée petite irrigation villageoise , artisanat, construction et maintenance d’infrastructures… Vololona Ranaivo, mère de famille confie : « Quand nous avons de quoi manger et travailler, nous attaquons moins la forêt », reconnaît-elle. Le taux de défrichement de la forêt a été réduit de 95%. Si 20 000 ha de forêt ont disparu dans cette zone entre 2000 et 2004, les dégâts furent limités à 3 ha en 2007. La production abonde, les paysans approvisionnent les villes voisines en riz, légumes, brèdes Feuilles comestibles , huiles essentielles et produits artisanaux. Le taux d’accès à l’école primaire du village est passé de 11 à 90% en 4 ans, une nouvelle école et plusieurs bornes fontaines sont actuellement construites dans le village. Le maire d’Anjozorobe, le docteur Lovaniaina Randriamanantsoa s’en réjouit : « Antsahabe devient village pilote de ma circonscription, grâce à l’unité de leur vision ». Dix ans plus tôt, Antsahabe était plongé dans une pauvreté critique. « Le village ne nourrit pas son homme », raille le président de l’Ami. Les paysans ne connaissaient d’autres cultures que le manioc pour accompagner le riz. Vero Ranoa, vieille paysanne, n’a pas oublié son triste passé : « Même le riz, notre aliment de base, nous n’en prenions qu’une seule fois la journée contre trois fois d’habitude », lâche-t-elle. Les enfants faisaient quatre heures de marche à pied pour rejoindre l’école la plus proche. Pauvreté oblige, les paysans n’ont que la forêt pour assouvir leurs besoins : « Nous puisons tout dans la forêt », reconnaît Jacques Rabe, un guide paysan de la forêt. Le dénuement s’empirait de jour en jour dans le village. Pire, la forêt se dégradait intensivement au point de soulever l’inquiétude des villageois. « La pauvreté n’est pas une fatalité, comment nous retrouvons-nous dans un état pareil. Faisons quelque chose ! », urgeait le chef de village.
Consolider l’unité et nouer des partenariats
En 2004, les villageois ont décidé de prendre leur destin en main. À travers l’association Ami, ils ont consolidé leur unité. « Tout le monde est mobilisé quand il s’agit de projet commun : construction, travaux d’entretien de route ou curage de canaux, santé communautaire ou scolarité… », témoigne Jean Claude Rakotonandrasana, agent technique de l’ONG Fanamby. Les membres du bureau de l’association ont fortement encouragé le reboisement et la culture de contre-saison. Aujourd’hui, chaque foyer d’Antsahabe dispose d’une parcelle de cultures maraîchères, de légumes mais aussi d’un espace de boisement d’eucalyptus pour les besoins familiaux. « L’assemblée générale de la communauté a réglementé l’exploitation et l’accès à la forêt. Toute coupe illicite est passible d’une sanction », rapporte Rakotoarisoa, membre du Kati (Comité villageois pour la défense de la forêt). La communauté d’Antsahabe a reçu le soutien d’organisations diverses, publiques et privées. Mais elle a été surtout accompagnée par l’ONG Fanamby, qui a joué un rôle d’interface entre toutes les organisations impliquées dans le processus. « Nous appuyons les initiatives locales en aidant l’association à monter ses projets et développer ses partenariats avec divers organismes », explique Simila Rakotoniriana, responsable local de l’ONG Fanamby. Du coup, l’association Ami a multiplié ses contacts, plusieurs partenariats ont vu le jour. Avec les fonds du Programme public de soutien au développement rural (PSDR), la construction d’un alambic artisanal pour distiller sur place de l’huile essentielle de Ravintsara a vu le jour. Un partenariat vert avec la compagnie aérienne (Air Madagascar) a rendu possible la mise en terre de 7 000 pieds de ravintsara et de jeunes plants d’espèces autochtones. La commune d’Anjozorobe a, pour sa part, facilité la sécurisation foncière, et assuré l’approvisionnement en matériaux de construction. Par ailleurs, en concertation avec le tour-opérateur Océane Aventures et l’ONG Fanamby, l’Ami a implanté à proximité de la forêt un hôtel, le Saha Forest Camp, destiné aux visiteurs de l’aire protégée. L’Office national de tourisme (ONT), qui dépend du ministère du Tourisme, assure la promotion de cette destination dans divers salons internationaux. L’apport des paysans d’Antsahabe est prépondérant dans le fonctionnement de l’hôtel : ils fournissent 70% des besoins en nourriture de l’hôtel et constituent 95% du personnel de l’hôtel. La gestion de l’hôtel est confiée à un professionnel en restauration et hôtellerie. Le Saha Forest Camp verse chaque année à l’Ami un montant forfaitaire et un pourcentage des bénéfices réalisés. Ces ressources financières supplémentaires ont permis à Antsahabe de multiplier les activités génératrices de revenus.
Une expérience qui fait des petits
Il n’y a pas que les paysans d’Antsahabe qui profitent des retombées du partenariat. Tous les intervenants y gagnent, à l’instar d’Air Madagascar : « En aidant la communauté à préserver la forêt, nous recevons plus de touristes à transporter », affirme le responsable de communication de la compagnie. Le maire d’Anjozorobe ne doute pas non plus de l’efficacité de la coopération : « Chacun y trouve son compte, pour le bien de tous », affirme-t-il. Mais Antsahabe n’entend pas en rester là. La communauté a intégré un Groupement d’intérêt économique (GIE) dit Sahanala, afin de développer des circuits d’écoulement des produits du terroir, réputés pour leur qualité et leur label bio. Ce groupement s’occupe de la recherche des réseaux de commercialisation et du marketing des produits. Il est composé de commerçants, d’associations de paysans et d’acteurs du développement économique. L’esprit de partenariat gagne progressivement de nombreux autres secteurs du développement de la Grande île. L’expérience de la communauté d’Antsahabe et de l’association Ami inspire les communautés des autres provinces occupant les périphéries des parcs nationaux. Ces paysans ont adopté cette approche en l’appliquant à leur propre filière. Notamment, au nord, l’aire protégée de Loky-Manambato, où se développe la filière bio-vanille, épices et huile essentielle ; au sud-ouest, à Menabe Antanimena, la filière arachide, lentilles et artisanat ; au centre, le riz rouge, l’acajou, le gingembre ; à l’ouest, à Bombetoka… Dans tout le processus, les paysans demeurent les acteurs principaux. Ils s’occupent entièrement de la préparation des produits, de la production jusqu’à l’emballage, en passant par le triage et le conditionnement. Mimie Ravaroson, directeur de développement durable au Fanamby, confirme : « Chaque filière est gérée par une association paysanne ». Aujourd’hui, la vente des produits portant le label bio-équitable Sahanala fait son entrée sur le marché extérieur. Selon, Felirija Andrianantoavina, responsable de produits, « pour les paysans, l’exportation est actuellement beaucoup plus rémunératrice et rentable que le marché intérieur ». Toutefois, ces paysans restent encore sensiblement dépendants des partenaires financiers. Dans 10 ans, Antsahabe espère atteindre 50% d’autonomie financière dans la gestion du parc.