Politique
Ma résolution pour 2009 : refuser l’étouffement
16.02.2009
Une des installations que Jan Fabre a exposées l’an passé au Louvre était marquée d’une phrase particulière : «Je veux aller au-delà des noeuds gordiens de l’histoire». Dans une interview publiée par le périodique artistique (H)art il décrivait en tant qu’Anversois sa relation avec Rubens comme étouffante ; cet étranglement se relâche peut-être au fil des années, mais demeure néanmoins bien présent lorsqu’il confronte son travail avec les maîtres qui sont exposés au Louvre. En 2008 j’ai senti régulièrement l’étranglement de l’histoire autour de mon cou, mais j’avais le sentiment que cela avait peu à voir avec le respect du travail des artistes du passé. Ce pays a été rarement aussi oppressant pour moi ; les leaders politiques, de la majorité comme de l’opposition, ont rarement été aussi décevants ; notre passivité à tous a rarement crié vengeance à ce point. Frank Albers s’est déjà demandé aussi, furieux, où était restée la colère et pourquoi nous subissons tous la situation scabreuse dans laquelle se trouve le monde. Sommes-nous vraiment à ce point pris en otages par l’histoire, et dans ce pays par l’attitude politique désastreuse dans laquelle les politiciens des deux côtés de la frontière linguistique ont osé se complaire, aidés en cela par des créatures médiatiques et des faiseurs d’opinion de plus en plus imprudents ? Albers évoquait la folle crise du crédit, l’implosion du système capitaliste résultant de la soif de profit qui va en définitive aboutir à nous faire payer tous la note. Mais il constate que le sismographe de la colère ne montre de poussée nulle part. Moi j’ai vu de la colère lors de la fameuse réunion des actionnaires de Fortis où la haute finance belge a été huée et poussée vers la sortie comme une aberration d’une autre époque. Mais était-ce de la colère du point de vue de l’intérêt général ? Ou s’agissait-il des épargnes et fonds de placement tout à fait individuels que chaque crieur individuel avait vus partir en fumée ? N’était-ce pas tout simplement l’envers de la soif de profit, l’apitoiement sur son propre sort qui dégénère dans une atmosphère de lynchage ? Ça existe encore une colère collective, une colère dans l’intérêt général ? Comme le rétro est devenu à la mode ces dernières semaines à la rue de la Loi, permettez-moi de me laisser emporter moi aussi par cette atmosphère. Chaque fois que quelqu’un, dans les bilans de fin d’année, sort les trompettes de la gloire au sujet de la tournée triomphale du film flamand et se réjouit d’un film aussi vide et pitoyable que Loft, je dois repenser au dernier film belge. Il n’a pas été projeté dans les salles, n’est pas disponible en dvd, et n’a jamais reçu de subsides de quelque fonds que ce soit. Cette oeuvre a été préparée à la fin de l’été 1996 et la première eut lieu le 20 octobre 1996. Dans les ouvrages de référence la Marche blanche est présentée comme une manifestation, mais ce n’est pas entièrement correct. Ce qui s’annonçait comme l’expression d’une colère collective a été orchestré par le gouvernement et le palais royal comme un «Autant emporte le vent» belge, avec le Premier ministre de l’époque et espoir dans nos difficultés d’aujourd’hui Jean-Luc Dehaene dans un rôle de premier plan comme le producteur hollywoodien David O. Selznick. Chacun pouvait participer, devait participer, tant qu’il n’y avait pas de slogans politiques. La gendarmerie d’alors annonçait quelques jours auparavant que quiconque «abuserait» quand même de cet évènement pour des motifs politiques serait écarté sans délai d’une telle «manifestation». Résultat ? Du vent dans des ballons blancs. La colère devant le système défaillant ? Autant en emporte le vent. Résultat : du cinéma sans fausse note, mais aucune expression collective de quoi que ce soit d’autre que le deuil. Parce que pour porter le deuil, cher concitoyen, nous sommes extrêmement doués. Dès qu’un acte de «violence insensée» a eu lieu, certains d’entre nous trépignent déjà d’impatience pour défiler avec des animaux en peluche et des fleurs. Nous donnons volontiers de l’argent pour une Maison de verre La station de radio Studio Brussel a organisé pour la troisième fois en décembre 2008 une action de récolte de fonds pendant laquelle trois présentateurs de radio sont enfermés pendant quelques jours sans nourriture (juste quelques jus de fruits) dans une maison de verre. Cette année le thème était «les mères qui doivent s’enfuir». L’action a été suivie massivement en Flandre. Résultat : 3 500 000 euros récoltés. Studio Brussel a refusé toute manifestation concernant les réfugiés politiques dans les abords de la Maison de verre. (Ndlr).. et pour une oeuvre abstraite représentant des mères fuyant la violence, mais nous regardons de l’autre côté quand des gens avec des slogans politiques concrets sont écartés de ce moment de massage. Les Flamands de Loft attendent un évènement, l’engagement est un zakouski exquis pour les fêtes. Mais nous ne sommes pas les seuls. L’histoire du XXe siècle a fait de chaque Européen un traumatisé à soigner. Le philosophe Peter Sloterdijk a montré de manière implacable, dans son essai La colère et le temps, comment la colère est devenue un capital pour chaque idéologue. Les expressions de colère sociale ont été capitalisées par la droite et la gauche, et l’on a promis aux colériques qu’ils toucheraient les dividendes de la vengeance dès que le leader d’une idéologie ou d’une croyance serait arrivé au pouvoir. Aucun d’entre nous n’a tenu à digéré l’horreur de la Seconde Guerre mondiale. Le résultat fut la liquidation de toutes les idéologies. Depuis 1945 le mot «nous» est devenu lettre morte en Europe. L’Europe ne représente plus un rêve, c’est un accord commercial. Et pourtant. Au plus la corde de l’histoire se resserre autour de mon cou stupide, au plus je respire librement. Au plus on stimule mon angoisse devant la récession et le déclin, au plus je me sens libéré. Au plus on fait de stupidités rue de la Loi, au plus je me dis que le pragmatisme finira par l’emporter. Au plus le monde devient fou, au plus je deviens positif. Peut-être ne suis-je pas le seul, peut-être est-ce dans l’air. 2008 me semble être une année charnière sur le plan local comme international, une année où le calice de la folie aura été bu jusqu’à la lie. Tout bouge. C’est une année où personnellement je n’ai pas définitivement décroché pour me retirer du monde dans quelque couvent. Au contraire : pour moi c’est l’année où j’ai repris du poil de la bête. Dans les époques idéologiques, l’espoir est toujours un peu suspect, on se dit qu’il va toujours y avoir quelqu’un en embuscade pour détourner cet espoir à d’autres fins. Mais nous sommes au-delà de l’idéologie. C’est le moment du pragmatisme, par-delà les frontières. Peut-être ai-je surestimé la colère comme moteur de changement. Peut-être y a-t-il d’autres émotions à rechercher dans ces temps incertains. L’espoir a permis à Barack Obama de remporter une victoire historique aux États-Unis. Si un politicien ou un parti de ce pays choisissait l’espoir comme fer de lance au lieu de l’insatisfaction et du mécontentement, conjurait l’angoisse et portait le pragmatisme comme bannière, alors nous aurons avancé. L’espoir deviendra en 2009 une action subversive à haut rendement. J’y suis prêt. Je sors de l’étau. Vous aussi ?