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Lorsque la gouvernance rencontre le management stratégique : analyse en secteur public

La « saga » de l’administrateur-délégué de Belgacom a (enfin) connu son épilogue ce 15 novembre. L’intéressé se sera permis bien des déclarations avant que le Gouvernement fédéral ne prenne ses responsabilités. Délai de clémence qui n’aurait sans doute jamais existé dans le secteur « strictement privé »… Ce ne sont évidemment pas les péripéties médiatiques de l’affaire qui retiendront notre attention, mais l’écho que celle-ci peut avoir en termes de gouvernance… Cette « saga » renvoie en effet à une situation de fait bien présente aujourd’hui dans nombre de grandes entreprises : l’importance prise par le management, et la faiblesse de l’actionnariat, ainsi que des conseils d’administration.

Si l’exécutif veille à l’exécution des lois (et décrets) et fixe les grandes lignes de conduite de l’action publique, il lui appartient aussi de vérifier que l’administration les a intégrées.

Il ne s’agira pas ici d’en analyser les causes (complexification de l’organisation, éclatement de l’actionnariat, forte personnalité du top manager …) mais plutôt de mettre en lumière, alors que le secteur public (au sens strict) s’inspire de plus en plus du management stratégique, les limites de la démarche… La gouvernance d’entreprise a notamment pour objet de préciser le rôle et les responsabilités de chaque « entité » au sein d’une société à forme commerciale : assemblée générale, conseil d’administration, management. Le management stratégique, inspiré notamment des travaux de Michaël Porter, vise quant à lui, entre autres, à doter l’entreprise d’outils de pilotage. Dans ses travaux, Marc Deschamps, spécialiste de la « gouvernance appliquée », offre la singularité de vouloir croiser les deux approches. Dans son schéma de « gouvernance idéale » Marc Deschamps, « Gouvernance appliquée : bases et outils », CPCP, 9 novembre 2013 , il rappelle que la mission, la vision et les valeurs d’une entreprise doivent, en logique, être définies par les actionnaires. Les administrateurs mettent quant à eux au point la stratégie de l’entreprise, et le management s’occupe de l’élaboration des plans d’action. La réalité est généralement tout autre, le management occupant régulièrement les trois champs. C’est évidemment un danger pour la vie de l’entreprise, d’où la nécessité d’un encadrement normatif, qui doit évidemment aller au-delà du « code de bonne conduite » lorsque le risque encouru peut se répercuter sur la « collectivité », ce qui est par exemple le cas concernant les banques. Au-delà des entreprises publiques en tant que telles, la problématique de la gouvernance s’étend également aux administrations publiques, quel que soit le niveau de pouvoir dont elles dépendent. En effet, elles ont pratiquement toutes aujourd’hui fait le choix de s’inscrire dans une démarche de management stratégique. Et le même constat doit être posé que dans le secteur privé… Qui y définit la mission, la vision et les valeurs ? Qui définit la stratégie ? La réponse sera le plus souvent : le management. On répondra qu’il est difficile d’éviter qu’au niveau d’une administration, le management n’occupe les différents champs, puisque, dans ce cas, qui représenterait l’entité « assemblée générale », et qui représenterait l’entité « conseil d’administration » ? Ce n’est sans doute pas ici qu’on pourra y apporter une réponse univoque et définitive à cette question. Dans un précédent article .« .Les contradictions du New Public Management », Revue politique, 8 octobre 2013.., j’ai déjà eu l’occasion de poser la question de savoir qui détenait la capacité de décision « finale » au sein des administrations publiques, en répondant qu’il s’agit évidemment, dans les principes, de l’Autorité politique, mais que celle-ci n’en fait souvent qu’un usage partiel, voire circonstanciel… Il semble difficile d’aller au-delà de l’énoncé que l’Autorité politique doit assumer les rôles d’« assemblée générale » et de « conseil d’administration ». Je ne pense pas qu’il soit raisonnable de dire que, dans le schéma démocratique parlementaire, il appartiendrait aux assemblées législatives de jouer le rôle d’une assemblée générale : leurs missions me semblent se situer ailleurs. Par contre, il ne me semblerait pas inopportun de dire que le pouvoir exécutif devrait, en partie tout au moins, jouer le rôle de conseil d’administration : s’il ne lui appartient pas de définir la stratégie d’une administration, il devrait à tout le moins être associé à sa définition. Et dans le secteur public, c’est précisément l’articulation entre ses différentes composantes qui doit être travaillée. On a parfois le sentiment que chaque « entité » est assez peu tournée vers les autres : si le législatif fait les lois Rôle battu en brèche par la réalité car il produit in fine tout autant, voir même davantage de dispositions normatives que le pouvoir législatif.. (et décrets) et contrôle l’exécutif, il devrait également veiller à l’évaluation de l’application des normes. Si l’exécutif veille à l’exécution des lois (et décrets) et fixe les grandes lignes de conduite de l’action publique, il lui appartient aussi de vérifier que l’administration les a intégrées. Parmi les nombreuses représentations symboliques d’une entreprise, on trouve notamment celle de rouages engrenés : elle montre bien le caractère systémique des activités au sein de l’entreprise. Il me semble que cette représentation vaut tout autant pour le secteur public, symbolisant la nécessité d’une bonne coordination entre ses différentes composantes que sont le législatif, l’exécutif et l’administration. Il s’agit d’assurer une cohérence globale de l’action publique, à plus forte raison que ce qui est en cause ici est l’intérêt général… Les enjeux démocratiques sont énormes, et de même que la prise de pouvoir par le management dans le secteur privé n’est pas admissible, elle le semble encore moins dans le secteur public…