Politique
Lois mémorielles
09.01.2007
LOIS MEMORIELLES : La mémoire est constitutive de l’identité nationale, elle se célèbre lors des fêtes nationales. Elle peut aussi exprimer une identité de classe, elle se manifeste par exemple le 1er mai. Le devoir de mémoire, c’est d’abord une injonction à se souvenir et à bien se souvenir, c’est-à-dire dans le cadre défini par le groupe d’appartenance. Mais la Shoah, et plus généralement les génocides du XXe siècle, ont placé la mémoire au centre de débats passionnés. Le devoir de mémoire porte alors sur la reconnaissance historique du génocide, il se prolonge par son inscription dans la loi et la pénalisation du négationnisme. Peu avant sa mort, l’historien Pierre Vidal-Naquet, qui a fait de la lutte contre le négationnisme l’affaire de sa vie, a développé cette question dans son dernier livre d’entretiens Pierre Vidal-Naquet, L’histoire est mon combat, Albin Michel, Paris 2006. Toutes nos citations sont extraites de ce livre. «L’histoire, soutient-il, se méfie, voire se bâtit contre la mémoire». Il est «grand temps, écrit-il, d’intégrer la mémoire dans l’histoire» et si l’histoire doit tenir compte de la mémoire, elle ne peut s’y réduire. Les mémoires sont en effet en concurrence pour fonder l’identité de ceux qui s’en prévalent. «Elles se disputent les unes aux autres le monopole de la primauté». «L’identité, écrit Vidal-Naquet, se construit autour de l’exclusion et je n’admets pas l’exclusivité mémorielle, je la refuse absolument, d’où qu’elle vienne, juive, arabe, chrétienne, arménienne, etc. Et je n’admets pas non plus l’obsession de la mémoire en tant qu’obsession». La mémoire, écrivait-il, doit entrer dans l’histoire comme objet d’étude. Vidal-Naquet livrera ses derniers combats contre les LOIS MÉMORIELLES. «Je suis contre, écrit-il, à cause de l’expérience soviétique. Il ne faut pas qu’il y ait des vérités d’Etat. Or, la loi Gayssot suppose que le massacre des juifs est une vérité d’Etat. Si l’on ne veut pas qu’il y ait des vérités d’Etat, il ne faut pas qu’il y ait des lois pour les imposer. J’ai toujours pensé, ajoutait-il, que la Shoah était l’affaire des historiens, mais pas l’affaire de l’Etat». Il affirmait ainsi dans le manifeste «Liberté pour l’histoire» dont il avait été l’un des principaux initiateurs : «La politique de l’Etat, même animée des meilleures intentions n’est pas la politique de l’histoire». Les LOIS MÉMORIELLES exposent les sociétés au danger de considérer que la liberté d’expression s’arrête là où d’autres, même légitimement, se sentent choqués. Ce serait là le prélude d’un ordre moral qui réduit inéluctablement toute liberté d’expression. Dans le mouvement de sécularisation de nos sociétés, la mémoire se substitue à la religion et le non-respect de ce «devoir» se trouve assimilé au blasphème. Une démocratie ne peut combattre les négationnistes en leur refusant les droits individuels. En interdisant l’expression libre des opinions, les LOIS MÉMORIELLES confondent droit et morale. Même si l’opinion est imbécile et si ceux qui les expriment sont misérables, elle ne peut être réprimée par la loi, à moins qu’il ne s’agisse, non pas d’histoire mais d’incitation à la haine raciale. Reconnaître la liberté d’expression et d’opinion qui vont à son encontre est sans doute la faiblesse de la démocratie. Mais c’est parce que ces libertés sont à son fondement qu’elle ne peut transiger avec elles. Sur cette question aussi, Vidal-Naquet a été, selon ses propres termes, «très loin». Un sous-chapitre de son livre Un Eichmann de papier s’intitule : «Vivre avec Faurisson».