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Liège : le PS maître du jeu

La ville qui s’est présentée comme la capitale économique de la Wallonie à l’époque du triomphe de l’industrie sidérurgique et des charbonnages a perdu une partie de sa population à la suite des pertes d’emplois et de la dégradation des conditions de vie en ville. Malgré une remontée de la population depuis 2003, le total des personnes domiciliées dans la commune n’atteint que 190 000 habitants, encore en dessous des 200 000 habitants des années septante. Avec un taux de chômage de 25% de la population active, la situation sociale de nombre de contribuables est dégradée et cela ne facilite pas la gestion d’une ville que certains avaient comparée au Titanic dans les années quatre-vingt. Le plus étonnant, dans le paysage politique liégeois actuel, consiste dans le consensus du moins formel autour des grands enjeux locaux comme la réinstallation du tram, l’engagement pour l’organisation d’une exposition internationale en 2017, la distribution contrôlée d’héroïne, le contrôle de la prostitution ou les tentatives de revitaliser le tissu industriel sous-régional. Les élections communales de 2012 se présentent de manière tout à fait ouverte et, contrairement aux élections précédentes, les éventuelles alliances préélectorales semblent absentes à quelques semaines du scrutin. Le jeu a même rarement été aussi ouvert dans l’histoire politique locale des dernières années. En effet, aucune promesse ne semble avoir été échangée entre les grands partis. Les rapports de force entre ces derniers semblent se dessiner de la manière suivante, si l’on tient compte des évolutions électorales depuis la fusion des communes et des derniers sondages d’opinion connus. Depuis 1989, la Ville est dirigée par une coalition socialiste-démocrate chrétienne qui s’est répétée après les élections de 1994 puis de 2000 et de 2006. Mais les rapports de force entre partis ont évolué fortement.

Géométrie variable

On voit que, depuis la fusion des communes, le Parti socialiste maintient globalement sa position de parti dominant tout en n’ayant jamais réussi à emporter la majorité absolue des sièges que, pourtant, l’on aurait pu croire qu’il emporterait suite aux fusions de communes. En effet, les chiffres affichés pour 1970, dernière élection communale sur le territoire des anciennes communes, donnent une très courte majorité absolue socialiste à Liège mais les découpages dans les territoires des anciennes communes ont diminué la puissance de ce parti sur la commune de Liège. Depuis 1976, malgré la diminution du nombre total de sièges liée au déclin démographique urbain, les socialistes obtiennent une moyenne de 21 sièges, soit le score obtenu aux dernières élections. L’histoire des deux autres partis traditionnels apparaît plus mouvementée, illustrée par le renversement des résultats, les libéraux obtenant en 1976 le même nombre de sièges que les centristes en 2006 et vice-versa. Après la première élection de commune fusionnée, l’alliance libérale-socialiste assumée comme « maçonnique » fut mise sur pied.

« Le plus étonnant, dans le paysage politique liégeois actuel, consiste dans le consensus du moins formel autour des grands enjeux locaux. »

L’élection de 1982 fut marquée par une bipolarisation puisque les socialistes attirèrent les membres du Rassemblement wallon dans un cartel « RPSW » tandis que les libéraux et les chrétiens répondirent J. Beaufays, M. Hermans, P. Verjans, « Les élections communales à Liège : cartels, polarisation et les écologistes au pouvoir », Res publica, Bruxelles, 1983, n°2-3, vol. XXV, 391-415, p. 401 en créant une « Union pour Liège », partageant à l’avance les sièges entre les deux groupes (raison pour laquelle nous avons attribué la moitié des résultats à chaque formation politique). L’alliance des socialistes avec les écologistes fut négociée âprement et ne dura qu’un seul mandat, laissant un souvenir pénible à de nombreux responsables socialistes, énervés par la dépendance des élus verts à leur structure partisane. Dès les élections de 1988, une coalition entre chrétiens et socialistes fut mise sur pied. Elle a été reconduite trois fois et personne ne peut dire si les partenaires se retrouveront lors du prochain mandat Remarquons en passant l’élection de 1994 qui, à Liège comme dans bien d’autres endroits en Belgique, est marquée par l’arrivée de deux partis d’extrême droite au conseil communal. Les autres partis, majorité et opposition réunies, appliqueront un « code d’extrême vigilance » dont on pourra peut-être discuter une autre fois. À l’heure actuelle, le nombre de conseillers écolo et centristes est quasi le même, illustrant ainsi le lent déclin du cléricalisme annoncé par Daniel Seiler en 1975 D. L. Seiler, Le déclin du « cléricalisme ». Structure du comportement politique du monde politique wallon, Institut belge de science politique, Bruxelles, 1975. En pourcentage des votes valables, les tendances des trente dernières années sont claires : les socialistes obtiennent une moyenne de 37% des votes émis valablement depuis 1976, soit presque le même chiffre que le dernier résultat électoral. De même, les écologistes, depuis leur arrivée dans la course électorale en 1982, obtiennent 12% des votes, comme en 2006. Par contre, les libéraux obtiennent une moyenne de 20% depuis 1976, largement dépassée par les derniers résultats des réformateurs. Inversement, les chrétiens atteignent une moyenne de 20%, loin au-dessus des résultats des centristes en 2006.

Extrapolation

Comme la Ville de Liège recouvre également un canton électoral, nous pouvons comparer les résultats des derniers scrutins législatifs, européens ou régionaux aux résultats communaux. L’objectif consiste à extrapoler sur Liège les sondages réalisés au niveau wallon. En effet, la question vague : « S’il y avait des élections dimanche prochain, pour quel parti y a-t-il le plus de chance que vous votiez ? » élimine les différences d’enjeu entre les différents niveaux de pouvoir et néglige les effets de préférence personnels. Le mode de calcul Dans un premier temps, nous prenons en compte une moyenne qui agglomère les résultats soit de la Chambre et du Sénat soit du Parlement wallon et du Parlement européen. Ensuite, nous comparons l’amplitude du changement dans le canton de Liège au changement enregistré sur l’ensemble de la Wallonie. Enfin, ayant constitué une sorte d’algorithme liégeois des modifications d’opinion, nous extrapolons les résultats du dernier sondage en date est rempli d’hypothèses risquées sur le comportement électoral local (notamment sur la constance de l’écart à la moyenne) mais nous permet de ne pas simplement considérer que les électeurs wallons sont semblables. On élimine le FN du calcul, supposant que le procès gagné par Marine Le Pen quant à l’utilisation du sigle risque de lui ôter toute signification électorale. Dès lors, les résultats des sondages du mois de juin 2012 donneraient les écolos comme deuxième force électorale à Liège tandis que les réformateurs passeraient à la troisième place et les centristes à la quatrième. Il ne serait pas impossible que le PTB obtienne son premier siège au conseil communal de la cité ardente dans ces hypothèses. Si l’extrapolation tentée ici est proche de la réalité, les socialistes (23 sièges) pourraient envisager une alliance avec n’importe lequel des trois autres partis politiques, que ce soit avec les centristes (4 sièges), continuant ainsi l’alliance des vingt-quatre dernières années, avec les écologistes (11 sièges) plus « gouvernementalisés » que lors de l’expérience des années 82-88 ou avec les réformateurs (10 sièges) que le départ de Didier Reynders libère d’une exclusive autant interpersonnelle que politique. Mais ces extrapolations sont bien fragiles et il faut donc les prendre avec précaution.