Politique
Lettres de…
12.09.2013
Le principal argument en faveur d’une nouvelle force politique à gauche du PS et d’Écolo est que ces deux partis n’ont jamais tenu leurs promesses. Le principal argument contre, c’est que seuls des « partis de gouvernement » peuvent faire bouger les choses et que la surenchère minoritaire n’a jamais mené à rien. Le désaccord semble profond. Mais on peut au moins se parler. Ou s’écrire.
… de Catherine Moureaux (PS) à David Pestieau (PTB)
Cher David, C’est drôle, j’ai l’impression de m’adresser à toi comme si je m’adressais à un cousin éloigné. Il est vrai que nous sommes issus de la même famille politique. Enfin, au moins jusqu’en 1914. Le POB avait accepté de monter dans le gouvernement bourgeois et de soutenir l’effort de guerre dans le but de protéger les quelques acquis sociaux de l’époque. En effet, contrairement au prolétariat russe, la classe ouvrière belge avait peut-être autre chose à perdre que ses chaînes et surtout espérait arracher aux classes dominantes le suffrage universel. En fait, on ne saura jamais ce qu’il serait advenu de la deuxième internationale si son pacifiste et influent dirigeant, Jean Jaurès, n’avait été assassiné quelques jours avant le déclenchement du conflit. Car c’est bien autour de la notion de compromis que l’on trouve la plus grande des différences entre nos deux partis. Aujourd’hui le PS assume une participation aux affaires dans des circonstances parfois difficiles, là où le PTB n’a pas encore fait l’expérience de la gestion publique. Faire des compromis avec d’autres forces politiques c’est la démocratie à la belge et c’est forcément s’exposer à la critique. Je peux comprendre vos attaques là-dessus, mais tu dois aussi admettre que cela ne nous satisfait pas de ne pouvoir appliquer qu’une partie, fort infime au demeurant ces dernières années, de notre programme. Et dans la phase actuelle de la mondialisation, dans le cadre politique européen d’aujourd’hui, alors que les élites de l’argent ne ménagent pas les peuples, le propos de Lénine sur la nécessité de faire parfois des compromis est éclairant : « Faire la guerre pour le renversement de la bourgeoisie internationale, guerre cent fois plus difficile, plus longue, plus compliquée que la plus acharnée des guerres ordinaires entre États, et renoncer d’avance à louvoyer, à exploiter les oppositions d’intérêts (fusent-elles momentanées) qui divisent nos ennemis, à passer des accords et des compromis avec des alliés éventuels (fussent-ils temporaires, peu sûrs, chancelants, conditionnels), n’est-ce pas d’un ridicule achevé ? N’est-ce pas quelque chose comme de renoncer d’avance, dans l’ascension difficile d’une montagne inexplorée et inaccessible jusqu’à ce jour, à marcher parfois en zigzags, à revenir parfois sur ses pas, à renoncer à la direction une fois choisie pour essayer des directions différentes ? Lénine, La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), éditions en langues étrangères, Pékin 1966, page 65 » Toujours est-il qu’aujourd’hui, si l’on me demande de me prononcer sur le renforcement d’une gauche radicale en Belgique, je peux dire que je ne suis pas mécontente de voir le PTB bénéficier d’un soutien populaire grandissant. En effet, je me prends à imaginer que cela est dû à un certain degré d’adhésion aux thématiques progressistes que vous portez. Puisque votre actuelle visibilité, vous la mettez fort heureusement à profit pour mettre en avant les revendications d’une meilleure redistribution des richesses, d’un accès accru au logement et à l’enseignement, objectifs que nous partageons tous au sein du PS. Du coup, assister à l’émergence d’une force politique avec laquelle nous avons beaucoup de convergences fortes est plutôt positif. Mais évidemment, deux formations avec une offre politique proche ont souvent tendance à se concurrencer électoralement… Et la division ne se fait jamais au profit des travailleurs. Cependant si l’espace médiatique peut être davantage occupé par des partis ayant un discours progressiste, ce n’est pas négatif pour la gauche. D’autant que dans les majorités auxquelles nous participons, il n’est pas toujours aisé de trouver des alliés dans la défense des classes populaires. Il m’apparaît essentiel de faire front aujourd’hui avec les partis progressistes, avec les syndicats, avec l’associatif contre les forces de l’argent. J’espère sincèrement que le PTB et surtout le PVDA — car, en Flandre, il y a fort à faire pour éviter l’émergence d’une majorité antisociale encore plus terrible qu’aujourd’hui – pourront faire passer leur message à l’occasion du scrutin de mai 2014. Cependant, j’espère surtout que ceci se fera essentiellement au travers d’un rôle d’aiguillon de gauche de la gauche « classique », et éclaireur dans les médias traditionnels, plutôt qu’au travers d’une division des voix des travailleurs, stérile en soi. Au plaisir de te croiser sur le terrain à l’occasion de luttes communes, et avec respect pour ton travail. Bien à toi, Catherine Moureaux, députée bruxelloise PS, Schaerbeek
… de David Pestieau (PTB) à Catherine Moureaux (PS)
Chère Catherine, Nous partageons souvent les mêmes indignations et les mêmes combats contre la droite néolibérale. Tu affirmais dans une interview, il y a moins d’un an : « Le PS arrive à limiter la casse sur le plan social. Mais jusqu’à quand ? Et à quel prix ? »[1.Le Vif, 26 octobre 2012.] Catherine, avec tous les reculs sociaux et démocratiques depuis un an, des lignes rouges n’ont-elles pas été largement franchies ? Celle des salaires quand on apprend que c’est une ministre socialiste qui a écrit secrètement une loi qui veut bloquer les salaires pendant 6 années. Celle des services publics quand, du fédéral aux communes, le nœud coulant des restrictions se resserre, quand un ministre socialiste sonne la cloche de l’entrée de Bpost en bourse et un autre, aujourd’hui président du PS, reçoit les félicitations de la Commission européenne pour avoir libéralisé la SNCB. Celle de la défense des plus faibles, quand le gouvernement applique une baisse des allocations de chômage de 12 à 42% et impose un ticket modérateur pour l’aide juridique. Celle de la défense des jeunes quand des lois comme celles des sanctions administratives communales – malgré l’opposition de 213 organisations – passent au Parlement avec des voix socialistes. Et que dire du vote du traité budgétaire européen que tu dénonçais comme « imbuvable » et dont tu disais que « dans ces conditions, garder un État qui travaille au bien-être du plus grand nombre, devient impossible »[2.Le Vif, 26 octobre 2012.] ? N’est-ce pas là beaucoup trop de renoncements ? Mais il y a plus. Nous avons la conviction qu’un parti de gauche se doit d’avoir comme ambition de transformer radicalement la société tout en portant des combats immédiats sur le terrain pour des conquêtes sociales et démocratiques. Et nous avons bien l’impression que le PS n’a plus cette ambition de tourner le dos au capitalisme, ni cette efficacité pour obtenir ces conquêtes. Car il croit fondamentalement au mythe d’une économie de marché corrigé socialement. Et parce que loin de développer les rapports de forces sur le terrain, il tente de les étouffer « pour ne pas mettre en danger l’activité gouvernementale ». Par contre, l’espoir du retour d’une gauche de combat grandit. Et elle commence à se cristalliser dans une sympathie croissante pour le PTB. Notre parti essaie de ramener le débat de fond sur le choix de société, de briser le « Tina »[3.There is no alternative.] pour plaider pour un autre système politique et économique, le socialisme[4.Voir le succès du livre Comment osent-ils ? (Aden, 2012).]. Et il couple cette démarche en lançant des propositions fortes et immédiates comme le modèle kiwi pour les médicaments moins chers, la (re)mise sur pied d’une banque publique, une réduction de la TVA de 21 à 6% sur l’énergie… Avec quel résultat ? Prenons la fiscalité. Pendant que le PS votait les intérêts notionnels en 2005 sans états d’âme avec les libéraux, le PTB prévenait déjà du danger. À coups de révélations sur la fiscalité des entreprises, de campagnes sur la taxe des millionnaires, il a poussé à ce que la fiscalité des plus riches redevienne un point central du débat politique. Le PTB ne juge pas ce qui est « réaliste » au niveau de l’arithmétique parlementaire. Mais sur base d’un tout autre vision de la politique qui s’appuie sur les rapports de force sur le terrain et la participation du plus grand nombre. Car toutes les conquêtes sociales l’ont été par des grands mouvements sociaux, par la peur des puissants que la majorité du peuple pouvait les renverser. Et car ce qui empêche aujourd’hui réellement les gouvernements d’aller plus loin dans l’austérité, ce sont les mouvements sociaux que nous soutenons activement sur le terrain. Et si nous avons l’ambition d’entrer au Parlement en 2014, c’est pour appuyer cette vision de la politique. C’est pour tout ça qu’une gauche de gauche décomplexée est un énorme plus dans le paysage politique actuel. Et peut aider à l’émergence d’un large mouvement populaire capable d’arrêter cette politique néolibérale et forcer le gouvernement à répondre enfin aux besoins de la population. Amitiés. David Pestieau, membre du Bureau national du PTB et directeur de son service d’étude, Saint-Gilles
… de Pierre Eyben (Vega) à Zoé Genot (Écolo)
Chère Zoé, Ce n’est pas un hasard si comme souvent lorsqu’il s’agit de débattre avec la gauche de gauche, c’est toi que l’on envoie « au front ». Tu es ce qu’il est commun d’appeler « une figure de gauche » de ton parti. J’ai peu à dire sur les combats que tu mènes au Parlement, sinon ce regret de t’avoir vu, sous la pression de ton parti, ne pas voter « non » au Traité constitutionnel européen (TCE) dont on aperçoit aujourd’hui combien il a ouvert la voie à la constitutionnalisation de la doctrine ultra-libérale. Ce dont il est question, ce qui aux yeux de nombreuses personnes de gauche justifie la nécessaire création de forces politiques à la gauche du PS et d’Écolo, c’est bien l’orientation et la trajectoire globale des organisations politiques plus que l’action de tel ou tel de leurs élus. On sait que ces organisations, passées maîtresses en communication, gèrent aujourd’hui habilement et utilement une certaine polyphonie. C’est donc à l’évolution de la doctrine et du fonctionnement d’Écolo, ainsi qu’à l’impact de ses participations gouvernementales, qu’il convient de s’intéresser, plus de 30 ans après sa création. Sur les pratiques, l’ancien électeur Écolo que j’ai été il y a de cela 15 ans doit bien constater que le pouvoir a changé la nature d’Écolo bien davantage qu’Écolo n’a changé la nature du pouvoir. Des principes sains que s’imposaient alors ton parti comme le fait de faire de la vie politique un moment dans une vie de citoyen et pas une carrière professionnelle comme c’est majoritairement le cas pour les autres partis, ont été progressivement abandonnés. Je ne te ferai pas la liste des dérogations nombreuses, accordées aux uns et refusées aux autres. Mais comme le chantait Brassens, chez Écolo, « on en voit qui supplantent bientôt Mathusalem dans la longévité ». Sur le mode de constitution de vos listes également, le recul démocratique est patent. Bref, ce qui est présenté comme de la « maturité » par les dirigeants actuels d’Écolo me semble moi constituer des renoncements dommageables. Sur la doctrine, le concept de « développement durable » qui constitue encore l’essentiel du discours Écolo a été totalement vidé de son sens. Désormais, tout le monde fait du développement durable mais les stations d’épuration privatisées déversent leurs eaux usées, les centrales atomiques libéralisées fonctionnent, les aéroports construits avec des deniers publics acheminent dans la nuit les cargaisons de produits bio venus des colonies israéliennes, on ferme les petites gares tout en en projetant une nouvelle et somptuaire à Gosselies dans un aéroport afin d’y acheminer les vacanciers qui souhaitent aller au soleil en avion low cost (pas pour nos impôts), on autorise un peu partout (comme à Verviers) la construction de centres commerciaux avec parkings immenses pour peu qu’ils soient munis de gadgets écologiques (toit vert…), on crée des primes pour les voitures « vertes » tout en baissant l’offre des transports en commun par manque de moyens… Où est la transition écologique dans tout cela ? Nous allons au-devant de catastrophes écologiques majeures (pollutions électromagnétiques des nappes phréatiques, des sols, de l’air, perte de biodiversité sans précédent, prolifération des OGM…) et rien ne semble indiquer que l’action d’Écolo permette autre chose qu’un « capitalisme vert » totalement incapable de contester une logique économique hyper-productive, énergivore et polluante qui continue de croître. Sur la doctrine encore, nous savons que c’est de l’UE que souffle le plus souvent le vent de régression qui nous condamne toutes et tous à servir le profit à court terme de quelques-uns, contrarie les alternatives visant à construire une économie soutenable dans le temps et broie les conquêtes sociales et démocratiques du siècle dernier. Or, à l’exception de quelques voix contestataires, force est de constater l’attitude largement conciliante d’Écolo et de tout le courant écologiste au niveau européen. Son porte-voix, Daniel Cohn-Bendit, a défendu le TCE et les autres traités qui ont fait reculer la souveraineté populaire et imposent la logique ultra-libérale : le Mécanisme européen de stabilité (MES) puis le Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG), un texte qui va graver dans le marbre l’austérité et imposer à toute l’Europe un scénario à la grecque. En Belgique, Écolo s’apprête à voter en faveur de ce texte partout où il est au gouvernement. Au-delà des proximités que l’on peut avoir sur certains dossiers, c’est pour toutes ces raisons que des initiatives comme Vega (Verts et à Gauche) voient le jour et verront le jour, parce que nous sommes de plus en plus nombreux à constater qu’Écolo, comme le PS avant lui, s’est fait manger par l’exercice du pouvoir, qu’enfermé de surcroît dans sa stratégie centriste du « pivot » il gouverne désormais assez indifféremment avec la gauche ou la droite et accepte de fait la marche du monde actuel. Les inégalités sociales se creusent, la catastrophe écologique se précise, la démocratie recule. On a besoin de formations politiques qui ramènent la gauche à ses valeurs et l’écologie à sa nécessaire radicalité dans la situation d’urgence que nous connaissons. Pierre Eyben, militant Vega, Liège
… de Zoé Genot (Écolo) à Pierre Eyben (Vega)
Salut Pierre ! On se croise si peu. Cette lettre, une occasion d’échanger calmement ? Critiquer les engagements des autres me paraît condescendant. Chacun trouve sa voie pour faire avancer des causes auxquelles nous croyons tous. Nos chemins diffèrent parfois, mais poursuivent le même objectif. Malgré la concurrence électorale… Parfois des jeunes me demandent pourquoi j’ai choisi Écolo. Pour m’engager contre les inégalités, renforcer la gauche du parti. Que ma volonté est de prendre en compte les individus. Que le monde dans lequel ils évoluent, se nourrissent, se logent doit être le plus sain possible. Que construire un mieux ici sur le dos du Sud, c’est inacceptable. La solidarité au cube, c’est la solidarité : 1. ici et maintenant ; 2. avec les populations du monde ; 3. avec les générations futures. En tant que militante Écolo, je peux proposer, amender, influencer. Sans gagner toujours mais parfois quand même. Comme dans tout groupe progressiste, les discussions, arbitrages, combats internes sont légions. Mais pour peser sur les orientations du parti, les outils sont multiples : argumentation, rassemblement de mandataires sensibilisés, mobilisation des militants ou externe… Pas toujours facile d’être des emmerdeurs-ses tout en restant des allié-es sur la majorité des combats. Comme mandataire, je suis fière de reverser une part importante de mon salaire pour financer mon parti. Et d’avoir toujours été dans des groupes parlementaires paritaires. L’éthique est une valeur de gauche. De 1999 à 2003, j’ai connu la majorité arc-en-ciel, une sacrée bagarre, au gouvernement et dans le parti. Avec d’horribles souvenirs : un charter de Tsiganes, la suppression de la plus haute tranche d’imposition, le ministre de la justice Verwilghen pyromane… Mais aussi quelques victoires : augmentation des allocations de chômage et CPAS, mécanisme de réduction du temps de travail, refinancement de l’enseignement, 50 000 sans papiers régularisés, accès facilité à la nationalité (la « snelbelgwet » détricotée sous Di Rupo), mariage homo, augmentation des voyageurs en train, loi de sortie du nucléaire, plan tandem (départ à mi-temps de travailleurs âgés pour créer de l’emploi pour des jeunes)… Toutes ces avancées n’ont été possibles qu’avec le concours des écologistes. Beaucoup l’ont même été à leur initiative. Les Verts ont imposé des chantiers que les partis traditionnels évitaient et ont jetés aux oubliettes depuis notre départ… Aujourd’hui, ma priorité va aux laissés pour compte. Depuis 2003, le « plan d’activation des chômeurs » multiplie les exclus. On assiste à la dégressivité ou la limitation dans le temps de certaines catégories d’allocations et au harcèlement étendu aux temps partiels… La situation des migrants s’est aussi dégradée : exclusion du droit à l’accueil, regroupement familial (même pour les enfants) réservé à ceux qui gagnent un salaire minimum temps plein, définition de « pays sûrs », demandes de régularisation médicale refusée si la personne n’est pas mourante, expulsions de résidents longue durée, charters… La montée de la N-VA et la crise ont amené un discours populiste généralisé. Des politiques restrictives sont prises contre les plus démunis, devenus boucs émissaires. La gauche peine à proposer une alternative mobilisatrice. Les scandales bancaires, la marchandisation, les crises écologiques sont pourtant des occasions de mettre en place un modèle économique plus régulé au profit de tous. Les débats se sont malheureusement égarés sur l’islam et la place du religieux, sujets qui nous divisent et nous affaiblissent. Une autre tentation populiste est patente : diminution de la TVA sur le mazout, gratuité des poubelles, du parking… Elle risque de saboter la fragile conscience de la solidarité par l’impôt, péniblement défendue par la gauche. L’indispensable taxation des grosses fortunes ne paiera pas tout. Au jeu des discours simplistes, la droite finira toujours par gagner… L’enjeu est de proposer des solutions plus justes mais en rassurant sur leur issue. La « petite gauche » est souvent la meilleure pour pointer les dysfonctionnements et les injustices mais quid des étapes crédibles pour aboutir dans un cadre démocratique à des mieux pour ceux qu’elle défend ? Et comme tu le sais, à l’exercice littéraire, je préfère les manifs, où je l’espère nous nous croiserons bientôt ! Très cordialement Zoé Genot, députée fédérale Écolo, Saint-Josse-ten-Noode