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Lettre à mes ami·es écologistes qui oublient la lutte des classes

(Art Rachen. unsplash)
(Art Rachen. unsplash)

Militant de gauche, Valéry Witsel appelle ses compagnons de route écologistes à ne pas oublier en chemin l’enjeu de la démocratisation de la production.  

Cher·e compagnon de route écolo,

Comme toi et une bonne partie de ma  génération, je me suis politisé à travers l’écologie politique, dans le sillage des Objecteurs de croissance en particulier. C’était l’un des seuls courants politiques alternatifs accessible à ma pensée dans les années 2000, de larges composantes du socialisme s’étant converties au libéralisme de marché, tandis que le marxisme avait été banni progressivement du monde universitaire depuis la fin des années ’70, pour laisser le champ libre à une économie « orthodoxe ».

Prendre conscience de l’écocide en cours et de ses conséquences dévastatrices pour l’humanité a été une véritable claque. Une grande partie de ma pensée politique s’est alors échafaudée autour du constat indiscutable que nous étions en train de détruire à grande vitesse nos conditions d’existence sur Terre.

De façon un peu incantatoire, j’ai appelé à « produire moins et mieux », comme le chantent les bardes de la Transition écologique accompagnés d’une myriade de colibris.

Comme toi, depuis la lecture du « Petit traité de la décroissance sereine » de Serge Latouche, il y a plus de 15 ans, la majorité de mes réflexions dans ce domaine ont tourné autour du réchauffement climatique, de la destruction des écosystèmes et de l’idée fondamentale selon laquelle « une croissance infinie est impossible dans un monde aux ressources finies ».

De façon un peu incantatoire, je n’ai alors cessé d’en appeler à « produire moins et mieux » ou à « consommer moins pour consommer mieux », comme le chantent encore en chœur les bardes de la Transition écologique, accompagnés d’une myriade de colibris qui s’activent à faire leur juste part, seuls ou en groupes, à coup de conseils éclairés pour tendre vers le « zéro déchet ».

Comme toi, aujourd’hui, je continue à penser que les constats scientifiques sur lesquels l’écologie politique se fonde sont implacables. Les appels à la décroissance de la production et de la consommation relèvent du bon sens et ont le mérite d’être articulés à l’affirmation que l’emballement actuel de la production nous condamne à un enfer sur Terre.

L’angle mort d’une certaine écologie

Pourtant, il manque quelque chose dans le raisonnement. Aussi bizarre que cela puisse te paraître, sans ironie, je pense que Georges-Louis Bouchez nous a donné une piste le 3 avril 2020, en pleine récession économique liée au covid-19. Dans les pages de La Libre Belgique, il déclarait : « la décroissance, c’est un appauvrissement généralisé ». Je t’imagine songeuse, devant cette référence suspecte au Président du MR. Mais je t’invite à prendre au sérieux les arguments du camp adverse…

Il y a, en effet un angle mort dans l’écologie politique, que cette phrase de GLB permet d’éclairer : la plupart du temps, les partisans de la décroissance ne précisent jamais dans quel type d’organisation sociale de la production, la décroissance économique serait souhaitable pour l’ensemble de l’humanité. Or il est évident que dans le capitalisme, la décroissance équivaut à la misère pour un nombre croissant de personnes, sans que le niveau de richesse des ultra‑riches ne soit profondément affecté.

Dans le capitalisme, la décroissance implique aussi des coupes dans les services publics, les aides sociales et les salaires des travailleur·euses.

Il est évident que dans le capitalisme, la décroissance équivaut à la misère pour un nombre croissant de personnes, sans que le niveau de richesse des ultra‑riches ne soit profondément affecté.

Dans le capitalisme, à chaque ralentissement de la croissance, on privatise les bénéfices et on socialise les pertes à coup de mesures d’austérité ou de licenciements.

Dans le capitalisme, les appels à la sobriété et à la simplicité volontaire sont inaudibles et même indécents pour la part de plus en plus importante de personnes qui vivent dans la précarité. Il est donc indispensable d’articuler la décroissance de la production à une ambition de sortie du capitalisme.

De quoi le capitalisme est-il le nom ?

Mais qu’est-ce que le capitalisme ? Comment le dépasser ? Pour les écologistes, le capitalisme se réduit souvent à un ensemble d’infrastructures techniques polluantes dont il faudrait réduire l’usage, ou qu’il faudrait remplacer par d’autres moyens techniques plus sobres et plus propres en matières premières et en énergie. Et pour cela, nous aurions tous et toutes un rôle à jouer, du citoyen au patron d’entreprise en passant par le monde politique.

Par le terme d’anthropocène, les écolos en appellent à la responsabilité de tous les êtres humains, sans distinction, comme si nous étions une famille unie qui devait se serrer les coudes pour marcher dans la bonne direction. Nous appartiendrions à un équipage solidaire engagé dans la même galère. Il ne resterait alors essentiellement que des débats techniques pour sortir du monde fossile (voiture électrique vs voiture Low tech, éoliennes vs nucléaire). Le problème, c’est qu’en réduisant le capitalisme à sa seule composante technique, on passe complètement à côté de sa nature sociale. Dans le monde réel, il y a des rapports de pouvoir. La majorité de l’humanité rame en fond de cale, tandis qu’une minorité occupe le poste de commande. Or, pour changer de cap, il va bien falloir reprendre le contrôle collectif du paquebot…

En réduisant le capitalisme à sa composante technique, on passe complètement à côté de sa nature sociale. Dans le monde réel, il y a des rapports de pouvoir. Et la majorité de l’humanité rame en fond de cale.

Avec plus de 170 ans de réflexion politique sur le sujet, c’est là que les marxistes entrent en scène. Pour Marx, le capitalisme se définit, d’abord, comme un rapport social fondé sur l’exploitation entre deux classes : la classe bourgeoise dominante, composée aujourd’hui des actionnaires, les propriétaires des moyens de production (entreprises, machines, ressources naturelles, connaissances…etc.) et la classe travailleuse, composée des personnes qui n’ont que leur force de travail pour pouvoir subvenir à leurs besoins matériels.

Avec plus de 170 ans de réflexion politique sur le sujet, c’est là que les marxistes entrent en scène.

Dès lors, comme les moyens de production sont privatisés, de grandes décisions,  cruciales pour l’avenir, échappent à la délibération collective. Notre démocratie s’arrête aux portes du monde de la production économique. Une question s’impose alors : à l’heure de l’écocide global –qui représente l’une des plus grandes menaces qui pèse sur l’humanité –, n’est-il pas inconscient d’abandonner les décisions essentielles concernant la production à ceux qui n’ont comme seul objectif que la maximisation de leurs profits ?

Vers une conscience de classe écologiste

Les emballés de la finance et de la Bourse, tout comme les CA des multinationales, ne vont jamais spontanément engager la production économique dans la décroissance. Ce serait renoncer à leur intérêt de classe. Ils continueront à exploiter les ressources fossiles, comme les forces travailleuses, jusqu’au dernier kilojoule d’énergie possible. La preuve par les faits : depuis plus de 30 ans qu’on organise des grandes messes internationales sur le climat, les émissions de CO2 n’ont fait qu’augmenter. Le capital n’a fait qu’accélérer les processus d’exploitation et d’extraction à son profit. Il suffit de voir le gigantisme des mines actuelles dans le monde entier pour se donner une image concrète de ce processus d’emballement.

Les propriétaires des grandes entreprises seront les derniers à souffrir du dépassement des limites planétaires et du dérèglement climatique

Loin de ralentir, le désastre s’accélère, en dépit de toutes les voix appelant à actionner le frein à main. Les propriétaires des grandes entreprises seront les derniers à souffrir du dépassement des limites planétaires et du dérèglement climatique car ils auront le pouvoir de se mettre à l’abri quelques dizaines d’années, au contraire de leurs contemporains. Comme l’a laissé entendre avec un certain cynisme Warren Buffet, milliardaire américain, en 2005 sur CNN, la grande bourgeoisie a bien conscience de ses intérêts : « La guerre des classes existe. C’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner. » 

Encore une fois, prenons au sérieux nos adversaires. Nous n’avons aucune collaboration à envisager avec une caste qui s’active à nous faire la guerre. Comme la classe bourgeoise va tout faire pour garder les clefs de contrôle de la production dans un rapport de force assumé, de notre côté, il est urgent de recréer une conscience de classe reliant toutes les personnes impactées par les désastres écologiques – une classe dont les intérêts se confondent d’ailleurs avec ceux de la classe travailleuse, qui lutte historiquement pour la diminution du temps de travail et une répartition équitable des richesses produites.

Il est urgent de recréer une conscience de classe reliant toutes les personnes impactées par les désastres écologiques – une classe dont les intérêts se confondent d’ailleurs avec ceux de la classe travailleuse.

Notre intérêt de classe, c’est de reprendre le contrôle collectif de la production en expropriant le capital des terres qu’il s’est historiquement accaparées par la violence, les enclosures et la colonisation notamment – au cours d’un long processus d’accumulation démarré à la fin du Moyen Âge. Quelles que soient les fables que les capitalistes racontent sur les liens entre richesse et mérite, gardons bien à l’esprit que les grandes fortunes d’aujourd’hui sont le fruit des pillages d’hier, de l’enrôlement par la force des peuples et de la nature dans les processus d’extraction de la valeur, puis de la transmission par héritage des richesses, accumulées de générations en générations. Il est temps de nous libérer de nos chaînes…

Quelle décroissance ?

La décroissance globale de la production ? Oui, mais dans le socialisme. En socialisant la production, nous en ferions un objet de décision commune. Nous pourrions alors débattre librement, démocratiquement, des questions suivantes : que produisons-nous comme biens prioritaires et nécessaires, compte tenu des limites de la planète ? Comment allons-nous produire ces biens ? Selon quelle organisation du travail ? Quels modèles techniques ? A travers les Low tech ? L’agroécologie ? Comment allons-nous répartir de façon équitable les fruits de la production ? Comment ne plus diviser le travail des personnes, selon une base raciste ou sexiste, comme le capitalisme s’emploie à le faire ?

C’est un champ nouveau de délibération collective qui s’ouvrirait à nous. C’est cela le socialisme ou le communisme : une extension de la démocratie au monde du travail, un nouveau rapport social de production qui ne repose pas sur l’exploitation ou l’oppression de la classe, du genre, de la race ou de la nature.

Il est l’heure d’arrêter les guerres de chapelles partisanes et d’entrer en résistance, pour constituer un large front de mobilisations autour d’une bannière écosocialiste.

Il y a un véritable travail culturel à mener pour faire progresser les idées marxistes au sein des milieux écolos. Il est l’heure d’arrêter les guerres de chapelles partisanes à gauche et d’entrer en résistance, de façon à constituer un large front de mobilisations autour d’une bannière écosocialiste, avec, comme horizon, la démocratie appliquée à tout ce qui détermine nos conditions d’existence. Si parfois, à gauche, nous marchons séparément, nous pouvons frapper ensemble. Nous n’avons plus le temps d’attendre.

Alors, rejoins la lutte, camarade écologiste !

Valéry

Militant, membre de la Gauche anticapitaliste

PS : Cette lettre s’adresse à toute personne de sensibilité écologiste. Si à présent, toi aussi, tu penses que la lutte des classes est indispensable dans une perspective écologique, tu peux transmettre cette lettre à tous·te tes ami·es et connaissances qui partagent ce combat.