Politique
Les médias nous font marcher
18.12.2007
Il est devenu banal de constater que se sont constituées progressivement une opinion publique flamande et une opinion publique francophone. Cause ou conséquence, la façon dont l’information est traitée de part et d’autre de la frontière linguistique est de plus en plus différente. Durant ces derniers mois de crise politique, il est devenu évident que les journaux reflètent souvent les positions défendues par les partis de leur communauté linguistique au détriment de la fourniture d’une information correcte et objective sur les positions en présence. Le front des francophones passe, à l’évidence, par les gazettes. La peur d’une scission du pays, palpable chez les francophones bruxellois et de la périphérie, est entretenue par les médias, dont certains se font les relais enthousiastes de la défense d’une certaine belgitude… Ceux qui pensaient que le temps de la distribution de drapeaux par les journaux était révolu, ont été surpris. D’autres se sont souvenus de la vague patriotique et unanimiste qui avait emporté la presse à la suite du décès du roi Baudouin en 1993, pour conclure que la situation n’est pas si surprenante que cela. Ce qu’il faut bien appeler la partialité de la presse face aux événements politiques des derniers mois a atteint un sommet, avec la couverture de la marche pour l’unité de la Belgique de ce dimanche 18 novembre, par les médias francophones. Son ampleur frappe d’emblée: la place réservée à l’événement dans la presse écrite, la longueur des reportages à la radio et à la télé, étaient disproportionnés par rapport à l’importance de la marche sur le plan politique. L’absence de discours réellement revendicateurs chez les marcheurs rendait la longueur des reportages et des articles particulièrement apparente, devant la vacuité de leur contenu. Les observateurs avaient souligné, bien avant ce dimanche, que l’élément intéressant à relever le 18 novembre, serait la répartition linguistique des marcheurs. Mais la presse francophone ne semble pas avoir fait un grand travail d’investigation à ce niveau. C’est assez complaisamment qu’elle s’est étendue sur la présence de slogans en néerlandais sur les pancartes et calicots, sans chercher à évaluer le nombre réel de néerlandophones parmi les marcheurs. Et lorsqu’un journaliste relevait, néanmoins, le petit nombre de marcheurs flamands, c’était pour l’expliquer par le manque de relais au sein de la presse flamande: en clair, si peu de néerlandophones avaient éprouvé le besoin de manifester leur attachement à la Belgique, c’était la faute des médias flamands qui ne les y avaient pas assez incités! Il est vrai que du côté francophone, on n’avait pas ménagé ses efforts pour assurer le succès de la marche pour l’unité. De nombreux reportages avant la manifestation, et la publication de l’itinéraire et du plan détaillé, ont assuré que tout francophone qui aurait pu souhaiter manifester son attachement à la Belgique soit non seulement au courant de l’organisation de la marche, mais aussi pourvu de tous les détails pratiques pour faciliter sa participation. Le jour même, le reportage en direct à la télévision a donné à la manifestation une résonance toute particulière. Alors que le nombre de manifestants présents était très faible au départ de la marche, il n’a cessé de croître, ainsi que nous en tenaient informés en permanence les médias, pour atteindre le chiffre respectable de 35~000 participants à son terme. Parmi les 25 ou 35~000 personnes qui ont choisi de rejoindre le petit groupe du début, il y en a sans doute un nombre important qui en ont été convaincus par les reportages de la radio ou de la télévision. Ce jour-là, les médias ont suscité l’information tout autant qu’ils la commentaient. Si la crise politique devait se prolonger ou s’approfondir, il est à craindre que de nouvelles dérives se produisent, d’autant plus que peu de voix s’élèvent aujourd’hui pour les dénoncer.