Politique
Les CPAS veulent un Plan Marshall 3.Social
10.12.2013
Nous pensons que les CPAS représentent, dans notre Région, en quelque sorte un thermomètre social. Outre l’aspect quantitatif (très important mais il y a pour cela des instruments de mesure statistiques qui témoignent d’un appauvrissement important de la société), ils mesurent assez justement et qualitativement le niveau de pauvreté et de misère sociale qui s’installe assez rapidement dans notre société, quelque fois de manière peu visible (on voit relativement peu les travailleurs pauvres, lesquels sont pourtant de plus en plus nombreux) et quelque fois de manière émotionnelle (on le voit avec les flashs spéciaux consacrés par les médias à la pauvreté visible, telle celle des sans domicile en période hivernale). Certes, les CPAS ne sont pas les seuls instruments de mesure du délitement et de la « désolidarisation » dans notre société à tout niveau : les syndicats, les mutuelles, les associations, les institutions sociales, etc. peuvent également apporter de précieuses informations sur la situation sociale de la Wallonie. Cependant, pour le présent article, nous concentrerons notre regard sur les exemples vécus par les CPAS et leur public. Et force est de constater qu’ils sont plutôt malmenés. Nous pensons pouvoir dire que notre société va mal, et de plus en plus mal. Régulièrement, nous entendons certains mandataires politiques dire leur satisfaction de voir les chiffres du chômage baisser très légèrement. Il est vrai que l’on constate une espèce d’abracadabra dans les statistiques : certains chômeurs étaient là. Ils n’y sont plus. C’est vrai, mais ils sont ailleurs et, pour bon nombre d’entre eux, ils sont dans les rangs des CPAS, sans qu’on ne cite ces chiffres. On a dès lors une vision tronquée de la réalité. Ainsi, pour reprendre l’évolution du public des CPAS, on constate que celui-ci a très fortement augmenté en 10 ans, passant de 41 000 personnes et 2002 à 54 000 personnes en 2012 (il y en avait 25 000 en 1990). C’est une croissance qui englobe tout public mais nous constatons que le public des plus jeunes prend une proportion très inquiétante puisque en 10 ans, nous sommes passés de 25 % du public de moins de 25 ans à 33 % aujourd’hui. C’est d’autant plus inquiétant que le ministre de l’époque, Monsieur Johan Vande Lanotte, a mis en place des mesures pour prendre en charge ce public jeune. Certains parlent alors de « génération sacrifiée » or, cette population jeune sacrifiée, c’est bien là l’image de l’avenir de notre société. Nous pensons qu’il n’est pas admissible de ne pas réagir à ces chiffres dramatiques.
De plus en plus de demandes d’aide, et pas seulement pour le revenu d’intégration
Pour avoir un aperçu de la situation réelle, il faut observer qu’un nombre sans cesse croissant de personnes qui n’ont pas droit à un revenu d’intégration ou à une aide sociale équivalente viennent néanmoins frapper à la porte des CPAS pour demander une aide sociale complémentaire (citons en exemple : des denrées alimentaires, les frais médicaux, les frais scolaires pour les enfants, frais de chauffage, etc.). Ainsi, les CPAS voient un « nouveau public » arriver chez eux qui, sans pouvoir prétendre à un revenu d’intégration n’en ont pas moins des grandes difficultés à boucler les fins de mois : des travailleurs, des pensionnés, des jeunes étudiants, des personnes malades, des personnes handicapées, etc. Le 22 juin 2012, le journal « L’avenir » faisait un petit sondage parmi son public et relevait que 56 % des répondants avaient peur de devoir un jour frapper à la porte d’un CPAS. Ce chiffre est corroboré par une enquête française qui montre que près de 70 % des français ont peur de devenir SDF un jour. Ces chiffres nous montrent que c’est « Monsieur et Madame tout le monde » qui ressent la peur de l’avenir, y compris ceux qui sont actuellement dans un emploi « sûr ». Il ne fait pour nous aucun doute qu’il s’agit d’un indice d’une société qui va mal et où les perspectives d’avenir sont sombres. Or, cet avenir qui se bouche, c’est justement à cause d’un manque de vision sociale. L’éclaircie ne peut venir que d’une politique sociale réfléchie à un niveau global. Ce constat, aussi alarmant soit-il, ne représente pas encore toute l’étendue des problèmes. Les institutions sociales, quelles qu’elles soient, sont sous pression et, pour tenter de se donner de la marge, ont la tentation de reléguer leurs problèmes sur les CPAS, le dernier maillon du filet. Ainsi, sous les instructions du Gouvernement, voit-on un nombre de chômeurs exclu en masse arriver dans les rangs des CPAS. Pour ne prendre qu’un seul exemple parmi beaucoup d’autres, les récentes réformes relatives aux allocations de chômage, et en particulier la limitation de celles-ci dans le temps, vont exclure un nombre très impressionnant de chômeurs au 1er janvier 2015. Bon nombre de ces chômeurs vont sans aucun doute aboutir dans les rangs des CPAS sans que cela n’émeuve apparemment grand monde. Cet exemple est révélateur de l’inattention que l’on accorde aux CPAS mais c’est également révélateur de la façon d’envisager le social en cascade. Le niveau communal étant le dernier des échelons, il subit le plus. Il y a donc urgence à débattre d’une politique sociale globale.
Les CPAS paient le prix fort, mais ce ne sont pas les seuls
Ce constat que nous faisons avec les CPAS est également celui que l’on pourrait faire avec le monde associatif, avec les syndicats, avec les mutuelles, avec les institutions sociales, avec les écoles, etc. Ce constat, c’est surtout le fait pour notre société d’envisager désormais le social comme un coût et non plus comme une obligation légale, constitutionnelle, fondatrice de notre démocratie (l’article 23 de la Constitution) et encore moins comme un investissement. De plus en plus, nous avons l’impression que le social se vit sur le mode de l’hostilité et de la concurrence. En ce sens, venir en aide aux plus démunis, à ceux qui ne sont pas « rentables », est vécu comme un retrait de moyens pour les plus productifs, ceux qui vont nous amener de la plus-value économique. D’ailleurs, ce n’est pas innocent, les institutions sociales sont désormais appelées à faire « du chiffre ». La « quantophrénie » prend le dessus et oblige les institutions et associations à fournir les preuves chiffrées de la bonne utilisation de leurs moyens. Dans cette perspective, les plus « abîmés » parmi les citoyens sont soit laissés pour compte, soit obligés de rendre visible leur bonne volonté (on voit ainsi surgir l’idée du « bénévolat obligatoire »). Nous demandons aux prochains gouvernements de débloquer des moyens autour des politiques sociales et du soutien des structures sociales (CPAS et autres) et qui veillerait désormais à passer l’ensemble de ses décisions politiques à travers le tamis du développement social. Nous souhaitons que ces mesures :
- soient concrètes, objectivables et évaluables, programmées dans le temps ;
- visent la diminution des bénéficiaires des CPAS, notamment via l’augmentation de leur insertion socioprofessionnelle ;
- tout en créant une plus-value sur le plan de l’activité économique sociale de proximité,
- impactent positivement les critères de calcul des dotations aux CPAS (FSAS,…), pour récompenser (et non pénaliser) les efforts entrepris ;
- permettent de diminuer la charge de travail des travailleurs sociaux afin de renforcer l’accompagnement qualitatif individualisé qui dans un cercle vertueux améliore encore les résultats.
Voilà pourquoi nous demandons les mesures suivantes regroupées en deux axes forts.
- Une politique pour les citoyens : maximaliser les mesures d’insertion des personnes aidées par les CPAS tout en renforçant l’économie sociale et de proximité.
- Soutenir les CPAS pour leur permettre de poursuivre leurs missions fondamentales et ainsi venir en aide aux personnes qui, sans cela, ne pourrait mener une vie « conforme à la dignité humaine ».
Il s’agit là de quelques mesures fortes qu’il nous faudra adopter si nous voulons faire face au tsunami social qui nous attend. Nous pensons qu’une société qui ne mise plus sur le lien entre ses citoyens, sur l’investissement dans ses plus jeunes et sur le soutien de ses membres les plus faibles est une société qui perd peu à peu son avenir. Aussi, revenons à l’essentiel : l’économie est là pour servir la société et non l’inverse. C’est le seul moyen pour soigner cette société malade.