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Les associations au tournant du siècle

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Le centenaire de la loi de 1901 sur les associations en France avait donné lieu à des célébrations et publications officielles, organisées par une mission interministérielle et le Conseil constitutionnel, afin de mettre les associations à l’honneur. Celui de la loi de 1921 sur les ASBL en Belgique n’a suscité aucune initiative, aucune réflexion, ni du côté des pouvoirs publics ni dans le monde associatif. Ce fut le point de départ du Collectif21 qui comprît vite qu’en lieu et place d’un anniversaire, c’était à un enterrement qu’on assistait passivement.
Cet article, paru dans le n°117, est complété par un entretien : « Non à la mise en concurrence du secteur associatif ! »

Une réforme si funeste

L’intégration des associations dans le Code des sociétés et des associations (CSA) entré en vigueur le 1er janvier 2020 est, de fait, passée inaperçue. Peu de débat sur ce rapprochement « contre-nature » entre l’entreprise et l’association sans but lucratif, peu de mobilisation, peu de bruit… Les peinards y voient de simples formalités qui ne changeront pas grand-chose, les pragmatiques des avancées pour les associations qui peuvent maintenant plus facilement commercer ou être protégées en cas de faillite, et les paranos situent cette évolution dans la grande marche du monde qui transforme tout en produits de consommation…

On se doute que les signifiants des termes « associer » et « entreprendre » ne recouvrent pas les mêmes ambitions ni les mêmes praxis. L’interdiction de se livrer à « des opérations industrielles ou commerciales », stipulée par la loi de 1921, a été levée par le CSA et le droit de la concurrence s’applique désormais aux ASBL[1.En cela le CSA répond à des exigences européennes et à la volonté du ministre Koen Geens de rendre le droit belge plus attractif pour les entreprises.]. Ces changements auront, inévitablement, des impacts sur les institutions elles-mêmes, leurs actions, leur culture. Les associations gardant un but désintéressé et ne pouvant enrichir leurs associés ou actionnaires, elles ne deviennent pas des sociétés commerciales comme les autres. Le changement est d’abord symbolique. Mais il ouvre la porte – ou facilite une tendance déjà en cours – à la remise en cause du financement public des associations. Si ce code précise des éléments de gestion qui éviteront les abus, il impose aussi des contraintes administratives auxquelles les petites associations ne pourront pas toutes faire face. Il menace ainsi la diversité de la vie associative. Enfin, il réduit fortement la démocratie interne dès lors que deux personnes peuvent composer à la fois l’Assemblée générale et le Conseil d’administration d’une association et que toutes les compétences qui ne sont pas explicitement attribuées à l’AG appartiennent au CA[2.La France connait aussi des remises en question du fait associatif, notamment la circulaire Fillon de 2010, qui assimilait l’ensemble des associations à des entreprises, et la récente loi dite « séparatisme » qui laisse beaucoup de pouvoir arbitraire à l’État pour dissoudre une association qui ne respecterait pas les valeurs républicaines.].

Des frontières déjà floues

Inquiets tout de même de cette transformation présentée comme quasi naturelle, certains d’entre nous ont voulu revenir sur ce qui fait association afin de calibrer l’oraison funèbre de la loi de 1921, texte en toute fin de vie puisque toutes les structures devront avoir rejoint le CSA en 2024.

Nous avons dès lors mis sur pied un site Internet et organisé des rencontres/débats pour appréhender le fait associatif d’aujourd’hui sous différentes facettes : l’économie et le financement, l’imposture de la managérialisation, l’histoire et la pilarisation propre à la Belgique, l’action en temps de crise, les relations de travail, le rapport aux pouvoirs publics, l’engagement et le militantisme, la participation ou l’instrumentalisation des publics avec lesquels les associations travaillent… le tout dans une difficulté constante qui consiste à cerner l’objet de l’investigation tant les frontières de l’associatif en Belgique sont difficilement délimitables.

En effet, entre le club de pétanque du coin et les cliniques universitaires Saint-Luc de Woluwe-Saint-Lambert, ou entre l’ONG et la structure para-communale liégeoise, pas facile de délimiter le champ et de déterminer une identité qui fasse sens pour l’ensemble, au-delà du « véhicule administratif » que constitue le statut d’ASBL.

Cette recherche d’une identité propre aux associations n’a pas pour vocation de catégoriser les « purs » et les « impurs », mais plutôt de situer les associations eu égard à leur rôle dans la société, leur permettant par voie de conséquence d’opérer des choix et de les assumer. Clairement, pour ce qui concerne le Collectif21, nous situons le fait associatif dans ce qui a fondé la loi de 1921 à l’origine, à savoir de se distinguer du monde économique marchand d’abord, en reconnaissant la capacité de s’associer à plusieurs pour agir dans la société ensuite. Nous situons donc le fait associatif dans une dimension d’intérêt commun et une construction démocratique qui devraient, à notre sens, continuer à faire référence dans le futur et à orienter l’action et les revendications du secteur associatif : pour continuer à révéler des injustices, faire émerger des questions collectives non prises en charge par les pouvoirs publics, élaborer des alternatives, permettre de vivre au-delà de ce qui est déterminé par la société telle qu’elle est.

La croisée des mondes

Cette fonction ou ce sens de l’associatif nous paraît plus nécessaire que jamais et à la croisée des chemins à laquelle se trouve le monde en ce début de millénaire avec les nombreuses crises que l’on connaît. Cette démarche demande d’entretenir une culture politique propre à l’associatif, à travers des espaces de réflexions et de discussions et un travail de mémoire et de transmission autant que d’exploration et d’expérimentation, que permettent peu les conditions de travail de l’associatif et l’esprit du temps.

Dans les travaux menés jusqu’ici, nous avons pu dégager avec l’appui de Jean Blairon[3.Jean Blairon, « L’associatif est-il (encore) manifestable ? », Intermag.be, RTA, septembre 2020.] des éléments structurants du champ associatif qui pourraient dessiner des balises d’une culture à faire vivre, misant sur des collectifs qui décident de lier leur sort autour d’un enjeu, se mobilisent concrètement pour faire vivre leur « quête » partout où c’est possible. Ce faisant, ils contribuent à produire les conditions de possibilité de la vie en société. Cette organisation qui transcende les identités des « êtres de chair » qui la constituent, s’impose aussi une éthique qui garantit le sens du projet dans la durée sans pour autant être figée et déconnectée du monde qui l’entoure.

Une double distance critique ressort aussi de nos réflexions tout comme de l’origine des associations sans but lucratif. Primo, le fait associatif démocratique tel que nous le soutenons ne peut se laisser diluer ou aspirer dans la marée du marché où l’intérêt individuel prime sur le commun et la rentabilité sur le service à tous. Peut-être peut-il même contribuer au développement de nouveaux modèles économiques, davantage solidaires et coopératifs.

Secundo, les associations se tiennent dans une relation de « complémentarité critique » avec les pouvoirs publics en ce qu’elles ont des finalités proches et des dynamiques distinctes des leurs. Elles sont avec eux dans des rapports d’interpellation ou de délégation, de pouvoir et de contrepouvoir, de confiance et de contrôle idéalement réciproques. Ces derniers temps, ce que Roland Gori appelle « la taylorisation du travail social » – mêlant une professionnalisation croissante et des modes de subsidiation, de justification et d’évaluation qui poussent au formatage des pratiques et à « l’excellisation » de l’humain – déséquilibre cette relation, altère les missions d’intérêt général, instaure une concurrence entre associations, encourage le regrou­pement en grandes entités, fragilise les petites structures et ne laisse plus beau­­coup de place à la critique et la contre­proposition, pourtant si néces­saire à la vivacité ou l’invention de nouveaux modèles démocratiques. Un des risques importants réside, du reste, dans la perte d’hétérogénéité du secteur et une profonde déconnexion avec certains publics, probablement les plus éloignés de la participation à la vie de la cité.

Le Collectif21 cherche principalement à faire vivre cette réflexion de manière sympathique et créative, avec toutes celles et ceux que cela concerne. Il travaille à ce que quelques fruits de cette effervescence aboutissent sous la forme d’une publication, d’un documentaire, d’interpellations des partis politiques et de connexions internationales. Il est encore temps de rejoindre les quarante-sept associations ou fédérations qui le composent !

(Image de la vignette et dans l’article libre de droit.)