Politique
Les agrocarburants sont-ils verts ?
20.01.2009
Les organisations environnementales dénoncent le risque de dérives de la production d’agrocarburants : déforestation, accentuation du réchauffement climatique, destruction de la biodiversité, diminution des réserves d’eau, abandon des cultures vivrières, introduction des OGM. L’empreinte écologique du Nord pèse lourdement sur les pays du Sud. Limites et alternatives, vues par des écologistes belges.
«L’objectif principal du développement des agrocarburants devrait être la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES), expose Lionel Delvaux, chargé de mission pour Inter-Environnement Wallonie, fédération des associations wallonnes d’environnement. Différentes études démontrent que la majorité de ceux-ci ont un bilan assez mitigé, voire négatif, au Nord comme au Sud». «Les agrocarburants de première génération sont une aberration environnementale !», s’exclame Erwan Marjo, chargé de mission pour Inter-Environnement Bruxelles. «Pour produire un litre d’agrocarburant, il faut en moyenne 1/3 litre de pétrole, poursuit Lionel Delvaux. La transformation du produit agricole en carburant nécessite encore de l’énergie, selon les filières. À cela s’ajoutent la production de GES par les cultures et enfin les effets de substitution.» En d’autres termes, les émissions de GES impliquées lors de la production sont supérieures à celles économisées par l’utilisation d’agrocarburants. Les analyses scientifiques du cycle de vie complet du produit, prenant en compte les effets de substitution liés à la production d’agrocarburants, sont encore limitées actuellement ; ces effets indirects varient très sensiblement d’une filière et d’une région du monde à l’autre. Or ces analyses sont nécessaires pour démontrer l’impact positif et durable, ou pas, des cultures énergétiques sur le climat. «L’importance de ces impacts environnementaux dépend de la manière dont les matières premières servant à fabriquer les biocarburants sont produites et traitées», analyse le dernier Rapport sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2008 de la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, consacré aux agrocarburants. L’impact de ces agrocarburants sur la disponibilité des terres cultivables est d’ailleurs souvent mis en avant. «Aux États-Unis, un tiers de la production de maïs est affectée à la production de l’énergie, illustre Lionel Delvaux, ce qui représentera à terme près de 40% des échanges mondiaux de céréales. Cela veut dire que les marchés alimentaires sont déficitaires de cette partie de la production et que l’on va aller produire ailleurs, tant que c’est possible, avec un impact environnemental qui risque de se déplacer et qu’il faut aussi mesurer.» On le voit ici, «les impacts environnementaux et sociaux sont intimement liés, l’être humain faisant partie de cet écosystème et l’un n’allant pas sans l’autre», précise Erwan Marjo.
Accusés de…
Premièrement, accentuer la déforestation. «À l’échelle mondiale, le facteur limitant le plus le développement des agrocarburants, c’est l’utilisation du sol», avance Lionel Delvaux. Dans certains pays, quand les espaces cultivables manquent, on défriche et on rase les forêts. «On libère des surfaces qui sont en fait de grands puits à carbone et qui captent bien plus de CO2 que ce que va le faire finalement la plante elle-même», explique Erwan Marjo. Le récent rapport de la FAO le confirme : «La conversion des forêts ombrophiles, tourbières, savanes et herbages à la production d’éthanol et de biocarburant au Brésil, en Indonésie, en Malaisie et aux États-Unis engendre des rejets de dioxyde de carbone 17 fois supérieurs aux rejets économisés chaque année par le remplacement des combustibles fossiles par les biocarburants». Deuxièmement, la agrocarburants réduisent les ressources en eau locale. Les techniques de production agricoles utilisées agissent également sur les émissions de GES. Lionel Delvaux reconnaît cependant qu’il n’y a pas aujourd’hui de différence entre les productions agricoles à destination énergétique ou alimentaire, puisque les techniques sont les mêmes et donc pas plus polluantes. Mais il précise que «l’augmentation de la demande en agrocarburants nécessitera davantage de surfaces agricoles, ce qui amènera à des productions intensives ayant un impact sur les ressources en eau». En effet, comme le précise Erwan Marjo, avec la canne à sucre ou le maïs produit dans le Sud, «un litre d’éthanol nécessite 3 à 5 litres d’eau d’irrigation et produit une dizaine de litres d’eau souillée qui va ensuite percoler à travers les nappes phréatiques ou être évacuée via un cours d’eau environnant». Même les plantes pérennes, comme le jatropha et la pongamia qui peuvent pousser dans des zones semi-arides, exigeraient un peu d’irrigation par temps très sec et chaud. Troisièmement, ils touchent à la biodiversité, l’une des principales critiques faites aux agrocarburants. Selon la FAO, «une part des cultures utilisées pour la production des biocarburants (canne à sucre, palmier à huile et maïs, ndlr) exige des terres de grande qualité et des intrants importants en termes d’engrais et de pesticides pour obtenir des rendements économiquement viables». Ce qui implique donc des effets de substitution importants au détriment de la biodiversité. Mais la production d’agrocarburants pourrait, en théorie, restaurer des terres dégradées et jouer ainsi positivement sur la biodiversité agricole et des espèces sauvages, en introduisant le jatropha dans des zones sèches par exemple. Cela dit, dès que des zones naturelles sont transformées en zones de cultures énergétiques, les impacts deviennent négatifs, ce qui est malheureusement plus souvent le cas. Enfin, les agrocarburants risquent de céder à la tentation des organismes génétiquement modifiés (OGM), dont les impacts environnementaux sont bien connus. «Il est probable qu’à terme l’industrie agroalimentaire propose des solutions OGM, comme on les connaît dans les milieux agricoles en général, craint Matthieu Sonck, secrétaire général d’Inter-Environnement Bruxelles, ne serait-ce que pour permettre des productions à plus grande échelle.»
Cadrer et trouver des alternatives
«Les biocarburants ne sont qu’un des éléments d’une série de moyens pour réduire les émissions de gaz à effet de serre», tient à préciser le rapport de la FAO. Le travail de la conservation du sol, les rotations de cultures .…. peuvent réduire les impacts négatifs ou même améliorer la qualité de l’environnement en liaison avec la production de matières premières pour les biocarburants», suggère l’organisation. D’autres alternatives peuvent cependant se révéler plus efficaces concernant les coûts énergétiques. L’une d’entre elles réside dans le développement futur des agrocarburants de seconde génération. «Il semble que l’énergie investie pour la seconde génération sera moindre que l’énergie récupérée, annonce Erwan Marjo. Peut-être pourra-t-elle réduire les émissions de GES… mais il reste encore à savoir si on agira bien dans une logique de récupération de la matière et non de production intensive !» Lionel Delvaux considère, lui, que le recours à la biomasse doit être optimisé car elle est plus efficace sur le plan environnemental et économique. Mais le point de vue des associations environnementales, assez nuancées sur la question, porte essentiellement sur des solutions en amont. «La solution n’est pas de remplacer le pétrole par des biocarburants, mais bien de diminuer la consommation d’énergie en ayant une vision différente de la société et en s’attaquant au mythe de la voiture individuelle», indique Matthieu Sonck. Il propose entre autres de revoir l’aménagement du territoire, densifier les villes, mettre en œuvre une fiscalité diminuant l’usage de la voiture, instaurer un péage urbain, ou encore diminuer la vitesse. «En réduisant notre consommation, on devra produire moins d’agrocarburants et on évitera certains impacts négatifs, poursuit Lionel Delvaux. Il ne faut pas arrêter d’utiliser la biomasse mais il faut veiller à cadrer politiquement son utilisation pour éviter que le marché ne se positionne tout seul.» De nombreux organismes envisagent donc aujourd’hui la mise en place de critères de durabilité concernant les agrocarburants, en vue d’un environnement plus durable notamment. Pour Lionel Delvaux, «la certification des agrocarburants est un leurre si elle ne porte pas sur l’ensemble des productions agricoles mondiales, qu’elles soient destinées à l’alimentation ou à l’énergie». Il suggère de dépasser la logique compétitive, exerçant une pression écologique sur d’autres régions du monde, pour privilégier une logique plus coopérative : changer nos habitudes alimentaires en consommant moins de viande par exemple. Ce qui permettrait de libérer des surfaces importantes en Europe et de diminuer fortement la production de GES liée à l’élevage…. Un potentiel à explorer ?