Politique
L’engagement du mouvement étudiant
01.01.2002
La Fédération des Étudiant(e)s Francophones a décidé en mars dernier de se lancer dans l’aventure aux contours flous des Assises pour l’égalité. Si la chose s’est faite de manière assez naturelle, les tenants et aboutissants de cet engagement n’en sont pas pour autant simples. Il n’est sans doute pas inutile d’explorer les difficultés qui accompagnent la démarche, mais aussi de dire en quoi elle nous paraît constituer une opportunité à saisir pour le mouvement étudiant.
Nous croyons pouvoir dire que la FEF s’est construite sur un modèle hybride qui associe deux visions partiellement contradictoires du mouvement étudiant. Elle est structurée selon une vision «parlementaire», c’est-à-dire conçue comme une institution, un lieu neutre, où s’expriment les différentes idées que ses membres — des organisations étudiantes locales dans les établissements d’enseignement supérieur en Communauté française — y amènent. Formellement, aucun positionnement politique, aucun projet de société n’est consubstantiel à cette institution. Malgré cela, la FEF s’est souvent positionnée de manière très engagée dans le débat public, n’hésitant pas à soutenir des luttes dépassant largement le cadre strict de la «représentation» étudiante, au risque, parfois, de se mettre en porte-à-faux par rapport à une base largement dépolitisée. Ainsi, sur certaines thématiques, telle la lutte pour les sans-papiers, l’engagement étudiant, à tout le moins formel et souvent militant, s’est rarement démenti. De même, nombreux furent et sont les portes-parole étudiants à véhiculer dans leur discours des valeurs progressistes clairement exprimées. N’hésitant pas, aussi, à recourir à des méthodes actives, manifestations et autres, qui ne sont pas celles d’un «parlement» et sous l’influence de cette deuxième vision de l’action étudiante, qu’on pourrait qualifier de «syndicale», la FEF a fait d’un corpus de positions et de revendications un élément définitif de son identité. Pour faire bref, il s’agit du paradigme d’un enseignement public de qualité accessible à tous, axé autour de la revendication du refinancement de l’enseignement. La situation du mouvement étudiant belge francophone ne le porte cependant pas à la radicalité ni à l’engagement hors de sa sphère d’activité première. Des phénomènes tels que la dépolitisation à peu près généralisée du corps étudiant ou la culture de conciliation forte, voire consensuelle, généralisée parmi les décideurs politiques, y sont pour beaucoup. Ainsi, même un mouvement comme celui du décret Lebrun en 94-95 sur les «grandes écoles», pourtant lame de fond du ras-le-bol étudiant, a très rapidement abouti à une conciliation qui si elle a permis aux étudiants d’engranger quelques acquis non négligeables (la réécriture du décret, la participation étudiante,…) n’a pas réellement fait passer de message général et n’a en aucun cas modifié significativement l’orientation politique générale: après les avoir réformé en respectant certains desiderata étudiants, on a financé un an plus tard les hautes écoles d’une manière allant tout à fait à l’encontre des objectifs de démocratisation.
Porter un projet global
Si l’influence «syndicale» a amené continuité dans l’action étudiante et visibilité, plusieurs raisons font que le modèle parlementaire reste bien ancré. Le poids politique de la FEF tient en bonne partie à son caractère largement représentatif: par le biais de la construction démocratique fédérale, elle représente en effet aujourd’hui près de cent milles étudiants en Communauté française. De même, son financement dépend de ce modèle qu’elle a elle-même contribué à inscrire dans la loi en 1995. Et il paraît difficile d’envisager une adhésion syndicale massive des étudiants qui permette de compenser ces deux inconvénients. C’est donc dans le cadre de ce compromis permanent que doit s’analyser la présence de la FEF au sein des Assises, qui soulèvent deux questions fondamentales pour la FEF et, plus généralement, pour le mouvement étudiant. D’abord, les Assises, par la provocante et radicale question qu’elles portent, interrogent le mouvement étudiant quant aux idées qu’il défend. Les convergences de fond apparaissent bien sûr de manière évidente. La démocratisation de l’enseignement qui est au coeur du projet de la FEF et qui est conçue par elle de manière exigeante, en abordant non seulement les aspects formels et sociaux de celle-ci, mais aussi les aspects culturels et pédagogiques, se retrouve aisément dans l’idée d’égalité. Mais plus largement, l’enjeu est aussi celui de la capacité du mouvement étudiant à porter un projet global. Non seulement en écartant une conception corporatiste du mouvement étudiant qui le ferait se replier sur lui-même pour faire le choix d’une solidarité avec d’autres composantes du champ social, mais aussi en assumant un rôle de transformation sociale. De manière générale, les étudiants comptent probablement parmi les citoyens théoriquement les plus mobilisables. Jeunes travailleurs intellectuels en formation, ils ont une responsabilité politique vis-à-vis du reste de la population. Et s’il est assez peu original de constater que les mouvements étudiants ont très souvent joué dans l’histoire un rôle moteur dans les changements de société : de Paris à Pékin, ils ont souvent été des détonateurs de l’action collective, il ne faut pas perdre de vue que la tradition belge est plutôt faible en la matière et que la situation actuelle n’est pas à proprement parler révolutionnaire (!). Enfin, devant une évolution rapide du contexte dans lequel nous vivons, caractérisée notamment par la déferlante néo-libérale qui agonit aujourd’hui toute fonction collective, dans un contexte de privatisation ouverte de l’enseignement, il est essentiel de pouvoir opposer un discours fort qui ne soit pas uniquement résistance mais qui soit aussi alternative. L’égalité peut constituer la pierre angulaire de cette alternative à construire.
La question des alliances
La deuxième question que posent les Assises est celle des alliances qu’un mouvement a à faire pour créer du rapport de force. Tout seul, on n’est évidemment pas bien lourd, surtout quand il s’agit de s’engager pour des idées qui dépassent un cadre sectoriel. La conclusion d’alliances est déjà régulière, surtout avec d’autres associations ou avec des syndicats. Le travail en commun avec des politique est plus nouveau. Et les écueils sont nombreux. La définition de «gauches» — au pluriel — d’abord, que les Assises se donnent de manière plus ou moins explicite. On peut bien sur s’en tirer par une pirouette, en donnant de la gauche la définition que l’on veut. Si l’on définit par exemple le fait d’être à gauche comme celui de donner priorité au collectif par rapport à l’individu, en redistribuant les ressources ou en favorisant le service public, il ne nous est pas difficile de nous dire à gauche. Les menaces sont réelles que peuvent représenter pour l’indépendance des étudiants le fait de côtoyer de trop près des politiques auxquels nous aurons peut-être à nous opposer dans le futur ou celui de participer, en connaissance de cause ou pas, à des mouvements d’appareils de partis. Même si par ailleurs, comme c’est le cas, aucune exclusive n’est définie. Il en va de la capacité à rester un contre-pouvoir comme de la crédibilité auprès de la base. Il ne s’agit pas de nier ces risques, qui s’imposent avec force à toute association, d’autant plus quand elle est «indépendante et pluraliste», qui met les pieds dans ce genre de structure, ni de foncer tête baissée dans la conclusion d’alliances à l’emporte-pièce. Mais l’adhésion de la FEF à la démarche des Assises est sans doute, sur ce plan des alliances, de sa part le signe de la perte d’une frilosité ou de certains complexes, ce qui est, nous semble-t-il, de bon augure. En participant aux Assises, c’est donc une orientation importante qui est prise ou renforcée par la FEF. En confirmant sa volonté de porter un projet de société global et en osant des alliances difficiles, la FEF va dans le bon sens, dans celui d’un mouvement social. Et sans prétendre que la FEF ait valeur exemplative, les questions abordées ici seraient probablement portées avec bonheur dans un débat plus général sur le rôle du secteur associatif dans la construction de nouveaux rapports de force globaux ou sur l’interaction entre «anciens» et «nouveaux» mouvements sociaux. L’ouverture des Assises à des acteurs moins institutionnalisés et parfois plus porteurs de nouveautés passera peut-être par ce débat.