Politique
Le trop-plein de détenus
04.11.2012
Détenus d’hier et d’aujourd’hui
En 30 ans, la population journalière moyenne des prisons belges a presque doublé, passant de 5677 prisonniers en 1980 à 10 536 en 2010[5.T. Daems, E. Maes et L. Robert, « Criminology and criminal justice in Belgium », European Journal of Criminology (texte soumis pour publication).]. Ce chiffre est lié à deux facteurs : le nombre d’incarcérations et la durée de la détention. Ces dernières années, on observe que l’augmentation de cette population est davantage due à une augmentation du nombre d’incarcérations, la durée moyenne des détentions restant relativement stable, oscillant depuis 1999 entre 6,7 et 7,1 mois, alors qu’elle était encore de 3,5 mois en 1980[6.E. Maes, « Evoluties in punitiviteit: lessen uit de justitiële statistieken », I. Aertsen, K. Beyens, T. Daems en E. Maes (éd.), Hoe punitief is België? (série Panopticon Libri, n°2), Anvers/Apeldoorn, Maklu, 2010, p. 51.]. Mais chaque catégorie de détenus connaît des évolutions particulières.
En ce qui concerne les détenus préventifs, on constate une augmentation générale du nombre d’incarcérations : il est passé de 9212 en 1999 à 12 192 en 2011, tandis que le nombre de libérations sous conditions suivies par les maisons de justice au cours de la même période a plus que doublé, passant de 1952 à 4606. Il est donc question tant d’un flux carcéral entrant en augmentation que d’un recours croisant aux alternatives à la détention préventive. Par ailleurs, la population journalière moyenne de prévenus est de nouveau en augmentation depuis 2009 (3736 en 2011)[7.Voir les rapports d’activités de la Direction générale des établissements pénitentiaires et des maisons de justice du SPF Justice.]. Par ailleurs, la population des condamnés a fortement augmenté depuis 1980 et ceci est dû, en particulier, à l’accroissement spectaculaire du nombre de détenus condamnés à des peines correctionnelles à un total de peines de plus de cinq ans, ainsi qu’à la hausse, dans une moindre mesure, du nombre de détenus condamnés à des peines criminelles. On observe dans le même temps une diminution significative des détenus condamnés à des peines jusqu’à 3 ans. Ces évolutions de la population des condamnés sont issues de divers facteurs agissant, d’une part au niveau du prononcé des peines et, d’autre part, au niveau de leur exécution :
- au niveau du prononcé, deux hypothèses sont traditionnellement formulées : tout d’abord, la présence d’une dualisation des politiques pénales (des initiatives législatives, relatives par exemple aux infractions sexuelles, et/ou des pratiques en matière de fixation des peines, sont venues durcir les peines pour certaines catégories d’infractions alors que, dans le même temps, des mesures alternatives à l’emprisonnement sont proposées à des auteurs d’infractions considérées comme moins graves) et ensuite, l’existence de comportements anticipatifs ou compensatoires de certains magistrats qui auraient tendance à hausser les peines d’emprisonnement en cas d’octroi d’un sursis ou pour éviter les politiques particulières d’exécution des peines jusqu’à 3 ans ;
- au niveau de l’exécution, on observe, en ce qui concerne les peines jusqu’à 3 ans, des politiques visant à diminuer le recours à la détention, par le recours à la libération provisoire ou la surveillance électronique. On constate par ailleurs que, pour les plus longues peines, des écarts se creusent entre la date d’admissibilité à une libération conditionnelle et la date de libération effective. Des condamnés restent ainsi plus longtemps en prison (ou sous surveillance électronique), d’autant qu’un autre phénomène entre en ligne de compte, celui où certains condamnés parfois à leur demande, vont jusqu’à fond de peine.
En Belgique, la population pénitentiaire dépasse largement la capacité carcérale. En 2011, le taux moyen de surpopulation (hors surveillance électronique) était de 20,2% mais il dépassait 60% dans certains établissements pénitentiaires (Anvers, Forest et Dinant)[8.Direction générale des établissements pénitentiaires, Rapport d’activités 2011, p.187.]. Au niveau européen, une analyse de la situation au 1er septembre 2010 fait état pour la Belgique d’une densité carcérale de 111 détenus pour 100 places, ce qui positionne le pays plus défavorablement que, par exemple, la France (densité de 108), les Pays-Bas (92) ou le Luxembourg (91)[9.Densité carcérale calculée sur la base du total ajusté de détenus (Council of Europe, Annual Penal Statistics, SPACE I, Survey 2010, Strasbourg, mars 2012, pp. 37-52).]
Agir, oui mais comment ?
Agir sur le trop-plein de détenus nécessite d’abord une amélioration des capacités d’inclusion de la société. Ensuite, il s’agit, non pas tant d’augmenter la capacité carcérale, mais de réduire le recours à l’emprisonnement, voire (surtout ?) sa durée. Nous identifions quelques mesures concrètes qui permettraient d’aller en ce sens : revoir les incriminations et la durée des peines, durcir la législation relative à la détention préventive (par exemple, en la réservant à quelques infractions limitativement énumérées), supprimer ce qui fait actuellement obstacle à l’octroi de mesures alternatives (obstacles légaux comme l’état de récidive qui empêche une mesure probatoire ou obstacles pratiques comme le statut d’étranger sans résidence fixe), modifier le mode d’exécution des peines (exécution chronologique – exécution d’une peine après l’autre – et non plus simultanée – chaque jour, une partie de chaque peine prononcée est partiellement exécutée – des peines d’emprisonnement[11.Une exécution chronologique permet aux détenus cumulant différentes peines d’emprisonnement d’avoir purgé entièrement une ou plusieurs peines avant d’être libéré. C’est non seulement plus équitable mais cela aurait aussi des effets favorables sur la durée du délai d’épreuve lié à la libération et éventuellement, en cas de révocation, sur la procédure de libération.], libérer anticipativement et de façon plus automatique certaines catégories de détenus (par exemple, les étrangers en séjour illégal en vue de leur éloignement du pays), prendre en compte le temps passé en liberté sous conditions lors de la détermination de la peine, ou encore renforcer la crédibilité des courtes peines pour éviter le prononcé de peines plus sévères.